LES TECHNOLOGIES BIOMEDICALES fondées sur la thérapie génique et la thérapie cellulaire prendront certainement de plus en plus d'importance dans la biomédecine au cours du XXIe siècle. La thérapie génique consiste, en présence d'une maladie génétique, à transférer un gène " sain " sur un patient malade alors que la thérapie cellulaire ou de tissus consiste à cultiver puis implanter des cellules ou des tissus sains sur le patient.
Si on peut transplanter des tissus grâce à la chirurgie, comme cela se fait fréquemment aujourd'hui, on pourrait en conclure qu'il serait d'autant plus simple de transférer des gènes ou des cellules.
La thérapie génique
La thérapie génique a retenu l'attention des scientifiques car, grâce à elle, il paraissait possible de soigner les véritables causes de la maladie et non plus simplement les symptômes, comme cela se faisait jusqu'à présent. La difficulté était de pouvoir identifier le gène responsable de la maladie et ensuite de l'isoler au sein de l'organisme. On considérait qu'il serait facile d'obtenir de grandes quantités de copies de ce gène, qu'il serait également facile de l'introduire au moyen d'un vecteur dans l'organisme, et enfin, de l'insérer dans les chromosomes.
Au début des recherches nous étions assez optimistes et nous pensions que la plupart des maladies étaient contrôlées, c'est-à-dire déterminées par un seul gène, et que, de ce fait, il devait être facile de les combattre. Mais depuis deux décennies, les chercheurs se sont rendus compte que si les conditions nécessaires pour mener à bien une thérapie génique pouvait être réunies, il restait encore beaucoup de problèmes à résoudre. Les gènes peuvent être isolés mais on ne peut pas contrôler leur expression dans l'organisme de façon satisfaisante. De plus ils peuvent être transférés mais on ne contrôle pas avec précision l'emplacement où il sont insérés. Et même si l'on peut contrôler l'insertion et l'expression de ces gènes, il n'est pas possible de contrôler parfaitement l'interaction des produits de ces gènes avec d'autres produits génétiques interagissant en vue de l'exécution d'une fonction déterminée.
En plus de ces difficultés, les chercheurs ont découvert au cours des dernières années que la plupart des maladies d'origine génétique n'étaient pas forcément contrôlées par un seul gène. En effet, 98 % des maladies qui détiennent une composante génétique sont contrôlées par plusieurs gènes et par leur interaction. Ceci ne signifie pas que la thérapie génique ne constituera pas l'un des instruments thérapeutiques les plus puissants, mais il faut encore mener de nombreuses recherches fondamentales si l'on veut atteindre le stade de l'application clinique, tout en ayant bien sûr conscience des responsabilités scientifiques et éthiques. En bio-médecine il ne faut pas se laisser guider par des impressions premières, immédiates.
La thérapie cellulaire
La thérapie cellulaire est venue renforcer et compléter la thérapie génique dans des domaines où cette dernière ne pouvait exercer son action. On sait que si le comportement de certains organes provoque des maladies, leur remplacement par des organes sains peut guérir la maladie en question. Ceci est à la base de la transplantation d'organes. Par conséquent, l'insertion d'un gène, dans le cas de gène déficient, ne pourrait-elle pas également guérir la maladie ?
Ainsi, si l'on pouvait remplacer les cellules malades par des cellules saines on réussirait à éradiquer la maladie. En suivant l'hypothèse selon laquelle chaque cellule provient d'une autre cellule, la réalisation de ce type de thérapie paraissait insurmontable : il aurait été nécessaire de remplacer les cellules malades. Partant de ce présupposé, il faudrait trouver des cellules capables d'acquérir le phénotype, c'est-à-dire les caractéristiques, des cellules à remplacer de sorte que ces cellules, en se divisant, pourraient remplacer la population des cellules malades. Ces cellules existaient — lors des transplantations de moelle osseuse par exemple — mais malheureusement seul un très petit nombre de cellules peut être transplanté et uniquement des cellules " souches " qui, par division, donnent naissance à une population de cellules saines. Même si les cellules transplantées étaient saines on ne parviendrait pas à faire obstacle au dommage causé par les cellules malades, étant donné qu'on ne pourrait pas récupérer le tissu endommagé.
Jusqu'à ces dernières années, la thérapie cellulaire était perçue comme de la pure fiction, étant donné que la plupart des cellules disponibles pour des transplants étaient dans un processus de différenciation appelé terminale. La difficulté venait essentiellement du fait qu'on ne pouvait obtenir certain type de cellules qu'à partir de cellules ayant le même phénotype. Donc tout le défi consistait à trouver des sources n'ayant pas ce même phénotype mais à un stade antérieur. Il n'y avait pas moyen d'obtenir que des cellules ayant un phénotype déterminé puissent, au moyen de signaux biochimiques, se différencier pour donner lieu à d'autres phénotypes et que ces cellules se multiplient de façon intensive.
Le problème de l'identification des cellules
Les problèmes que rencontrait la thérapie cellulaire étaient, dans un premier temps, semblables à ceux que rencontrait la thérapie génique et ils n'ont toujours pas trouvé de solutions, bien que l'on pensât qu'ils auraient pu être résolus plus facilement. Les problèmes rencontrés par la thérapie génique étaient liés à l'identification des gènes. Et les premiers problèmes de la thérapie cellulaire étaient liés à l'identification des cellules, cellules qui auraient pu donner lieu à des phénotypes différents grâce au contrôle de leur division et propagation. Il semblait que si l'on réussissait cela, il serait plus facile de les insérer dans des organismes et que l'on pourrait contrôler les effets de l'insertion.
La première exigence, celle de contrôler les cellules, a été réalisée, aussi difficile que cela puisse paraître, ou du moins semble pouvoir être réalisée.
On savait que toutes les cellules de l'organisme provenaient d'une seule cellule, le zygote de l'embryon. La question était donc : Existe-t-il des cellules qui, comme l'embryon, seraient capables de se multiplier en laboratoire de façon indéfinie et de devenir des cellules d'un phénotype déterminé, celui que l'on recherche, voire même de pouvoir construire un organe qui, par son insertion dans le patient, permettrait de guérir la maladie ?
Il semblait au départ qu'il était impossible de partir de cellules déjà différenciées puisqu'on croyait que la détermination phénotypique donnait lieu à une perte définitive du matériel héréditaire. Le retour en arrière semblait donc impossible.
Cependant il existait certaines informations démontrant le contraire. Ainsi des cellules différenciées introduites dans la masse interne du plastocyte peuvent produire des phénotypes différents. Par conséquent, il existait un mécanisme selon lequel des cellules différenciées pouvaient être reprogrammées et adopter des phénotypes nouveaux.
Pendant longtemps on a cru que le destin d'une cellule était lié à son tissu d'origine. Mais aujourd'hui les études ont montré que la plasticité de certaines cellules était beaucoup plus importante que nous ne l'imaginions. Par exemple, certaines cellules de la moelle osseuse, lorsqu'elles sont transférées chez des souris immunodéficientes se transforment en cellules exprimant des antigènes qui ressemblent à des neurones. En revanche certaines cellules neuronales peuvent se différencier en cellules miéloïdes ou lymphoïdes du système lymphatique lorsqu'elles sont transférées dans le système hématopoïétique de souris irradiées (qui ne possèdent plus de cellules hématopoïétiques). Ainsi, certaines cellules adultes ne sont pas irrémédiablement condamnées à ne se " reproduire " qu'en un seul type de lignée cellulaire. Ceci dépend en fait de leurs relations internes et externes avec les autres cellules.
Cellules souches et embryonnaires
La naissance de Dolly a montré de façon claire que le noyau d'une cellule déjà différenciée, comme c'est le cas d'une cellule de la glande mammaire, contient l'information nécessaire lui permettant de supporter l'héritage et le développement de tout un organisme équivalent à celui sur lequel il a été pris. Cependant, puisqu'il était nécessaire d'insérer le noyau extrait de la cellule de la glande mammaire dans le cytoplasme d'un ovocyte, la naissance de Dolly a aussi montré que ce n'était pas seulement le noyau qui contrôlait le développement, bien qu'il contrôlât l'héritage, mais que d'autres facteurs rendaient également possible l'expression des gènes remplaçant le gène antérieur.
On sait qu'une seule cellule embryonnaire est capable de commencer le processus qui, petit à petit, va générer toutes les cellules composant l'organisme d'une personne, à travers la formation d'autres cellules qui contiennent une détermination et une différenciation particulières. Ceci veut dire qu'une seule cellule embryonnaire est capable de répondre aux signaux particuliers et d'entreprendre le processus de formation d'une personne, mais ceci ne veut pas dire qu'une telle cellule in vivo possède de façon directe la capacité d'engendrer toutes et chacune des cellules de l'organisme car celles-ci ont acquis leur phénotype, non pas à partir de la cellule embryonnaire, mais à partir de cellules intermédiaires possédant des phénotypes particuliers. C'est à partir de ces phénotypes qu'ont été engendrés de façon successive les différents dèmes cellulaires du corps. La découverte selon laquelle les cellules embryonnaires ont la capacité de répondre à toutes sortes de signaux, d'entreprendre des routes de détermination et de différenciation spécifiques et de donner lieu à des lignées cellulaires est probablement l'une des plus spectaculaires de la fin du XXe siècle.
La recherche devrait donc se concentrer sur deux domaines : l'identification des cellules souches capables d'entreprendre des routes de différenciation, et l'identification des facteurs capables de renverser les programmes de ces cellules et de les orienter vers la formation des phénotypes désirés. Il était donc nécessaire de trouver des cellules qui ne soient pas déterminées et différenciées de façon irréversible mais ouvertes à d'autres possibilités. C'est ce qu'on appelle en biologie des " cellules souches ", (ou somatiques, par opposition à embryonnaires) c'est-à-dire à potentialité multiple, qu'il s'agisse d'uni-potentialité, de pluri-potentialité, multi-potentialité ou toti-potentialité.
En réalité on connaissait au moins deux types cellulaires capables de mener à bien ces fonctions : les cellules souches hématopoïétiques (du sang) et les cellules souches neuronales (des neurones). Les cellules souches hématopoïétiques peuvent être à l'origine des cellules ayant des phénotypes très différents, aussi bien fonctionnels que morphologiques, mais toujours dans le système des cellules du sang et du système immunitaire. Les cellules neuronales, quant à elles, peuvent être à l'origine de cellules nerveuses de phénotypes fonctionnels et morphologiques très différentes bien que toujours au sein de la lignée neuronale.
Potentialité des cellules souches adultes
L'étape à franchir pour que la science-fiction puisse se transformer en réalité était de trouver des cellules souches capables cette fois-ci d'engendrer d'autres lignées cellulaires et de contrôler leur localisation. Et la surprise a été de découvrir que des cellules souches capables de produire plusieurs lignées cellulaires différentes se trouvaient non seulement dans les cellules embryonnaires mais aussi dans tous les tissus de l'organisme. Nous découvrions ainsi que des cellules souches pouvaient être " produites ou extraites " du patient lui même ; et en tout cas, sans être confrontés au problème éthique de l'exploitation du patrimoine cellulaire de l'embryon, et de sa destruction.
Cependant, en l'état actuel des connaissances, il existe une grande différence entre les cellules souches embryonnaires et les cellules souches adultes. Ces dernières ne sont pas totipotentes, elles ne se divisent pas de façon continue mais meurent au bout de quelques jours de culture. Enfin, et c'est la différence la plus importante, les cellules souches embryonnaires peuvent produire toutes sortes de lignées cellulaires, alors que les cellules souches adultes sont encore limitées à quelques types de lignées cellulaires. Sans connaître la raison exacte de ce phénomène nous pouvons supposer que les cellules souches adultes ont déjà fait l'objet de certaines déterminations et quelles sont par conséquent moins " malléables ", moins sensibles aux signaux moléculaires.
Il ne serait cependant pas impossible que les cellules souches adultes puissent, dans des conditions bien précises de culture acquérir des qualités équivalentes aux cellules souches embryonnaires. Mais ceci peut avoir aussi bien des avantages que des inconvénients : tout dépend en effet de la façon dont on emploie les cellules souches. Il peut paraître plus approprié d'utiliser des cellules ayant déjà un certain degré de détermination, par exemple l'ectoderme ou le mésoderme, si l'on veut produire des cellules différenciées se trouvant déjà dans l'une de ces cellules.
Il est possible d'obtenir des cellules multipotentes, pluripotentes ou totipotentes à partir de tissus provenant de tissus adultes, à partir de cellules partiellement différenciées, à partir de tissu fœtal, à partir de cellules extraites d'embryons clonés ou conçus in vitro.
Lorsqu'il sera possible d'isoler, de cultiver et de contrôler facilement les voies de différenciation de ces cellules, pourront être obtenue aussi bien à partir de cellules souches embryonnaires que de cellules adultes, des tissus en vue de transplantations cellulaires, mais pas avant.
Questions en suspens
Il reste un grand nombre de questions auxquelles la science n'a toujours pas apporté de réponses mais qui sont absolument essentielles pour utiliser les cellules souches en médecine :
• Existe-t-il un type particulier de cellules souches ?
• Quel est le mécanisme de la re-programmation des cellules adultes ?
• Existe-t-il une re-différenciation et une re-programmation ou simplement une trans-différenciation ?
• Comment s'assurer que les cellules souches sont fonctionnelles ?
• Quel est le mécanisme de synchronisation entre la fonctionnalité du noyau et du cytoplasme ?
• Quels sont les signaux activant l'ovocyte nucléé récemment formé ?
• Quels sont les signaux (génétiques ou épi-génétiques) nécessaires à la progression de ce type d'ovocyte nucléé ou de la cellule mère ?
Lorsque les chercheurs auront répondu à toutes ces questions, il sera alors possible de songer à plusieurs applications cliniques. Citons, entre autres, l'utilisation des cellules souches pour guérir des maladies neuro-dégénératives, pour soigner le système hématopoïétique — ce sera certainement l'une des utilisations les plus faciles — ainsi que le diabète de type 1 — cette utilisation fait déjà l'objet d'expériences cliniques — et peut-être même le cancer grâce au contrôle des cellules souches.
Se pose enfin une question éthique fondamentale dans la mesure où les cellules souches d'origine embryonnaire sont extraites d'embryons qui périssent du fait de cette extraction.
Et nous nous trouvons confronté à cette question fondamentale : quel est le statut de l'embryon ?
C. A.-B.