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Quelle société voulons-nous ?

Quelle société voulons-nous ?
  • Auteur : Cardinal André Vingt-Trois
  • Editeur : Pocket
  • Année : 2012
  • Nombre de pages : 160
  • Prix : 6,70 €

On a reproché souvent à l'épiscopat des interventions politiques décalées ou sans relief : longtemps, la confusion entre justice et charité, retranchée sous une forme d'apolitisme, a produit des textes moralisants très consensuels ou des considérations hasardeuses sur les vertus de l'intercommunalité, de l'ouverture des frontières ou de l'avenir de l'euro. Rien de tel chez le cardinal André Vingt-Trois qui semble se délecter avec les sujets qui fâchent. Invité le 19 janvier du « Fil rouge » de Christophe Hondelatte sur RTL pour présenter son dernier livre, le président de la conférence des évêques a souhaité dans un langage fleuri que les chrétiens ne votent pas bêtement… 

Trois mois avant l’élection présidentielle, le cardinal s’engage donc dans la campagne en publiant un véritable guide de discernement politique. « Quelle société voulons-nous ? », est un recueil de ses interventions sur les grands sujets de société depuis 2006. L’archevêque de Paris y délivre les principaux axes de son enseignement sur la responsabilité politique des chrétiens. Pour voter intelligent.

L’Église ne donne pas de consignes de vote, ni de solutions techniques qui ne sont pas de sa compétence, rappelle le cardinal : il s’agit d’éclairer les consciences en donnant « des éléments de décision au choix libre et informé » de chacun. Et dans la mesure où la pensée politique de l’Église délivrée par sa doctrine sociale s’adresse à la raison, le message vaut pour tout homme de bonne volonté.

Mgr Vingt-Trois expose les grands principes fondateurs de la société qui doivent guider le jugement politique : la recherche du bien commun (« pas de solidarité sans perception du bien commun »), la place de la famille, la liberté d’éducation, le service des plus pauvres, la liberté religieuse. Il évoque aussi les enjeux posés par l’évolution de la laïcité, du  relativisme démocratique ou du respect de la vie.

Sont pointées les dérives d’une société qui juge tout progrès à l’aune de l’économie : « Nos attentes sont devenues tributaires d’une sorte de marchandisation de l’action. » Quel respect de l’homme cela signifie-t-il ? Ce diagnostic ne devrait-il pas interroger aussi toutes nos communautés, nos associations, notre travail ? Même dans l’Église, la tentation est courante de soumettre nos décisions aux promesses de l’argent.

Dans un prologue inédit, Mgr Vingt-Trois propose une réflexion sur le vote catholique. L’électeur sait que le candidat idéal n’existe pas. Éclairé par les principes éthiques objectifs, il doit prendre conscience que dans la bataille politique, la loi du rapport de forces fait partie du jeu, dès le premier tour. La préférence spontanée pour le candidat le plus pur peut entraîner l’exclusion de ceux qui pourraient empêcher ceux dont il ne veut à aucun prix pour des raisons morales impératives. « Nous devons soigneusement distinguer ce qui relève de l’impossibilité de conscience et ce qui relève d’un choix encore acceptable, même s’il ne correspond pas totalement à nos convictions, parce que alors un bien (même modeste) reste réalisable ou peut être sauvegardé […]. »

Reprenant la formule du théologien Jean-Miguel Garrigues, le cardinal montre qu’il ne s’agit pas de voter selon le moindre mal, « mais de promouvoir humblement le meilleur possible, sans illusion ni défaitisme et simplement avec réalisme ».

Plus loin, l’archevêque de Paris évoque la moralité personnelle des candidats, et « la séparation si facilement admise aujourd’hui entre la vie publique et la vie privée ». La droiture d’une vie n’est pas sans conséquence sur ses choix politiques. Pour autant, l’honnêteté ne fait pas l’envergure ni la compétence… Faut-il apprécier un homme public sur sa politique publique ou sur sa vie privée ?

En 2008, Mgr Vingt-Trois avait développé devant les juristes catholiques un point décisif dans le comportement des hommes politiques contemporains : celui de la cohérence entre sa conscience et ses actes, où se joue l’autorité morale réelle du responsable politique sur la société. « Reconnaître cet écart entre ce que nous souhaitons faire et ce que nous pouvons faire est une chose, explique-t-il, mais le justifier en disant que les convictions sont de l’ordre de la vie privée tandis que la responsabilité concerne la vie publique, ce n’est plus une position tenable aujourd’hui. » C’est là l’une des sources majeures de la méfiance inspirée par la classe politique : comment être crédible pour faire le bien quand on désobéit à sa conscience ?

Beaucoup, sans doute, ne trouveront pas dans ce petit ouvrage de 150 pages les slogans définitifs qui rassurent. C’est aussi ce que veut le cardinal : pour voter intelligent, il faut saisir le poids du réel et éclairer sa conscience avec un minimum de réflexion.

 

Philippe de Saint-Germain


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