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Les Français

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Jugez l'œuvre, ne jugez pas l'artiste recommande prudemment l'ancien président de la République, citant Aristote, dès l'ouverture de cet essai qu'il consacre aux causes du déclin politique de la France.

Celui-ci ne doit pas être confondu avec la perte de puissance, laquelle se mesure par comparaison avec les autres nations. Il est d'abord interne et se reconnaît à une moindre capacité d'adaptation, une ambition collective plus incertaine, un repli dans la protection passive des privilèges, qui sont autant de symptômes de plus en plus visibles dans notre pays depuis 1815.D'emblée, Valéry Giscard d'Estaing emboîte le pas d'Edmond Burke qui, en 1790, voyait dans la prétention des Français à faire " table rase " du passé la cause de l'échec inéluctable de l'expérience de monarchie constitutionnelle alors en cours. L'inventeur de la " démocratie libérale avancée " estime que cette propension toujours très présente dans notre pays depuis le XVIIIe siècle à vouloir détruire l'ordre existant pour tout reconstruire de façon rationnelle, ce refus de réformer progressivement, sont les premiers responsables du déclin français. FrustrationsL'ancien président de la République, l'apôtre du " changement ", pointe une frustration, cause de bien des malheurs français : les réformateurs radicaux s'affligent de leurs échecs constants à remplacer les structures sociales héritées de l'histoire par des institutions nouvelles issues du seul rationalisme critique. Selon lui, ce dépit explique la relation trouble et conflictuelle que les Français entretiennent avec leur passé et leur tendance à vivre confinés sur les deux derniers siècles de leur histoire. Il est aussi à l'origine des multiples convulsions politiques que la France a connues aux XIXe siècle, et qui ne cessent de se poursuivre à travers un affrontement " entre le camp — ou la sensibilité — du rationalisme hérité des Lumières, exaspéré de constater que la table rase n'est toujours pas réalisée et qui essaie périodiquement de remettre l'ouvrage sur la table, et le camp de ceux qui croient à l'existence de structures politiques et sociales formées par le temps [...] et qui s'efforcent d'adapter les institutions existantes. Cet antagonisme acharné entre les partisans de la " table rase " et ceux qui souhaitent faire évoluer l'existant continue de donner aujourd'hui encore son caractère particulier, irréductible et quasi religieux, à la coupure entre la droite et la gauche dans le subconscient politique des Français, alors même que les politiques menées par chaque camp sont désormais très semblables et que la tentation de la " table rase " est désormais dépourvue de toute vraisemblance.Valéry Giscard d'Estaing invite donc les Français à renouer avec une histoire commune riche et ancienne et surtout à oublier une querelle qui a alimenté notre déclin politique par l'effet de sa force de division perverse. On souscrira volontiers à ce diagnostic au demeurant classique tout en regrettant que l'origine de cette préférence fatale pour la " table rase ", sa signification philosophique et ses implications actuelles au-delà du débat politicien, ne soient pas davantage éclairées.Immigration : du fort au faibleCe constat central inspiré de Burke étant dressé, l'ancien président énumère une série de réformes souvent intéressantes susceptibles de libérer les énergies dans tous les domaines de la vie nationale, sans d'ailleurs jamais oublier de souligner les carences de son successeur actuel à l'Élysée — on ne se refait pas.Il dénonce ainsi la complexité et la lourdeur excessive de nos prélèvements fiscaux et sociaux qui ont atteint un record absolu en 1999 avec 45,6 % du PIB et constituent à leur manière une nouvelle révocation de l'édit de Nantes, puisqu'ils incitent nombre de talents français à aller tenter leur chance à l'étranger. Alléger et simplifier le système fiscal français suppose de réduire une dépense publique qui n'a pas cessé d'augmenter au cours des décennies 1980 et 1990 : Valéry Giscard d'Estaing suggère pour cela de remédier à la sur-administration qui handicape notre pays et de réviser le statut de la fonction publique, devenu trop rigide et inadapté. C'est donc à une double évolution qu'il appelle, à la fois quantitative, par des recrutements de fonctionnaires sensiblement moins nombreux que leurs départs à la retraite, et qualitative, grâce à une gestion plus souple des personnels, accordant plus de place au mérite, dans une administration moins hiérarchique, à structure de " mission ".L'ancien chef de l'État souligne par ailleurs l'urgence d'une nouvelle approche de la question de l'immigration fondée sur une perception lucide du changement fondamental des données démographiques. Alors que dans les années 1950, la population du continent européen représentait l'équivalent des populations d'Afrique et d'Amérique réunies, elle est dépassée par chacune d'elle en 2000 et la tendance est destinée à s'accentuer dans les 50 prochaines années : face à une population européenne en baisse, qui affiche 628 millions d'habitants, le continent africain compte 1 milliard 766 millions d'habitants ! Le mouvement migratoire s'effectue désormais du démographiquement fort vers le démographiquement faible. Au lieu de se diluer, ce qui est le mouvement naturel lorsqu'il s'agit des flux entre les moins nombreux vers les plus nombreux, l'immigration tend à se concentrer sur certains territoires, et à chercher à conserver ses caractères et sa culture d'origine, ce qui est la démarche inverse de l'intégration. C'est pourquoi l'immigration suscite dans les pays d'accueil la crainte instinctive et souvent inavouée de voir le flux migratoire remettre en question leur culture, leurs conditions de vie et leur environnement social. Ces réactions n'ont rien de commun avec le racisme et la xénophobie de l'Allemagne hitlérienne qui procédaient d'une exaltation de la supériorité ; elles s'apparentent davantage à ce qu'Alphonse Daudet appelait la colère des faibles.Ce ne sont ni les condamnations, ni les exorcismes qui apaiseront cette crainte que Valéry Giscard d'Estaing redoute de voir dégénérer en réactions imprévisibles. Il appelle donc à rompre le tabou qui entoure la question de l'immigration pour définir une politique juste et rationnelle, laquelle pourrait s'organiser autour de trois axes : fixation de quotas annuels d'immigration à partir des pays d'origine et des vocations professionnelles des intéressés ; interruption du flux d'immigration clandestine et reconduite dans leur pays des immigrés clandestins ; lancement d'une grande politique d'intégration des Français ayant acquis récemment notre nationalité et de leurs enfants.On notera que le seul mea culpa de l'ancien président de la République concerne la mesure de regroupement familial autour du père de famille immigré, adoptée lors de son septennat et, surtout, on s'étonnera que son analyse des déséquilibres démographiques mondiaux ne soit pas prolongée d'une réflexion sur les politiques à mettre en œuvre en France pour encourager la natalité et la famille.Europe : la fin de l'Europe puissanceQuant aux institutions européennes, Valéry Giscard d'Estaing estime que le projet d'Union de l'Europe risque d'échouer car la réunification de l'Allemagne est intervenue avant son achèvement. Aujourd'hui, l'Europe semble donc plutôt s'orienter vers l'organisation d'un espace continental, comprenant de 27 à 30 États membres, au sein d'une Conférence des États d'Europe gérant un large marché, pratiquant une coopération intergouvernementale, mais dotée d'un pouvoir décisionnel faible. Cette évolution tendra de plus en plus à priver de son objet le débat opposant européistes et souverainistes.Au total, cette enquête sur les causes du déclin politique français comporte donc des analyses pertinentes, conduites avec le brio de son auteur. On y trouve aussi des développements plus démagogiques, quoique très aimables (" les femmes françaises sont parfaites... "). Pourtant, même justifiées, ces réflexions restent souvent superficielles. En témoigne l'hymne à la " modernité " qui court tout au long de l'ouvrage. Non définie, présentée comme une panacée, cette " modernité " pourrait bien renvoyer en fait, à l'insu de l'auteur, à l'idéologie de la " table rase " qu'il décrie par ailleurs avec juste raison.MICHEL DES BOSCSArticle paru dans "Liberté Politique" N°15


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