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Chantal Delsol,L'Expédition Janus,Le Rocher, 2008, 145 p., 15 €

Chantal Delsol,L'Expédition Janus,Le Rocher, 2008, 145 p., 15 €
  • Auteur : Chantal Delsol
  • Editeur :
  • Nombre de pages : 0
  • Prix : 0,00 €

L'Expedition Janus,

lu par Matthieu Grimpret

 

Chantal Delsol est une figure originale du monde intellectuel et culturel français. Bien plus originale que le laisse entrevoir sa réputation de théoricienne du conservatisme provincial dont son mari, Charles Millon, fut l'un des hérauts les plus courageux – mais aussi les plus éphémères.

Philosophe, éditorialiste, membre de l'Académie des sciences morales et politiques, elle est aussi romancière. Et c'est sans doute dans ses romans que perce le plus visiblement la complexité des leçons qu'elle tire de son inlassable observation de la nature et des hommes.

 

Le dernier en date, L'Expédition Janus, tout frais paru aux éditions du Rocher, confirme cette intuition. Il repose sur une intrigue à la fois simple et vertigineuse – la quête d'un batracien rescapé de la préhistoire –, un quatuor de personnages campés avec une tendre précision – un vieux zoologiste un peu fantasque, un thésard minutieux, un dandy rêveur, un aventurier ascète –, et un cadre littéralement mythique – la forêt amazonienne, ses Indiens et ses caïmans aux yeux rouges.

 

Derrière la figure de l'universitaire qui prend soin de sa grenouille sans pattes comme d'un nourrisson, il y a l'ombre du propre père de Chantal Delsol, le professeur Michel Delsol, éminent biologiste, maître à penser des jeunes chevau-légers lyonnais des années soixante et soixante-dix, auteur de nombreux ouvrages de biologie et d'épistémologie.

 

La trame de ce roman est celle des voyages initiatiques classiques ; sa force réside dans l'étrangeté du but poursuivi : cette bestiole manifestement hideuse n'en est pas moins un véritable objet de passion. Il y a quelque chose de baudelairien dans ce traitement de la laideur : la charogne est comme une allégorie du cœur humain, à la fois puant et merveilleux. Cette confrontation de la science et de " l'hommerie " (comme disait saint François de Sales), au cœur d'un décor où les faux-semblants sont impossibles, débouche sur une expérience fondatrice sans laquelle il n'est pas de maturité possible, ni pour les jeunes thésards dont la carrière commence, ni pour le vieux professeur dont la mort approche : l'expérience de la gratuité.

 

Ce roman est finalement une célébration de l'ambivalence – une célébration d'autant plus féconde qu'elle provient d'une femme aux convictions très solides, et qu'elle s'inscrit dans une histoire sans aucune moiteur, malgré la forêt amazonienne si prégnante... À l'aide d'un style classique, loin de tout bavardage et de tout effet de manche, Chantal Delsol fait la démonstration que la science et la philosophie n'ont pas d'intérêt si elles ne sont que spéculatives. Bref, elle nous rappelle ceci : c'est la vie elle-même qui est, du fait des volte-face et des masques qui la ponctuent et la pimentent, une expédition Janus.

 

 

 

(c)Liberté politique, juin 2008.

 


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