La Syrie constitue le baromètre du monde

Pour des raisons historiques, culturelles, religieuses, politiques et géopolitiques, la Syrie est située au centre de la confrontation entre plusieurs visions de l’arabité et de l’islamité, et l’issue du conflit actuel sera déterminante pour l’avenir du monde, car c’est ici que s’affrontent pour le moment les puissances en crise d’Occident et les puissances plus dynamiques d’Eurasie.

Beaucoup de musulmans considèrent que c’est en Syrie que se déroulera la bataille finale entre les forces du Bien et les forces du Mal, et que c’est sur un des minaret de la mosquée des Omeyyades à Damas qu’apparaîtra alors Jésus revenant sur terre pour assurer un ordre de paix et de justice universelle. Et comme en plus, lors de l’invasion mongole au Moyen-âge qui avait saccagé l’Irak, détruit Bagdad puis Alep alors que Damas avait résisté, la conscience à la fois historique et messianique existant en Syrie y renforce l’impression que depuis la nuit des temps, c’est leur pays qui constitue le lieu de l’affrontement récurrent entre les forces de la civilisation et celles des ténèbres. Ce que les « islamistes » ont d’ailleurs compris à leur façon en imposant à ce pays une guerre d’où devait sortir un khalifat ressuscité qui est en passe de s’effondrer semblant désormais redonner dans la foulée un second souffle au patriotisme arabe libéré de l’hypothèque sectaire.

            Après les « révolutions colorées » en Europe orientale et les premiers moments assez spontané du « printemps arabe », la guerre occidentale par procuration a d’abord éclaté en Libye, puis les armes et les troupes qui avaient été financées par l’OTAN et ses alliés arabes pour détruire ce pays se sont retrouvées en Syrie où, là aussi, a commencé une guerre d’intervention extérieure présentée d’abord comme une « révolution » puis ensuite comme une « guerre civile ». Mais une guerre qui n’aurait pas eu lieu s’il n’y avait pas eu de commandes venant de l’extérieur, en grande partie via les « consignes de vendredi » distribuées dans certaines mosquées par la TV Al Jazeera abritée au Qatar à l’ombre de la plus grande base militaire de l’US Army en terre musulmane. Cette guerre n’aurait pas eu lieu non plus s’il n’y avait pas eu une masse d’argent, d’armes, de mercenaires bien payés ou d’abrutis récoltés dans toutes les banlieues laissées en déshérence par des pouvoirs politiques arabes ou occidentaux irresponsables socialement. Cette guerre n’aurait pas non plus eu lieu sans la drogue et l’argent de la drogue, en particulier le captagon qui libère des peurs, de la douleur et des contraintes morales. Et cette guerre n’aurait sans doute pas eu lieu non plus si le Qatar, les Saoud, la Turquie et Israël, jouant alors ensemble, n’avaient pas souhaité la construction d’un gazoduc via la Syrie vers l’Europe devant permettre au gaz qatariote, et éventuellement israélien, de concurrencer le gaz russe, et éventuellement iranien.

            C’est donc en mars 2011 qu’était donné le coup d’envoi de cette longue guerre qui semble aujourd’hui en passe de se terminer victorieusement pour l’Etat syrien, à moins que les puissances occidentales qui se sont acharnées à le détruire ne se lancent directement cette fois dans cette guerre pour éviter la défaite de leurs supplétifs locaux, au risque d’une conflagration mondiale. Pour préparer cette guerre, on a pu jouer dans les opinions désinformées sur les sentiments compassionnels qu’avaient éveillés les masses tunisiennes et égyptiennes soulevées contre la pauvreté, l’indignité nationale et la dictature. On a pu faire croire que c’était le même mouvement qui se prolongeait en Libye et en Syrie grâce à des mises en scènes de manifestations bidonnées dans les studios d’al Jazeera ou des prises de vues par des téléphones portables qui permettaient de les cadrer pour donner l’impression de tirs policiers ou de masses de manifestants …Mais, alors que Al Jazeera s’était montrée capable de filmer par satellite les manifestations de masse de la place Tahrir du Caire quand le pouvoir local l’avait interdite, rien de tel n’a été fait à Benghazi, à Tripoli d’abord, puis à Damas, à Alep ou à Hama ! Et pour cause, dans ces villes les manifestations de masse qui se tenaient alors étaient en faveur du gouvernement tandis que les manifestations de l’opposition étaient dans beaucoup de cas chétives. Par ailleurs, une vision satellitaire de ces manifestations aurait permis de déceler les snipers embusqués (armés et financés par qui?) qui tiraient à la fois sur les policiers et sur les manifestants, scénario qu’on a retrouvé plus tard à Kiev et à Caracas d’ailleurs. On sait aujourd’hui par des témoins qui ont eux-mêmes manifesté qu’une partie des manifestants étaient payés avec de l’argent venant du Golfe et distribué dans des mosquées où les imams préféraient se soumettre au veau d’or plutôt qu’au gouvernement national. Ces constatations ne remettent pas en cause le fait qu’une partie de la population syrienne avait sans doute des raisons d’en vouloir à son gouvernement dont certaines fractions avait un peu trop facilement cédé au cours des années 2000 au vent de libéralisme en « libérant les prix » des denrées de base à un moment où le pays était en plus confronté à une vague de sécheresse diminuant la production agricole. On était en effet passé chez beaucoup de cadres du pouvoir au cours des années 2000 d’un discours en faveur du socialisme à un discours en faveur d’une « économie socialiste de marché » pour finir par une « économie sociale de marché ». Glissement sémantique promu par une partie des cadres syriens acquis au « consensus de Washington ». Ce qui explique pourquoi lors de son dernier congrès, après le début de la guerre, Bachar el Assad avait accepté de reconnaître que le parti Baath au pouvoir avait négligé sa base sociale privilégiée, les « ouvriers et les paysans ». Ce sont cependant dans certaines campagnes reculées et au pourtours des grandes villes qu’on rencontrait le plus de mécontents. Loin donc des centre-villes où se déroulaient les manifestations pour une révolution « démocratique et pacifique » conforme en apparence aux méthodes de « regime change » inventées par les stratèges US Gene Sharp et Joseph Nye. Les gros médias du monde aux mains des intérêts financiers mondialisés ont alors concentré leurs tirs sur le « régime de Bachar qui tirait sur son propre peuple ». Une cause « juste » à promouvoir pour les élites mondialistes de droite ou de gauche qui depuis le démantèlement du camp socialiste communient toutes dans un consensus bétonné inventé par les « néoconservateurs » anglo-américains rebaptisés récemment « interventionnistes libéraux ».

            Aujourd’hui, face l’incohérence manifeste qui empêche le fonctionnement normal des institutions aux Etats-Unis et de leurs alliés depuis des élections présidentielles qui n’ont pas fonctionné comme prévu, on constate l’émergence sur les bords du Potomac de « l’Etat profond » qui cherche à reprendre le contrôle de la situation, au moins là où c’est possible, aux USA bien sûr mais c’est aussi ce qu’on vient de constater en France avec la récente comédie électorale médiocratisée à quatre tours.

            En Syrie, le slogan répété depuis six ans et aujourd’hui quelque peu usé était « Bachar doit dégager », et on annonçait sa chute imminente dans le mois, la semaine, les heures suivantes. Les bonnes âmes superficielles qui sont sommées de pleurer sélectivement sur le sort des pauvres Syriens ont été en revanche priées d’oublier les souffrances de Gaza, du Yémen, de Bahrein, de l’Afghanistan toujours occupé sans succès, des enfants esclaves des mines des multinationales du Coltan du Congo et de quelques autres « paradis » concoctés par l’ordre-désordre capitaliste mondialisé. Tout le paysage audio-visuel, intellectuel, idéologique et politique dominant concentre ses tirs à boulet rouge sur « le boucher de Damas » sans qu’aucun journaliste « mainstream » n’ai eu le courage d’aller confronter le discours dominant avec la réalité en Syrie même, ce qu’il est tout à fait possible de faire, ou, mieux, d’aller s’entretenir librement avec les réfugiés syriens au Liban ou en Jordanie qui sont allés massivement voter à l’occasion des élections présidentielles de 2014 en faveur de Bachar el Assad dans leurs consulats. Elections dont personne n’a parlé évidemment. Ailleurs à l’étranger, dans les « démocraties » arabes, musulmanes ou occidentales, le scrutin avait d’ailleurs été interdit aux émigrés et aux réfugiés. En particulier en France où l’ambassade de Syrie auprès de l’UNESCO s’est vue déniée le droit d’accueillir ses compatriotes désirant voter. Triomphe de la démocratie à géométrie variable.

            Les contestataires de la ligne officielle n’ont pas droit de cité à l’Ouest, dans la plus grande partie du monde arabe, et les médias alternatifs, russes, iraniens ou sur internet en particulier, sont systématiquement dénigrés comme « totalitaires », pour que le citoyen libre n’ose même pas penser avoir l’audace d’écouter et de réfléchir par lui-même, d’entendre et de comparer. C’est comme si en 1940, on avait réussi à imposer aux Français de croire que Radio Londres était au main d’une dictature implacable et que seule Radio Paris, aux mains des Allemands, n’était pas au service d’un ordre totalitaire étranger. Assad devait donc tomber dans l’espace de quelques semaines puisqu’il avait perdu l’appui de son peuple, de son armée et des notables et militaires syriens qui avaient fui et fait acte d’allégeance à des pouvoirs étrangers. Mais, contre toutes les attentes des studios, des chancelleries et des banques mondialisées, le lion de Damas a tenu seul contre vents et marées et il tient toujours, désormais avec l’appui d’Etats étrangers venus contrebalancer la force des groupes armés soutenus de l’étranger qui avaient attaqué le pays dès 2011 en profitant, il est vrai, des poches de mécontentement qui existaient dans certaines régions appauvries du pays qui ont vu affluer l’argent du Golfe. Globalement cependant, ce n’est pas « Bachar » qui a tenu, c’est le pays réel dont Assad s’est seulement fait le porte-parole et l’organisateur talentueux. Pendant plusieurs années l’Etat syrien s’est battu pratiquement seul, le dos au mur, sans grands moyens financiers malgré un début d’aide russe puis l’engagement assez tardif du hezbollah, advenu seulement lorsque les « rebelles » ont commencé à attaquer les voies d’approvisionnement de la résistance libanaise passant par la Syrie. Preuve que la guerre de Syrie visait avant tout à promouvoir les intérêts de ceux qui dans le monde arabe et dans le monde occidental privilégient les intérêts de Tel Aviv sur ceux de leur propre peuple.

            Personne n’a donc jamais tenté d’éclairer le public du « monde libre » sur la raison qui permet d’expliquer pourquoi une armée de conscrits recevant un solde misérable de multiples fois plus petit que celui des mercenaires d’en face affluant de presqu’une centaine de pays (!) se sont battus et ont continué à se battre pour « un dictateur qui tue son propre peuple ». On a certes d’abord avancé l’idée qu’il devait son maintien au seul appui de la « secte » alaouite voire des autres minorités religieuses, en particulier chrétiennes, qui, pour le coup, n’éveillent plus la même compassion hypocrite que dans d’autres parties du globe, ce qui devrait d’ailleurs interpeller un observateur neutre qui devrait demander pourquoi ces minorités auraient si peur des agneaux démocrates et « islamistes modérés » venus pour libérer leur pays. Mais 70% environ des Syriens sont musulmans sunnites, et c’est la même proportion des conscrits syriens, soldats comme officiers et officiers supérieurs, que l’on retrouve dans l’armée qui se bat contre les « révolutionnaires », les « démocrates » et les « islamistes sunnites ». Alors force est de constater que si cette armée ne s’est pas débandée dans sa masse, c’est que c’est bien une armée du peuple bénéficiant de l’appui du peuple. On a certes aussi avancé plus tard la thèse de l’implication armée « chiite », iranienne, irakienne, afghane, libanaise ou celle des Russes. Or, il suffit d’examiner les détachements armés présents sur chaque secteur du front pour savoir que c’est bien l’armée syrienne qui se bat essentiellement, et que les portions des fronts réservés aux forces alliées sont minimes, même si, effectivement, le rôle de l’aviation russe et des conseillers russes ou iraniens n’est en revanche pas minime dans cette guerre. On a tu par ailleurs en revanche la présence des formations palestiniennes se battant aux côtés des Syriens. Normal, les Palestiniens appartiennent au monde sunnite dont on voudrait qu’il soit uniformément massé derrière les pétromonarchies d’un autre âge ou derrière une Turquie qui a cédé à une politique erratique au cours des dernières années, perdant en quelques mois le capital de sympathie et de stabilité qu’elle avait réussi à amasser au cours de la décennie précédente.

            L’Occident réel a toujours soutenu que tous ses adversaires ne doivent leur survie que grâce à un lavage de cerveau caractéristique de régimes ennemis systématiquement décrétés « totalitaires », mais force est de constater que les « médias libres » ont été à l’occasion des conflits libyen et syrien pris de façon systématique la main dans le sac à raconter grossiers mensonges sur grossiers mensonges. Mais qu’importe, puisque le mensonge (ce que Al Jazeera a d’ailleurs appelé avec franchise « des ruses de guerre », découvrant ainsi son rôle de manipulateur de l’information) ne sera pas ébruité, ou lorsqu’il le sera dans les médias « alternatifs », ils ne toucheront que les esprits particulièrement critiques que nos médiocrates vont s’acharner à présenter comme des complotistes d’extrême droite antisémite, des « agents de Moscou » ou des staliniens d’un autre âge. Recette vieillie qui apparaît de plus en plus comme du réchauffé indigeste. Personne ne doit non plus poser la question de savoir si les « régimes » syrien ou libyen n’étaient somme toute pas plus « démocratiques » ou « pluralistes » que les grands amis de l’Occident, les pétromonarchies absolutistes de la péninsule arabique biberonnés aux cours de la bourse et des hydrocarbures avec leurs Etats-clients qui ne peuvent rien leur refuser. On a occulté tout ce qui pouvait expliquer pourquoi tant de Syriens, et avant tant de Libyens, ou aujourd’hui tant de Yéménites (mais il en va de même avec les Russes, les Chinois, les Coréens (du nord), les Cubains et tant d’autres) manifestent leur attachement à la souveraineté nationale, à l’intégrité et à l’indépendance de leur pays. Nos médias ne parlent des destructions massives que lorsqu’elles sont dues aux combats menés par l’armée gouvernementale. A ce titre, la France devrait demander des réparations aux USA pour la destruction de Caen et de tant d’autres villes françaises bombardées par leur libérateur et les considérer comme des « alliés qui tuent leurs propres alliés ». Deux poids deux mesures.

            L’ancien ministre français des Affaires étrangères dont on taira par miséricorde le nom pour que l’histoire l’oublie avait décrété que Bachar al Assad « ne mérite pas de vivre sur terre », et les discours « islamistes takfiristes » (excommunisateurs) n’ont commencé à soulever quelques doutes que très tardivement. Encore a-t-on à ce moment là inventé le mythe des « opposants modérés » pour établir une différence fictive entre les différents clans d’égorgeurs, de violeurs « halal » et d’assassins d’enfants. Mais jusqu’à ce jour, hormis quelques émigrés de longue date déconnectés des réalités de leurs pays et souvent grassement payés par l’étranger, aucun de ces « modérés » n’a pu être présenté à des médias qui n’ont jamais été en état de nous faire visiter une seule région vraiment libre en Syrie. On ne se rend pas chez les « rebelles » qui ne sont pas, pour beaucoup d’entre eux, des Syriens car on y craint pour sa vie et on ne se rend pas dans les zones gouvernementales où affluent les masses de réfugiés des régions « libérées » pour ne pas écouter la réalité. Aujourd’hui encore, malgré tout les faits accumulés, en particulier depuis la libération d’Alep-Est où on nous avait annoncé des massacres de masse, les mercenaires de l’info, les agents d’influence néocons, les abrutis sectaires et les naïfs continuent pourtant à nous tenir le même discours aberrant dont on vient d’avoir encore une fois la preuve avec la pétition parue dans Libération signée par des intellectuels de service et des naïfs les suivant protestant contre les timides tentatives d’analyser la situation syrienne sous un angle plus rationnel de la part du nouveau locataire de l’Elysée. La légende du « printemps arabe » reste donc tenace car trop de lobbies, de politiciens, d’appareils étatiques y sont mêlés, et reconnaître les faits équivaudrait à devoir accepter de reconnaître que ses erreurs ont permis de légitimer des crimes de masse[6], ce que ne peuvent supporter ni ceux qui ont bâti leur légitimité sur l’exemplarité de leur démocratie face à des démocraties décrétées imparfaites, comme le sont la Russie ou l’Iran, ni ceux qui ont bâti leur légitimité sur un islam pur face à des pays musulmans décrétés imparfaits, comme le sont ou l’étaient les Etats musulmans républicains et laïcs, Syrie, Irak, Libye, Yemen. Le « chaos constructeur » inventé en Amérique peut donc continuer.

            Les régimes pétromonarchistes, les régimes capitalistes occidentaux mais aussi la Turquie et une grande partie des Frères musulmans ont cautionné des dérives pour des raisons d’intérêts économiques et politiques ou d’aveuglement idéologique, et aucun n’est vraiment prêt à faire son auto-critique, même au moment où la querelle entre les Saoud et le Qatar, et celle entre Erdogan et Gülen permettent de faire ressortir beaucoup de faits et de cadavres cachés jusque là[7], en particulier le fait que les adversaires de la Syrie ont bien utilisé et appuyé des groupes pratiquant la terreur de masse et la manipulation cynique des informations, en particulier des attaques sous faux drapeaux.

            Pour les Etats-Unis, Israël et leurs « protégés » d’Europe et du monde arabe ou musulman, il s’agissait d’une entreprise géopolitique, géostratégique, voire géo-économique, globale de déstabilisation et de destruction, voulue, planifiée, organisée par Washington et Tel Aviv en utilisant des régimes sans réelle base sociale mais achetant la paix sociale à coup de pétrodollars ou de travailleurs immigrés surexploités en turn-overpermanent. Dans le but de maintenir le plus longtemps possible l’économie-casino occidentale, alors que des puissances concurrentes émergent mais que l’OTAN a peur d’attaquer frontalement. C’est donc sur le terrain syrien en particulier, mais pas seulement (Libye, Ukraine, Yémen, etc.) que cette contradiction majeure s’est localisée. Pour empêcher aussi le développement d’un axe de résistance allant de l’Iran à la mer Méditerranée. Les Etats de la péninsule arabique sont tous des créations artificielles datant de l’époque coloniale, hormis le Yemen et l’Oman, les deux seuls Etats qui, comme par hasard, ont le courage de mener des politiques plus sages et plus dignes. Les pétromonarchies parvenues, tels des cowboys du Far West, détestent tous les Etats enracinés dans l’histoire, Irak, Iran, Syrie, et même Egypte qu’il s’agit de contrôler à cause de sa grande pauvreté. Sociétés maladroitement modernisées à coup de pétrodollars, elles restent largement tribales et claniques, déstabilisées donc par rapport à la vieille et simple société bédouine mais incapables aussi d’assimiler les acquis de la civilisation occidentale qui, il faut le dire, est aujourd’hui entrée dans une dégénérescence telle que son modèle en devient irrecevable. Monarchies absolutistes qui souhaitent donc pour les autres Etats arabes le même mode de pouvoir morcelé clanique et tribal qu’elles ne parviennent pas à dépasser chez elles.

            Le problème est que la Turquie et la confrérie des Frères musulmans qui possédaient plus de racines et d’ouverture d’esprit au départ que les monarchies du désert ont finalement accepté par opportunisme et surtout par illusion de pouvoir s’imposer par-dessus ces politiques obtuses et à courte vue. Même le Hamas palestinien de l’extérieur a préféré la monarchie absolutiste du Qatar créée par l’Angleterre et protégée par l’US Army à la république anticoloniale et anti-impérialiste syrienne (le Hamas de l’intérieur, celui de Gaza, n’a lui jamais accepté de céder la proie pour l’ombre et de rompre avec l’axe de la résistance et l’Iran). L’idée d’une démocratie islamiste dans sa version conservatrice, style démocrate chrétienne « à la turque », ou dans sa version théologie de la libération, existe mais elle n’a jamais pu prendre le dessus à cause de la prédominance des pétrodollars qui ont permis d’acheter ou de convaincre la plupart des notables « islamistes ». Les Frères musulmans, frustrés par leurs défaites récurrentes depuis les années 1950 et la Turquie d’Erdogan ont donc cru venue leur heure, ce qui leur a fait oublier leur précédente ouverture d’esprit en direction de la démocratie, de la libération nationale, et aussi du chiisme, de ce qu’on pourrait appeler l’oecuménisme.

            Pour des raisons historiques, culturelles, religieuses, politiques et géopolitiques, la Syrie est située au centre de la confrontation entre plusieurs visions de l’arabité et de l’islamité, et l’issue du conflit actuel sera déterminante pour l’avenir du monde, car c’est ici que s’affrontent pour le moment les puissances en crise d’Occident et les puissances plus dynamiques d’Eurasie.

  • Le camp de la légalité internationale et donc de la souveraineté de l’Etat syrien légal a pour appui l’Iran, la résistance libanaise autour du Hezbollah, l’Irak en réorganisation avec des partis et des milices de mobilisation populaire, le Yemen « historique », la Russie et la Chine, et par extension les pays de l’OCS, du BRICS et du BRICS+.
  • Le camp du « chaos constructif » et du démantèlement des Etats indépendants du « Grand Moyen-Orient » regroupait au départ les élites et les régimes néoconservateurs, néolibéraux et/ou néo-islamistes (Arabie Saoudite, Qatar, EAU, Bahrein, Turquie, Koweït) finançant une kyrielle de groupes takfiristes, « djihadistes », mercenaires, avec le soutien de Tel Aviv et de presque tous les Etats occidentaux. Aujourd’hui, à cause de ses échecs, ce camp s’est scindé avec la crise qui a éclaté entre Riyad et Doha. Alors que les puissances occidentales sont elles aussi divisées entre une nébuleuse mondialiste neocons et les partisans de l’égoïsme national style Trump.

    Il y a dans le monde plus d’une dizaines de guerres ayant pour axe ces deux pôles, entre lesquels se manifestent avec des hauts et des bas les forces de souveraineté populaire et nationale. Conflit de puissances, d’intérêts militaro-industriels et de contrôle de l’énergie et des voies d’approvisionnement d’énergie, en particulier celle à destination des puissances émergentes.

 

L’état du conflit en Syrie

            On a d’abord voulu présenter cette guerre comme une « guerre civile » entre un peuple en révolution démocratique contre un autocrate, mais force est de constater que même s’il existe des opposants syriens qui se sont ralliés aux groupes armés par l’étranger, il existe aussi une opposition qui s’est ralliée à l’Etat au cours de cette guerre sans pour autant estimer devoir se rallier forcément au gouvernement en soi. Le « régime syrien » bénéficie donc selon les enquêtes d’opinions et les résultats des élections tant au pays qu’en exil de l’appui d’une majorité des citoyens syriens, toutes orientations politiques ou religieuses confondues. Il faut affirmer cette vérité simple : cette guerre n’aurait pas pu se développer sans l’appui direct de l’étranger, en argent et en armes, mais surtout, ce qui est révélateur, sans la participation d’une masse de combattants étrangers, faute d’un nombre suffisant de Syriens prêts à prendre les armes contre le gouvernement de Damas. Les plans israéliens, nord-américains et otanesques prônaient quasi-ouvertement la « solution » du « projet du Grand Moyen-Orient » bushien reprenant le vieux plan israélien Yinon[8], c’est-à-dire le plan de cassure des pays arabes et de la Syrie en petites entités politiques, régionales, ethniques, tribales ou confessionnelles dans un pays qui a toujours été uni depuis l’Antiquité par-dessus ses différentes appartenances religieuses. Même si la grande Syrie d’origine, le « Sham », a été cassé en quatre morceaux (cinq avec Antioche) par les accords coloniaux Sykes-Picot de partage du pays. Mais aujourd’hui, en raison des victoires de l’armée syrienne, on ne parle plus d’une partition « hard » mais simplement d’une « fédéralisation » « soft » du pays, ce qui revient à peu près au même, stériliser de l’intérieur la Syrie pour l’empêcher de continuer à servir de base arrière à la résistance libanaise et palestinienne.

La composante « religieuse » de la guerre

            La sauvagerie manifestée tant par les groupes néo-islamistes reconnus internationalement comme terroristes (Al Qaïda ou Daech) que ceux décrétés « modérés », on se rappelle l’égorgement de l’enfant palestinien à Alep par un groupe « modéré » financé et soutenu par Washington, ne correspond à aucune des grandes traditions historiques islamiques. On a certes connu à différents moments de l’histoire des groupes très minoritaires utilisant la violence extrême comme cela a pu se voir sous d’autres cieux, mais jamais aucun de ces groupes n’avait obtenu l’aval des grandes écoles islamiques sunnites ou chiites. C’est l’émergence du wahhabisme dans la province arabique reculée du Nedj puis son succès en partie dû à l’appui anglais puis à celui des Etats-Unis et finalement son enrichissement soudain qui allait propulser de l’avant cette secte au départ condamnée par toutes les universités et autorités morales, juridiques et théologiques sunnites. Pire, le gros des forces de la confrérie des Frères musulmans originaires d’Egypte qui avaient perdu leur fondateur assassiné par le roi local pro-anglais se sont révélés pour leur nouvelle direction incapables d’accepter un compromis avec les exigences du socialisme nassérien anticolonial et ils se sont laissés attirer vers la péninsule arabique où ils ont accepté d’être souvent instrumentalisés. Donnant en quelque sorte une caution intellectuelle « islamique » à ces régimes violents issus de la périphérie géographique et intellectuelle de l’islam. Qui allaient importer dans l’islam le concept de « guerre sainte » qui n’y existait pas, reformulé donc « islamiquement » sous le terme kidnappé en quelque sorte de « Djihad ». Offrant ainsi à la puissance d’outre-Atlantique porteuse de l’idéologie du « clash des civilisations » le prétexte pour inventer un terrorisme qu’il lui fallait pour pouvoir pêcher en eau trouble et opposer à la fois les deux rives de la Méditerranée désormais mises en état de conflit l’une contre l’autre, et les franges atlantiques de l’Eurasie avec son cœur continental, tout cela afin de maintenir la division en Europe et dans l’aire arabo-musulmane et assurer ainsi l’hégémonie de la puissance d’outre-atlantique et de son agent israélien local sur l’ensemble.

            Pour justifier leur guerre, les « islamistes sunnites » allaient chercher à opposer un prétendu « axe sunnite » se défendant contre le « croissant chiite », alors même que les Saoud n’avaient jamais manifesté la moindre réticence contre le chiisme conservateur du shah d’Iran ou de l’ancien souverain du Yemen. Ce n’est donc pas le chiisme mais bien l’islam révolutionnaire iranien puis résistant libanais, certes chiite, qui a soulevé la peur des dynasties d’un autre âge. La dénonciation du chiisme allait servir de pur prétexte à cette opération de relégitimation du principe monarchique auprès des masses jusque là acquises à l’anti-impérialisme, à l’antisionisme et au socialisme arabe. Cette offensive idéologique réactionnaire allait même réussir à s’étendre à une partie de la résistance palestinienne pourtant en principe bien consciente du fait que l’ennemi principal était bien à Tel Aviv et non pas à Téhéran. Seuls les militants du Hamas à Gaza, du Djihad islamique et du FPLP ont compris que c’est la mosquée Al Aqsa de Jérusalem qui a une compréhension correcte de ce qu’est l’intérêt de l’islam, des Arabes et des Palestiniens, car elle dénonce la « fitnah » (la scission) qui a commencé avec les guerres du « printemps arabe » menées contre la Libye puis contre la Syrie. Aujourd’hui, avec la crise qui a éclaté entre les deux gangs monarchiques saoudites et qatariotes, le mythe d’une alliance « sunnite » contre un « complot chiite » vole enfin en éclat. Ce que le changement de direction à la tête du Hamas il y a quelques mois suite aux déboires des aventures décidées par sa direction extérieure avait déjà annoncé. On voit donc clairement que derrière les apparences religieuses auxquelles un trop nombre de gens ont cru, tant en Occident que dans le monde musulman, il y a la question qui reste fondamentale du rapport à l’impérialisme finissant et au conservatisme social, ce qu’un croyant aurait pu comprendre avec le concept d’incarnation du divin dans les justes luttes. Mais c’est à une inversion mentale qu’on a procédé dans le monde arabe en profitant d’une masse de jeunes appauvris, à la dérive et mal éduqués. A l’échelle internationale, le rapport à l’impérialisme recouvre, comme on le sait depuis longtemps, les antagonismes de classe dont les « islamistes » n’ont pas voulu dans leur majorité, prendre conscience, d’où leurs errances, leurs dérives, les manipulations dont ils ont été le jeu puis les horreurs qu’ils ont cautionnées ou même exécutées.

Le gouvernement de Damas est légal et légitime

            L’ingérence des pays arabes et occidentaux dans les affaires intérieures syriennes n’a aucun fondement légal car la Syrie est un Etat reconnu internationalement, indépendant et souverain et la question de son régime politique et de son gouvernement est une affaire strictement syrienne sur laquelle aucun autre Etat n’a le moindre droit de regard. C’est pour cela que l’aide russe, libanaise, iranienne, chinoise à Damas est légale et légitime car elle est approuvée par son gouvernement reconnu internationalement. Le droit des peuples à l’autodétermination se manifeste entre autre par le droit des pays à décider de leur régime politique, hors de toute ingérence étrangère. Et la thèse néoconservatrice sur le « droit de protéger », hormis le fait qu’elle est purement hypocrite vu le nombre de morts de toutes les guerre pour le gaz et le pétrole faites au nom des droits de l’homme, n’a aucun fondement légal ou même logique, car c’est bien entendu toujours le droit de « protéger » décidé en toute subjectivité par le fort contre le faible. On imagine mal en effet une armée irakienne ou haïtienne intervenant aux USA pour faire libérer Mumia Abou Jamal, Leonard Peltier, les prisonniers de Guantanamo ou des prisons secrètes de la CIA et les milliers de prisonniers plus ou moins illégalement détenus dans cette hyperpuissance qui a le privilège de compter environ le quart de toutes les personnes incarcérées de toute la planète ! Ni l’armée libanaise venant libérer Georges Ibrahim Abdallah détenu illégalement désormais en France.

            Selon la loi internationale, chaque gouvernement reconnu dispose du monopole de l’usage légal de la force. Contester ce droit, c’est revenir à la politique de la canonnière et à l’ère coloniale. L’armée syrienne présentée parfois comme « l’armée du régime alaouite » est en fait une armée nationale de conscription regroupant toutes les populations du pays. Elle a le monopole légal du droit militaire sur tout le territoire syrien, même si elle peut décider de faire appel à une aide militaire extérieure, en fonction des décisions du gouvernement syrien. Toutes les autres présences militaires étrangères sur le territoire syrien, groupes armés « islamistes » ou kurdes, base de l’US Army, antennes des services secrets occidentaux, armée turque sont illégales au regard du droit international, et la position soutenue par la Russie et la Chine à l’ONU sur ce point est incontestable. La Syrie a le droit de se défendre et même l’ancien ambassadeur US à Damas, Robert Ford, vient de reconnaître que la guerre de Syrie était désormais perdue pour les USA, à moins d’un engagement militaire direct, mais fort hasardeux.

La guerre en Syrie pourrait se terminer bientôt

            Sur le front militaire et depuis la libération d’Alep-est en décembre 2016, l’armée syrienne est partout à l’offensive, dans la région de Damas, à l’est d’Alep, de Hama, de Homs, et depuis quelques jours dans la province stratégique de Deir ez Zor ouvrant l’accès à l’Irak, et même à la frontière jordanienne et sur le Golan où pourtant Israël tente d’aider les « rebelles » pour créer une zone tampon le séparant de l’armée syrienne et de la résistance libanaise. La bataille du désert de l’est syrien voit depuis plusieurs semaines des avancées systématiques et la victoire est assurée pour Damas si personne ne vient aider Daech, si les Kurdes armés par les USA ne mettent pas de bâtons dans les roues et si les USA ou Israël acceptent en finale de faire preuve de réalisme et de se retirer du théâtre syrien. Passant outre aux injonctions accompagnées d’actes de guerres de la part des Etats-Unis, l’armée syrienne a opéré lors d’une opération magistrale qui montre son efficacité, sa jonction avec les forces irakiennes du « Hachd Chaabi » rouvrant ainsi la frontière entre les deux pays et ouvrant ainsi la voie à un axe de communication donnant à l’Eurasie en constitution sous le nom de « nouvelle route de la soie » son débouché méditerranéen et à l’axe de la résistance anti-israélienne une profondeur stratégique qui fait blêmir les militaires en poste à Tel Aviv. Désormais avec un Hezbollah expérimenté, une armée syrienne aguerrie et un Hamas revenu à Gaza sur les illusions de ses anciens chefs exilés à Doha, c’est Israël qui doit se faire du soucis, malgré l’alliance qu’il est en train de conclure avec la monarchie saoudienne en pleine crise de succession, en pleine crise économique et défaite sur le front du Yémen.

            Les provocations successives (un avion puis un drone syriens abattus par l’US Air Force ainsi que des frappes et attaques ponctuelles US ou israéliennes contre l’armée syrienne et au profit des terroristes « islamistes ») ne font que confirmer l’hypocrisie de la puissance finissante. La Russie et la Chine qui avaient voulu faire preuve de retenue et d’esprit de compromis en refusant de s’engager pour défendre la Libye ont compris depuis le début de la guerre en Syrie qu’il y allait de leur intérêt vital de défendre le droit international et l’équilibre entre puissances, ce qui passe d’abord par l’affirmation de l’efficacité de sa propre puissance et de la solidité de ses alliances. Dans ce contexte, les « Forces démocratiques syriennes », largement composées de Kurdes et en principe de tradition marxiste, semblent avoir misé sur un mauvais cheval en s’éloignant de Damas pour se rapprocher de Washington. Car elles se sont aliénées Damas en phase ascendante tout en soulevant le courroux d’Ankara, puissance de l’OTAN doutant de plus en plus que ses intérêts consistent à rester dans l’alliance qui abrite l’auteur supposé du coup d’état qui devait emporter Erdogan qui, lui, a été sauvé par …son adversaire russe. Ankara comme Doha semblent bien devoir se rendre bientôt à Canossa, c’est-à-dire à Téhéran et à Moscou, s’ils ne veulent pas devenir la risée du monde et des éléments d’importance secondaire sur la scène régionale.

            La Syrie semble bel et bien en passe de gagner la guerre militaire, avant de gagner la guerre médiatique malgré la répétition des ritournelles vieillies des officines de propagande et des donneurs de leçons qui continuent à prétendre qu’il y a en Syrie la révolte d’un peuple contre son tyran. Et pourtant l’armée syrienne n’est pas composée de Martiens et elle a tenu tous les chocs successifs au cours d’une guerre de presque sept ans aujourd’hui qui lui a pourtant coûté des pertes très douloureuses. Presqu’un quart de toutes les victimes syriennes de la guerre sont des combattants du camp gouvernemental, selon les données communiquées par une officine pourtant proche de l’opposition basée en Angleterre, l’OSDH. Tôt ou tard dans l’histoire, les mensonges s’effondrent toujours, et les faits reprennent le dessus. Bachar el Assad a tenu bon alors que tant de politiciens qui prévoyaient sa chute imminente ont depuis longtemps mordu la poussière, que l’on pense à ceux qui dirigeaient il y a peu le Qatar, l’Arabie saoudite, les USA, la France, l’Angleterre et bien d’autres. Seuls les chefs d’Etat décrétés ennemis des valeurs occidentales à géométrie variable semblent s’appuyer sur quelque chose de plus solide et de plus durable, ce qui, soit dit en passant, devrait être considéré comme un signe divin de la part de ceux qui n’ont que le mot Dieu à la bouche, tant ils semblent haïr les créatures divines marchant les pieds sur terre. Mais ne leur demandons pas de faire preuve de logique, si une telle chose avait été possible, ils n’auraient pas pris les funestes décisions qu’ils ont prises en 2011 et qui, de dérive en dérives, les amènent vers leur perte.

Un nouveau monde arabe émerge

            La solidité de l’alliance entre la Syrie et ses alliés (Hezbollah, Iran, Irak, Russie, Chine et sans doute Algérie et Gaza) contraste donc avec la dislocation de l’ex-coalition adverse :

  • Dislocation aux Etats-Unis entre le nouveau président élu et « l’Etat profond » qui avait soutenu Clinton et sabote, par Pentagone, CIA et « corporate medias» interposés, la politique présidentielle qui s’avère du coup de plus en plus erratique.
  • Dislocation de l’alliance atlantique entre le locataire de la Maison blanche, quelques-uns de ses alliés extérieurs et le gros des pays de l’UE qui n’ont pas digéré la défaite de Clinton et l’émergence d’un « populisme ». Ce qui signifie que le système dominant est en train de se désagréger. Désamour donc entre les dirigeants des deux rives de l’Atlantique nord, ce qui devrait entraîner des bouleversements de la situation internationale. D’autant plus que Washington demande désormais aux Européens en crise de payer encore plus cher une présence militaire US sur leurs terres censée les défendre alors qu’elle s’avère de moins en moins sécurisante.
  • Dislocation de ce qu’on a voulu présenter comme « l’axe sunnite », le Qatar, la Turquie et le Hamas de Gaza devant se rapprocher de l’axe de la résistance autrefois baptisé « croissant chiite » pour faire face à la félonie du nouveau prétendant au trône des Saoud qui n’arrive à gagner aucune de ses guerres, ni en Syrie ni, pire encore pour lui, au Yémen, l’armée yéménite ayant même réussi l’exploit de pénétrer durablement sur le territoire saoudien. Une armée de va-nu-pieds dans un pays affamé faisant face à une armée dotée de toute la quincaillerie militaire occidentale dernier cri !

            Logiquement, Washington n’a désormais plus comme choix rationnel que de se désengager, mais peut-on vraiment croire que le lobby militaro-industriel et énergétique, le Pentagone, la CIA, les cercles néoconservateurs et les sionistes d’outre-Atlantique et de terre sainte accepteront de se replier ? Et de reconnaître leur défaite.

Une issue favorable pour la Syrie ?

            La Syrie est engagée sur la voie d’une victoire militaire qui aura renforcé les capacités et l’expérience militaire de son armée, ce qui doit faire peur à Tel Aviv, d’autant plus qu’il en va de même pour le Hezbollah, qui aide en plus le Hamas à Gaza. Le coût de cette victoire reste néanmoins faramineux. Un pays saccagé, environ 400 000 morts, avant tout des jeunes militaires syriens, puis des civils tués lors des combats ou des massacres organisés par les « rebelles » et enfin de ceux qui ont choisi, de gré ou de force, de rejoindre le camp des mercenaires et des fanatiques. Au moins 8 millions de réfugiés, la majorité d’entre eux déplacés sur le territoire national. Ils commencent depuis la reprise d’Alep à revenir, de l’intérieur du pays ou des camps de réfugiés à l’étranger où leur situation était rude, particulièrement pour ceux exilés en Turquie qui ne semblent pas tous avoir apprécié leur séjour dans ce pays si l’on en croit les témoignages de beaucoup d’entre eux. Cette guerre, c’est aussi 1,5 million de blessés et handicapés. Près des 2/3 du pays sont en ruines, des dégâts estimés jusqu’à 1 300 milliards de USD, sans compter l’impact des sanctions et de l’embargo toujours maintenu, en particulier contre le secteur médical (!). A quoi s’ajoute la destruction d’une partie du patrimoine culturel, artistique, historique, éducatif, sanitaire, industriel et du tissu humain, là où les « rebelles » ont pu diviser les populations en jouant sur les inimitiés locales.

            La guerre se terminera par la victoire de l’armée officielle si Washington accepte de baisser pavillon, chose imprévisible. Même si Moscou semble vouloir tout faire pour lui éviter de perdre la face. Le conflit syrien a permis de clarifier beaucoup de choses, et une grande partie des musulmans sincères, déjà échaudés par le contre-exemple algérien de la « décennie noire », comprennent les impasses dans lesquels des princes, des notables parvenus et des politiciens à la petite semaine ont fait tomber un islam qui fut auparavant une religion de science, d’ouverture, de tolérance, de créativité et de pluralité, et qui le reste dès lors qu’on accepte de donner la parole à ceux de ses porte-parole qui en sont privés la plupart du temps.

            Restera à régler la question de la masse des déçus et des desperados arabes, européens et américains qui ne connaissent plus comme métier que celui des armes et de l’intimidation. Comment les réinsérer dans leurs pays respectifs sans laisser place à la haine de leurs anciennes victimes ? Et sans que leurs frustrations et leur mauvaise conscience ne rebondissent sans fin ? L’arroseur arrosé.

BRUNO DRWESKI