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Histoire du paysage français

Histoire du paysage français
  • Auteur : Jean-Robert Pitte
  • Editeur : Tallandier
  • Année : 2012
  • Nombre de pages : 444
  • Prix : 10,00 €

Longtemps, au travers de la lecture, notre imagination errait. Elle errait, mais elle souffrait aussi de l’incertitude factuelle à laquelle elle se voyait assignée. L’imaginatif aspire à penser juste. La «maîtresse d’erreurs et de faussetés», la « folle du logis » vilipendée par Blaise Pascal et Nicolas de Malebranche est souvent de bonne foi lorsqu’elle accompagne la lecture d’un livre d’histoire. La somme de Pitte est à cet égard  d’un merveilleux secours. Avec elle, l’Histoire de France, de la préhistoire à nos pauvres jours, devient presque une science exacte : l’Histoire, qui nous parle d’abord du temps, se double de sa deuxième dimension, l’espace. 

Au commencement étaient les Romains, serait-on tenté d’affirmer. Sans même se référer à la Naissance de la noblesse de Werner [1] qui situe son origine dans la structuration même de la noblesse romaine, il nous faut donc nous représenter en premier lieu la villa [2] comme lieu d’habitation sous les mérovingiens puis les carolingiens. La future France, Charles le Grand disparu, se composait de la Francie occidentale et d’un bout de la Lotharingie. Et c’est alors, à l’orée du IXème siècle, que s’éteignit le règne de la villa gallo-romaine (en Bretagne, ce lieu de vie, comme on ne disait pas encore, disparut plus tôt, dès 420, à cause de la venue des… bretons, chassés de chez eux par les Angles et les Saxons). On s’imagine encore, et à juste titre à chaque fois, le Moyen-Âge tantôt recouvert de forêts, tantôt majoritairement clairsemé de champs (openfields, ouverts, ou bordés de haies). Grâce à Pitte, deux séquences vont à bon droit se succéder dans votre cinéma. ‘‘Lorsque commencent les grands défrichements des XIème et XIIème siècles, la forêt couvre au moins la moitié du territoire de la Francie occidentale’’, c’est-à-dire près des trois-quart de la France actuelle. Nous le savons, entre autres indices, par le fait que le mot artigue signifie défrichement et que de nombreuses villes et villages comportaient ce vocable. Il convient aussi de nous représenter sous les mérovingiens et carolingiens la barbarie des envahisseurs. Il y a ceux qui, parfois, ne font que passer tels les Vandales qui s’installeront en Afrique du Nord, ceux qui demeurent temporairement comme les Goths et ceux qui auront tendance à s’installer tels les Alains et, surtout, les Germains. Tous ceux-là ne font pas dans la dentelle paysagère, quoique ces derniers entameront exceptionnellement une campagne de défrichement civilisateur au VIIème siècle. Ainsi est-ce à bon escient que nous imaginerons un Haut Moyen-Âge sombre, couvert de forêts habitées par ermites, aurochs, sangliers et chats sauvages, parsemé de villas entourées desdites forêts et de marais au cœur desquels la noblesse chassait sa pitance (principalement venaison et poissons.) Puis vint la lumière, celle qui ne nous autorise plus à auréoler d’ombres et de ténèbres ce Moyen-Âge méconnu. Alors, pour reprendre la fameuse image de Duby, ‘‘un blanc manteau d’églises’’ remplit peu à peu le paysage. Oui, ne l’oublions pas, la pierre est blanche à l’origine. Une ère sacrée, qui consacrait le sacré, s’ouvrait. Pour bien nous figurer la césure paysagère et esthétique entre les derniers carolingiens et les premiers capétiens, pour nous pénétrer de cette pieuse, laborieuse et grandiose transformation entre le XIème et la fin du XIIème siècle, rien de plus exemplaire que le naïf extrait de cette geste écrite à la fin du XIIème , le Moniage Guillaume : « La terre n’était pas remplie de tant de gens qu’aujourd’hui, ni si bien cultivée ; et l’on n’y voyait pas tant de riches domaines, tant de châteaux, ni de villes opulentes. On faisait bien dix grandes lieues, voire quinze, sans rencontrer bourg, château ou ville où trouver un gîte. Paris était en ce temps fort petit. » [3] 

Pour ce qui est de nos jours, Jean-Robert Pitte est moins tendre. La composante infernale, typiquement plutonienne de l’urbanisme et de l’architecture contemporains apportée par Le Corbusier et ses émules indique une régression morale, peut-être mentale. Elle préfigurerait aussi l’étape d’avant certain tableau désolé. D’un ‘‘incident’’ nucléaire naîtrait ce genre de paysage duquel jaillirait quelques décennies plus tard la forêt dense : une sauvagerie carolingienne, première séquence d’un énième cycle conduisant à nouveau à l’ordonnancement politique, spirituel et artistique capétien. La civilisation, c’est Lenôtre en politique. Et  ‘‘Louis’’ avez-vous dit ? Louis capet ?   

Hubert de Champris

[1] Fayard

[2] Villa  a donné ville et village.

[3] Voir Histoire de la France des origines à nos jours, s. d. de Georges Duby, Larousse


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