LIBERTE POLITIQUE n° 41, été 2008.

Par Henri Bléhaut. LA BIOLOGIE peut-elle répondre à cette question : l'embryon est-il un être humain ? Si une réflexion sur l'être humain doit de toute évidence largement déborder le cadre très matériel de la biologie pour se prolonger vers l'acquis, l'esprit humain et la philosophie... la biologie reste néanmoins une base incontournable sur laquelle l'édifice homme est bâti.

Il est donc intéressant d'examiner dans quelle mesure elle peut nous aider à répondre à cette question essentielle, d'autant plus qu'il est fréquent de lire qu'au début de la vie, l'embryon n'est qu'un amas de cellules et non un être humain.
Que l'embryon soit vivant dès le départ, dès la première cellule, le zygote, est une évidence. Cette vie ne surgit pas du néant — elle existait déjà —, elle est transmise par deux cellules elles-mêmes vivantes, les gamètes de ses parents : ovocyte et spermatozoïde. Lorsque ces deux cellules fusionnent leurs membranes dans un processus irréversible au moment de la fécondation, pour passer de deux cellules à une seule, une nouvelle entité apparaît. Dans l'espèce humaine, cette nouvelle entité est originale : son code génétique est tellement unique que l'on peut sans problème affirmer qu'il n'y a statistiquement aucune chance que le même code ait déjà existé ou existera dans l'histoire de l'humanité, même si celle-ci se poursuit pendant encore quelques millions d'années... Déjà la biologie nous apprend une chose essentielle : chaque embryon, chaque humain, est dès le départ et pour toute sa vie absolument unique, irremplaçable.

Un code génétique unique

Le code génétique singulier de cette nouvelle entité est présent qu'elle soit au stade d'une cellule, de deux cellules ou de 100 000 milliards de cellules de l'individu adulte. Rien ne change, il s'agit juste d'une évolution de l'embryon à une cellule vers le vieillard, en passant progressivement, sans aucune rupture, par de nombreux stades d'évolution : zygote, morula, blastocyste, embryon, fœtus, nouveau-né, nourrisson, enfant, adolescent, adulte et vieillard.
Ce code génétique, extraordinairement précis, programme le développement de cette entité, la manière dont elle se structure, se construit, son fonctionnement, son aspect, etc. C'est lui qui régit le fait que les individus de l'espèce humaine aient tous un aspect très voisin avec deux bras et deux jambes, cinq doigts, etc., mais c'est aussi lui qui les organise de cette manière, faisant pousser les membres, construisant les organes, réglant chaque stade du développement. Ce programme code en plus pour notre fonctionnement, notre organisation interne, nos hormones, que nous ayons faim ou soif... Il organise aussi nos sens, les organes qui nous rendront capables de les utiliser, d'acquérir la parole, l'écriture, etc. Il s'administre lui-même, s'autorégule et répare plus de 99,9 % des erreurs qui pourraient apparaître lorsqu'il se réplique.
Ce code est humain, comme la première entité qui le contient. Il est aujourd'hui très facile de l'identifier comme humain, absolument impossible à confondre avec celui d'autres espèces. La cellule qui le contient est, elle aussi, complètement humaine, avec des protéines et des structures parfaitement identifiables comme humaines. Toutes les analyses montrent qu'il s'agit d'humain et aucune analyse ne permet de dire qu'il ne s'agit pas d'humain.
Il faut de plus préciser si toutes les cellules de cette entité ont la même valeur indistincte, comme dans un amas de cellule ou si, dès le départ, cette entité est organisée, est un organisme.

L'embryon est une entité organisée

Plusieurs constatations nous permettent d'affirmer sans ambigüité que l'embryon est une entité organisée dès le stade du zygote, dès la fécondation.
La première constatation porte sur le point de pénétration du spermatozoïde dans l'ovocyte ; il détermine l'orientation axiale du futur embryon . Ceci indique que la destinée des cellules de la morula est différente et que chaque cellule a un rôle prédéfini depuis le départ.
Très tôt, avant 48 heures de développement, une autre preuve démontre que l'embryon précoce est bien un organisme. L'embryon passe d'un stade 1 cellule à un stade 2 cellules , puis 4 cellules . Cependant, pendant quelques heures il passe par un stade intermédiaire à 3 cellules , clairement individualisé sur les photos ci-dessous.




Si à ce stade 3 cellules , la grosse cellule en bas à droite ne se divise pas pour une raison quelconque, l'ensemble du processus de développement s'interrompt et l'embryon meurt. La grosse cellule n'est donc pas remplacée par la multiplication des petites mais, au contraire, il existe un signal entre les cellules comme pour dire qu'il y a un problème et qu'il faut tout arrêter . Cette communication cellule-cellule est bien le propre d'un système déjà organisé, d'un organisme.
Enfin, chez certaines espèces animales, au stade de développement de morula à 8 cellules, il est possible de faire des chimères d'agrégation. La technique consiste à prendre deux morula, à les agréger entre elles pour obtenir une seule grosse morula, mélange des cellules des deux autres. Cette morula va ensuite se développer et donner un produit, cependant, la grosse morula, avant de reprendre son développement, va réduire sa taille et son nombre de cellules ; elle ne reprendra son développement qu'après cette réduction. Ceci démontre la très forte organisation de ces cellules qui sont littéralement capables de se compter entre elles en ne conservant que celles qui doivent l'être.



De telles manipulations ont déjà eu lieu chez la souris mais la plus célèbre a eu lieu entre la chèvre et le mouton .
Au stade morula à 8 ou 16 cellules, qui a lieu au quatrième jour, il existe un phénomène qui renforce encore l'organisation des cellules de l'embryon en les scellant étroitement entre elles et en augmentant leur interdépendance : la compaction.

Individualisation

L'embryon poursuit ensuite son développement du stade morula vers le stade blastocyste. C'est à ce stade, vers le cinquième jour, que la masse interne s'individualise : c'est cette masse interne que l'on ponctionne pour prélever les cellules souches embryonnaires, ou cellules ES, en entrainant la destruction de l'embryon. Elles sont destinées à créer des lignées dans le cadre de la thérapie cellulaire embryonnaire ; les embryons utilisés sont soit les embryons dits surnuméraires, soit ceux créés pour la recherche, soit ceux issus du clonage.
Un argument souvent utilisé pour dire que l'embryon n'est un être humain qu'après quelques jours de développement est la gémellité. Il paraît paradoxal de dire qu'une unique cellule puisse être deux êtres humains. Plusieurs arguments peuvent éclairer cette question. Tout d'abord les siamois, sorte de jumeaux incomplètement séparés, partagent en grande partie le même organisme, ce qui peut les rendre indissociables ; ils forment néanmoins deux êtres humains parfaitement distincts avec un unique organisme comme Abigail et Brittany . Ensuite, il est possible que, dans l'espèce humaine, la vraie gémellité soit programmée dans les gènes, comme dans certaines espèces animales (tatou), inscrivant d'emblée le fait que cette cellule de départ programme pour deux êtres ; le fait qu'il n'ait jamais été possible d'obtenir de jumeaux par scission gémellaire chez les primates supérieurs plaide en faveur de cette hypothèse.
Sur le plan de la biologie, tout indique donc clairement que l'embryon est un être humain dès la fécondation. C'est au politique de lui donner la place qui lui revient de droit dans la société.

H. BL.*
*Directeur de la recherche à la Fondation Jérôme-Lejeune.