Entre la Chine et  les Etats-Unis, un conflit commercial lourd de menaces

Source [Smart reading press] «Restaurer la grandeur» de leur pays, tel est le but commun à Xi Jinping et à Donald Trump. Un but pour lequel la puissance chinoise émergente se voit défiée par la puissance américaine dominante à la faveur d’un conflit commercial de plus en plus aigu, aux répercussions mondiales. Les tensions internationales que celui-ci génère actuellement – avec une escalade possible vers un conflit armé – laisseront-elles place à la raison ?

Les tensions entre la Chine et les États-Unis se sont aggravées ces dernières semaines, et quelques commentateurs parlent d’un conflit commercial ouvert. Hier, deux navires de guerre américains sont passés en force par le détroit de Taïwan, générant une possible escalade du conflit commercial. Cette situation est dangereuse. Elle peut engendrer des conséquences néfastes pour d’autres pays et pour l’économie mondiale dans son ensemble, sans pour autant que les deux protagonistes s’en préoccupent.

DES POLITIQUES NATIONALES AUX RÉPERCUSSIONS MONDIALES

Ce lundi 20 mai, le Secrétaire général de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a fait savoir que ce conflit commercial avait déjà largement aggravé la situation économique mondiale, juste au moment où l’économie allait rebondir ; il a appelé à trouver des solutions multilatérales pour mettre fin à ce conflit et pour permettre au commerce de soutenir la croissance mondiale1. Croire aux solutions multilatérales – plutôt qu’aux solutions nationales – semble peut-être étrange dans le contexte actuel, où nombreux sont ceux qui appellent au protectionnisme et au renforcement de la souveraineté nationale.

Suffit-il de rappeler que cet appel est conforme aux principes des relations internationales, tels que codifiés dans la Charte des Nations Unies, de «réaliser, par des moyens pacifiques […] le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix2.» On trouve les même principes dans la doctrine sociale de l’Église, qui rappelle que «la coopération est la voie que la Communauté internationale dans son ensemble doit s’engager à parcourir3».

Mais la situation entre la Chine et les États-Unis prouve le contraire et souligne que les politiques nationales – bien que légitimes et réfléchies – peuvent mener à des situations collectives néfastes.

Début mai, les États-Unis ont annoncé – via un tweet du Président Trump – que de nouvelles sanctions allait être imposées sur un grand nombre d’importations chinoises. Ce en sus de l’annonce de Google que les smartphones de la marque chinoise Huwei ne pourront plus utiliser de logiciel Android de Google4. Ce durcissement de la position américaine vient en amont des discussions directes entre la Chine et les États-Unis, qui se sont tenues à Washington la semaine dernière. Mais les négociations sur un accord de libre échange n’ont pas abouti et sont dans l’impasse. Il est très difficile de voir comment les deux parties peuvent s’en sortir.

Tout cela a créé des incertitudes dans le monde, provoquant un impact négatif sur la croissance de l’économie mondiale, ainsi que le souligne l’OCDE dans son dernier rapport sur les perspectives économiques, paru ce mercredi5. La croissance de l’économie mondiale est estimée à 3,2 % en 2019, et elle est légèrement en hausse à 3,4 % en 2020, mais largement inférieure à la croissance de 4,6 % encore vue en 2014.

L’ATTITUDE DES ÉTATS-UNIS ENVERS LEURS ALLIÉS TRADITIONNELS

Tout en durcissant sa position envers la Chine, les États-Unis ont montré une attitude conciliante envers leurs alliés traditionnels. Ce qui semble normal dans les relations internationales reste néanmoins appréciable et digne d’attention.

Mi-mai, l’administration Trump a annoncé la suppression des tarifs douaniers sur l’aluminium et l’acier pour le Canada et le Mexique. On se rappelle qu’à la grande stupéfaction de tous, les États-Unis avaient imposé des tarifs douaniers en juin 2018 au Canada et au Mexique, ses partenaires commerciaux de toujours, tous les trois membres de l’OCDE, du G20, et liés par un accord de libre-échange nord-américain (Aléna) depuis 1994. Comment la politique nationale pouvait-elle remettre en cause ces liens confraternels tissés dans le passé ? Comment imposer un tel acte – considéré comme «agressif» en relations internationales – contre ses proches alliés ? Mais les alliés se sont pliés et ont accepté de renégocier l’accord de libre-échange, qui a été remplacé par l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) signé le 30 novembre 2018 à Buenos Aires en marge du G20. La normalité était rétablie. Et maintenant, l’administration Trump fait un pas de plus envers le Canada et le Mexique.

Mais Trump se montre également conciliant envers ses alliés européens. En 2018, son administration avait annoncé que l’importation de véhicules (surtout de provenance allemande, mais aussi du Japon et de la Corée du Sud) représentait un enjeu de sécurité nationale pour les États-Unis. Il avait soulevé la possibilité d’appliquer de nouveaux tarifs douaniers, ce qui avait causé des craintes en Allemagne. Selon des estimations, une augmentation des tarifs américains de 25 % pourrait réduire les importations allemandes de moitié, engendrant un coût pour le secteur automobile estimé à 7 milliards d’euros6. Les coûts seraient de 8 milliards pour le Japon et de 3 milliards pour la Corée du Sud.

POURQUOI CE DURCISSEMENT AVEC LA CHINE ?

Pourquoi donc ces ouvertures et, en même temps, ce durcissement avec la Chine ? La réponse se trouve peut-être dans une compétition géopolitique entre la Chine et les États-Unis. Il semble que les Américains aimeraient isoler la Chine. Pays le plus peuplé du monde, deuxième plus grande économie mondiale (après les États-Unis), la Chine devient également de plus en plus un acteur géopolitique mondial, surtout en Asie (où elle dispose d’une zone privilégiée, au détriment des États-Unis), en Afrique à travers la nouvelle Route de la soie (encore une fois au détriment des Américains) et au niveau global dans plusieurs aires géographiques.

La Chine aime à se caractériser encore comme un pays en voie de développement. Depuis les années 1950, ce pays a pourtant fait des progrès considérables. Elle a même commencé à exporter sa vision du développement en mettant en place une politique active d’aide au développement. Ce qui a commencé modestement dans les années 1950 avec les pays socialistes tel que la Corée du Nord, le Vietnam, le Cambodge, le Népal, l’Égypte et l’Algérie – est devenu au fil du temps une politique étrangère active dans tous les coins de la planète.

En 2014, la Chine s’est dotée d’un livre blanc sur l’aide au développement. Elle y prônait l’absence de conditions, la non-interférence et la liberté du pays destinataire de choisir son propre mode de développement. En 2016, elle a publié sa politique dans son agenda 2030 pour le développement durable et a rappelé sa politique étrangère de non-imposition de conditions, dans le but de créer des situations gagnantes pour tous. Cette même année, la Chine avait poussé le G20 à formuler une position commune sur l’agenda 2030.

L’an passé, la Chine s’est dotée d’une agence pour le développement international (China international development cooperation agency, CIDCA), un signe qu’elle veut ressembler à tous les grandes puissances qui ont un tel organe. Que ce soit l’Agence Française de Développement (AFD), les agences américaine (USAID), britannique (DFID) ou allemande (GIZ), chaque grande puissance a son agence pour aider et répandre son influence dans le monde. Le but principal de la nouvelle agence chinoise sera de mettre en place des mécanismes de financement pour des projets concernant la nouvelle Route de la soie. La Chine pourra ainsi et désormais appliquer une politique active à travers le monde.

EN AFRIQUE, LA CHINE EST AUJOURD’HUI UNE SUPERPUISSANCE

La nouvelle politique étrangère et de développement chinoise est particulièrement active en Afrique. Le continent est devenu pour elle une chasse gardée en termes de commerce (la Chine est la première partenaire de l’Afrique), d’investissement dans les infrastructure (chemin de fer, routes, ports, aéroports, barrages et réseau électrique), ainsi que dans d’autres projets de développement dans le secteur agricole, l’éducation ou encore la santé. Ces projets sont réalisés sans aucune condition, souvent mis en œuvre très rapidement, les travaux étant exécutés par des entreprises chinoises.

Les critiques de cette approche sont nombreuses : il y a peu de transparence sur les marchés publics ; très peu d’emploi local est créé, et il y a très peu de transfert de savoir-faire. La coopération avec les partenaires locaux dans la mise en œuvre des projets reste une exception.

La Chine a également mis en place un nouveau forum Chine-Afrique (FOCAC), afin de permettre un dialogue avec le continent africain sur le commerce et l’investissement. Le FOCAC s’est réuni déjà deux fois : une première fois en 2016 et une deuxième fois en 2018. Le forum a attiré beaucoup de chefs d’États et de de ministres africains et, dans son discours adressé au FOCAC en 2018, le Président chinois Xi avait souligné son engagement pour une approche inclusive et ouverte. Mais, en réalité, les pays critiquant la Chine ou entretenant une relation diplomatique avec Taïwan – tels le Burkina-Faso et le Swaziland – n’ont pas été invités, et le forum n’a pas su développer une vision commune pour le développement en Afrique.

Plusieurs critiques se font entendre contre cette politique chinoise en Afrique. Elle laisse en effet souvent ses partenaires endettés, sans véritable libre choix et sans développer le secteur local. Même en Chine, des voix s’élèvent contre l’engagement du gouvernement chinois. Pourquoi la Chine investit-elle en Afrique, alors que de grandes parties du pays, principalement des régions rurales, restent sous-développées ? Si l’on pense au ralentissement de la croissance en Chine, actuellement de 6,2 % cette année et prévue de 6 % l’an prochain, l’engagement du gouvernement sur le long terme n’est pas assuré.

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