Ce témoignage s'enracine dans une pratique. Infirmière pendant de longues années, mon attention s'est portée tout particulièrement sur les malades gravement atteints et les mourants. " Les soigner " a été le " fil rouge " de mon parcours professionnel.
Soignants, nous avions été formés pour " guérir "les maladies et quand les perspectives de guérisons disparaissaient, c'était l'échec. Les infirmières continuaient les soins naturellement. Les médecins disparaissaient... Pour tous -y compris les proches- manquait l'expérience de ce qui touche la mort, l'avant et l'après.Et pourtant les malades étaient là, vivants, exprimant des besoins et pas seulement " en soins ". Chanter, célébrer une fête familiale, communiquer encore avec ceux qu'ils aimaient ou avec d'autres... Il ne faut pas oublier que la mort est un acte social.
Tout naturellement, je me suis trouvée dans le réseau des Soins Palliatifs et de l'accompagnement et j'y suis toujours. Je suis aussi engagée dans le mouvement assiociatif JLMALV (Jusqu'à la mort accompagner la vie). JLMALV a toujours lutté contre l'exclusion des grands malades et des mourants. JLMALV se veut un lieu d'accueil, de soutien, mais également un carrefour d'idées, d'échanges, de réflexions et d'actions ouvert à tous. Nous n'avons pas de référence religieuse ou philosophique.
Quels sont les principes sous-jacents aux soins palliatifs et à l'accompagnement ? Les soins palliatifs et l'accompagnement s'adressent à une personne et une personne vivante.
Une personne. Chaque personne est unique et irremplaçable. Elle est aussi un mystère aux facettes inombrables dont, par définition, on ne peut qu'approcher. On parle cependant de " personne globale " ( est-ce antinomique ?). Il s'agit de différentes approches destinées à affiner l'écoute et à mieux comprendre pour mieux soigner et accompagner.
-L'approche du corps. Le corps est le lieu où se manifestent la douleur et la souffrance. C'est aussi le haut lieu de la communication où s'exprime notamment l'amour. C'est à travers le corps que l'on prodigue les soins -au sens le plus profond-, que l'on prodigue la tendresse et que l'on manifeste sa présence.
-La vie affective s'est construite à travers les joies et les épreuves. Des désirs, des blessures sont peut-être présents au plus profond de l'intime et qui affleurent dans la vie quotidienne.
-Chaque personne à ses liens d'appartenance qui fondent son identité : sa race, sa culture, des habitudes de vie qui l'ont façonnée.
-Enfin chaque personne est un être spirituel, même s'il n'a pas de référence religieuse explicite. La recherche du sens de la vie est une quête profonde de l'être.
Toute souffrance dans l'un de ces domaines retentit dans tout l'être, et le corps l'exprime, même si cela n'est pas objectivable par une radio ou par une expérience de labo.
De plus, le temps et le lieu dans lequel nous vivons sont des données importantes. Notre environnement nous aide ou nous destabilise. Mourir chez soi ou mourir à l'hôpital n'est pas neutre.
Une personne vivante : selon le professeur Rüber Ross, " la vie est une croissance de la naissance à la mort ", marquée par des étapes particulières à chacun, alternatives de joie, de peine, d'expériences diverses : étapes qui s'aditionnent, s'enrichissent les unes, les autres. Et j'en témoigne, l'étape qui précède la mort -longue parfois- rejoint en richesse et en virtualité, l'étape de la naissance.
" Personne ", " personne vivante ", dans ce contexte, il ne s'agit plus de malade ou de mourant, mais d'une personne qui traverse l'épreuve de la maladie et/ou de la mort. La nuance est de taille. Nous sommes devant un être de ???????????? qui fait des choix, qui à des choses à nous dire, à nous transmettre.
À l'égard de la personne que représentent les soins palliatifs et l'accompagnement ?
Les soins palliatifs. Ces soins " visent à répondre aux besoins spécifiques des personnes atteintes d'une maladie évolutive ou terminale ". Leur objectif est de " soulager les douleurs physiques ainsi que les autres symtômes et de prendre en compte la souffrance psychologique, sociale et spirituelle "(Préambule des statuts de la société française d'accompagnement et de soins palliatifs -SFAP). Soulager la douleur est un objectif de plus en plus atteint qui permet aux malades et à leur entourage de retrouver une certaine qualité de vie.
L'accompagnement. C'est se mettre à la disposition de la personne éprouvée pour être à ses côtés au cours de son " voyage ". C'est elle qui imprime le rythme, donne la cadence. Accompagner, c'est donc respecter ses avancées, ses arrêts et ses reculs. Parfois, il faut savoir s'effacer un moment lorsque la personne désire aller seule, tout en restant secrétement disponible. Mais accompagner, c'est également s'occuper des proches et cela, de deux manières : 1/ les accompagner eux-mêmes dans l'épreuve qu'ils traversent, sachant qu'ils représentent une constellation d'êtres différents aux réactions contrastées, 2/ Les accompagner pour qu'ils puissent être accompagnants, en leur suggérant ce qu'ils peuvent faire, en les laissant " oser faire ", en les laissant imaginer les petits rien qui manifestent de la tendresse, en les associant aux soins, moments si précieux qui permettront à la vie de renaître la mort advenue. L'accompagnement est collectif. Le médecin, les soignants, les bénévoles, l'aumônerie accompagnent chacun selon selon sa fonction et ses qualités et dans une mutuelle assistance le malade. Ensemble, on " approche " mieux le malade si différent avec l'un ou avec l'autre. C'est souvent à l'agent hôtellier ou à un bénévole que l'angoisse d'une mort qui approche est confiée. À l'équipe entière d'être attentive. L'accompagnement nécessite une présence qui sache écouter. Écouter les doutes, les angoisses, les questions. Simplement écouter, le malade élabore si souvent ses propres réponses. L'accompagner, c'est lui permettre d' " être " et non le juger. Il " est " avec son vécu, ses insuffisances parfois. Mais il ne nous appartient pas de les juger, mais d'installer une certaine complicité, une certaine confiance.
Que devient dans tout cela la demande d'euthanasie ?
Il est important qu'elle puisse être exprimée et qu'elle puisse être entendue, l'euthansie étant l'acte dont la finalité est d'interrompre la vie. Il m'a fallu beaucoup de travail sur moi pour que je respecte " l'autre " jusqu'au bout. Il est tentant d'exclure ce que l'on ne veut pas entendre. Est-ce respecter l'autre ? Cette demande, si demande il y a, est généralement le signe d'une souffrance. " Je souffre tellement que je préfère mourir. Je ne veux plus ou ne peux plus vivre. " L'être humain est complexe. Il est important devant un tel appel de ne pas le prendre immédiatement au premier degré mais de chercher à comprendre. De quoi s'agit-il ?
-La souffrance est physique -et c'est une façon de dire que la souffrance est insupportable. La douleur calmée, le malade soulagé dira : " Vous avez compris, c'est ce que je voulais dire. "
-Il peut y avoir un manque d'amour, une absence des proches. Comment vivre sans amour ?
-Des malade -des personnes âgées notamment- peuvent se sentir comme un poids pour leur entourage. Poids matériel, poids financier...
-Des personnes âgées par exemple n'ont plus de " chez soi ", de lieu de repli où se situer, même si elles ne peuvent plus y retourner. Comment vivre sans racine ?
-Ce changement de l'image de soi - ce que la société appelle globalement la perte de dignité- est une rude épreuve. Des personnes nous montrent des photos d'elles qui n'ont plus qu'un lointain rapport avec ce qu 'elles sont devenues. Elles cherchent dans notre regard une raison de vivre, un droit de vivre et d'être aimé.
La liste est longue...
Il faut savoir que chacun est unique. Tel malade atteint d'un cancer de la face et ayant perdu l'usage de la vue manifestera l'ardent désir de vivre alors que tel autre autre, moins atteint, abandonnera.
Comprendre, écouter, c'est tenir compte de deux facteurs.
-L'ambiguïté de l'être humain. Nous voulons vivre et mourir. Une femme atteinte d'un cancer refuse certains soins ne voulant pas que l'on touche à l'intégrité de son corps (elle était très belle...) et préfère mourir. En même temps, elle dit " regardez comme je maigris, je ne suis pas assez nourrie, il faut faire quelque chose ".
-Nous sommes des êtres de finitude et d'infinitude. L'avancée dans la vie n'est pas linéaire. Cette demande d'euthanasie persiste-t-elle dans le temps ? Surtout si l'appel profond est entendu et reçu... Le malade peut s'orienter différemment au bout d'un moment.
Par ailleurs il faut savoir qu'une famille, des soignants exténués peuvent entendre cet appel désespéré au premier degré. Aussi importe-t-il que l'accompagnement soit collectif.
Un malade soulagé, entouré ??????????????????????????????????????????????????
Néanmoins, les repères sont clairs.
" L'euthanasie n'est pas une réponse pertinente. "
" Les soins palliatifs et l'accompagnement considèrent le malade comme un être vivant et la mort comme un processus naturel. Ceux qui les dispensent cherchent à éviter les investigations et les traitements inutiles. Ils se refusent à provoquer intentionnellement la mort. Ils s'efforcent de préserver la meilleur qualité de vie possible jusqu'au décès."
Le Code de déontologie de 1995 reprend les articles 36, 37 et 38, les mêmes principes.
Soigner et accompagner les grands malades et les mourants est une école de vie. Prés d'eux, j'ai appris, reçu et je leur dois l'appréhension que j'ai désormais de la vie : aujourd'hui avec sa densité, ses virtualités. Un proverbe africain l'atteste : " Les vivants ferment les yeux des morts, mais les morts ouvrent les yeux des vivants. "