LA " GUERRE " DU KOSOVO est une partie qui s'est jouée principalement à trois entre la Serbie de Milosevic, l'UCK et l'OTAN. La partie est loin d'être finie, mais nous pouvons déjà en tirer quelques enseignements.

Du côté serbe, Milosevic a une nouvelle fois reculé. Après la Krajina et la Bosnie, le président serbe, en dépit de ses promesses et des scénarios alarmistes de quelques experts occidentaux, n'a pas choisi de mourir, comme son modèle le prince Lazare, pour le Kosovo. La rhétorique nationaliste, " 1389-1999, même détermination, même combat " n'a pas supporté l'épreuve des faits. Est-ce pour autant une défaite pour Milosevic ? Ce n'est pas si sûr quand on pense, comme de nombreux observateurs sur place, que le véritable enjeu du Kosovo est le combinat minier de Trepça (70 % des ressources minières de la République yougoslave). Pour le moment, Trepça se trouve toujours dans la zone serbe du Kosovo, zone actuellement sécurisée par l'armée française.

Les autorités de l'Église autocéphale serbe ont compris le double jeu de Milosevic. Il leur a fallu dix ans pour ouvrir les yeux. Cette prise de conscience est sans doute trop tardive, parce que le Kosovo orthodoxe n'a plus les moyens de résister à la fin de son histoire... à moins d'évangéliser les Kosovars albanophones.

 

La victoire de l'UCK

L'UCK sort victorieuse du conflit. Elle contrôle toute la partie albanaise du Kosovo. Cela dit, les dérives mafieuses de ce mouvement de guérilla sont connues de tous aujourd'hui. Le Kosovo va-t-il connaître le sort de l'Albanie ? Au regard des faits, la réponse semble déjà évidente. La mafia albano-calabraise est aujourd'hui bien en place dans ce pays, et pour longtemps. Pour sortir d'une telle situation, il faudrait commencer par éradiquer le phénomène en Italie du Sud et en Albanie et pousser la logique de la restauration du droit jusqu'au bout. Il n'en n'a jamais été sérieusement question jusqu'à présent.

Quant à l'OTAN, elle a atteint son objectif annoncé : la fin de la purification ethnique au Kosovo (purification d'État) et son corollaire, le retour des réfugiés albanais. Avant les frappes aériennes, on estimait à 300000 le nombre des Kosovars albanophones ayant trouvé refuge en Albanie, en Macédoine et au Monténégro. Pendant la campagne aérienne de l'OTAN, leur nombre est passé à 1 million. Toutes les conditions étaient réunies pour déstabiliser la région.

D'autre part, l'OTAN — sous commandement américain —, a montré qu'elle pouvait mettre un terme au dogme de la souveraineté nationale. Mais n'est-ce pas un choix sélectif ? L'OTAN est par exemple bien silencieuse sur le sort des Kurdes en Turquie. Il n'en reste pas moins que si les nations et les États qui les protègent ont des droits inaliénables, ils ont aussi des devoirs de même nature. En termes de philosophie du droit, l'action de l'OTAN réintroduit le débat classique entre légalité et légitimité. Qu'est-ce qu'un acte légitime ? qu'est-ce qui le fonde ? Nous assistons peut-être à un retour du concept de droit naturel, à moins qu'il ne s'agisse de son instrumentalisation ? S'agit-il d'un progrès du droit international ou d'une victoire stratégique de l'impérialisme américain ? ou les deux ?

 

Aveuglement de la puissance

Parmi les nombreuses interrogations que soulève l'attitude de l'OTAN dans ce conflit, nous pourrions, en guise de conclusion, en isoler une : qu'est-ce que la stratégie de l'alliance euro-américaine nous apprend sur nous-mêmes ? Il est remarquable de constater que le camp qui dispose d'une supériorité technologique écrasante et d'une puissance jamais égalée dans l'histoire de l'humanité, est paralysé par l'idée de perdre une vie dans ses propres rangs (conception imposée, il est vrai, par les Américains). Non qu'il faille regretter l'époque où le soldat était considéré comme de la chair à canon, mais en choisissant de porter la guerre chez l'ennemi comme une simple et brutale opération de police, ne sommes-nous pas en train d'entrer dans une nouvelle ère ?

Jusqu'à peu, l'Occident humaniste se reconnaissait dans Hérodote, l'historien des guerres médiques pour qui " nul homme sensé ne peut préférer la guerre à la paix puisque à la guerre, ce sont les pères qui enterrent leurs fils alors que, en temps de paix, ce sont les fils qui enterrent leurs pères ". Pour l'homme sensé, la guerre a toujours été l'ultime recours. Dès lors que les pères n'ont plus à enterrer leurs fils, la tentation est grande de ne plus envisager la guerre comme la plus tragique des solutions. Les bombardements anglo-américains actuels sur l'Irak relèvent de cette logique, l'embargo aussi. En Serbie, le recours à la force armée n'était-il pas en fait une solution de facilité ? En réalité, il trahit l'aveuglement des diplomaties occidentales dans l'affaire yougoslave depuis 1989 : la reprise en main brutale du Kosovo par Milosevic en 1989 s'est faite dans l'indifférence générale. Les accords de Dayton de 1995 n'ont pas mentionné le Kosovo. Demain, la Voïvodine ?

Ère du virtuel, du nouveau monde illusoire où l'homme s'affranchit de sa condition humaine : il n'y a plus de limites, de chair, de souffrance... Aveuglement de la puissance. Ce monde parallèle est en train de se substituer au monde réel. L'expression " dégâts collatéraux " en est la pathétique illustration.

 

LAURENT LARCHER