Les vacances sont finies, ou presque. Cela fait déjà trois mois que le nouveau pouvoir socialiste est en place, s’arrogeant ainsi, pour la première fois dans l’histoire de la République, la totalité des leviers de l’Etat : Présidence, Assemblée Nationale, Sénat, Régions. De fait, on n’avait jamais vu ça. Une occasion absolument unique pour « renverser la table », renverser la vapeur, partir à fond dans l’autre sens, puisque la majorité ancienne était si critiquable que c’est sur cette critique, presque exclusivement, que la nouvelle a été élue. Imprimer sa marque dans l’Histoire et dans les esprits, faire la vraie révolution socialiste, en quelque sorte, et tout de suite, voilà ce qui était possible.
Alors que les conditions, donc, sont plus favorables qu’elles ne l’ont jamais été pour un changement total de politique, et que, par ailleurs, « le char de l’Etat navigue sur un volcan » [1], la planète financière et sociale pouvant exploser à tout moment, que voyons-nous ? Le Président fraichement élu prend trois semaines de vacances (trois semaines !!), le Premier Ministre fait sa rentrée politique le 27 Août, le jour même où l’on annonce une nouvelle explosion du chômage, et explique, patelin, « mais oui, on travaille ! », « on comprend l’inquiétude des français » et « on ne réussira pas en cent jours », avec pour toute réponse un contrat pour les jeunes non qualifiés ressorti de l’ère Jospin. Le sémillant Ministre du Redressement productif continue les effets de manche sans apporter de solutions et se dispute avec les Verts. Le Parti socialiste, lors de son congrès, se chamaille sans vraiment le faire, sur des questions certes importantes [2], mais sans rapport réel ni avec ses nouvelles responsabilités, ni avec la gravité de la situation. Quelle ambition s’affiche, quelle vision voyons-nous ? Cette « famille » socialiste, humiliée par la droite et privée de pouvoir pendant si longtemps, ne devrait manquer pourtant ni de talents, ni d’idéaux, ni d’esprit de revanche.
Le reproche qui avait été fait à Sarkozy, parmi beaucoup d’autres, était celui de l’hyperprésidence, de la décision solitaire, autocratique, non concertée, des français non pris en compte, bref, une faute de leadership. A l’inverse, l’occasion était merveilleuse de prendre les problèmes à bras-le-corps, de créer un choc psychologique, de mobiliser la patrie en danger, comme Georges W Bush sur son tas de gravats au soir des attentats, lançant l’Amérique vers la guerre antiterroriste. Rien de tout cela, il ne se passe rien. Mais que se passe-t-il donc ?
Est-ce un manque de dimension, de « grandeur »,chez les socialistes ? Depuis longtemps, les petits calculs auraient-ilsremplacés les hautes visions, et ceux qui avaient du souffle auraient-ilsété écartés, découragés, étouffés, achetés ou pourris ? C’possible, sinon probable. D’ailleurs existe-t-il encorede la grandeur quelque part ? Les temps des Mao, Charles de Gaulle, Kennedy, Gandhi ouBourguiba ne sont plus. Mais cela ne suffit pas à expliquer cette incroyable apathie ?
On pourrait aussi penser que l’équipe aux commandes est tétanisée par le pouvoir et par l’enjeu. Ça pourrait facilement se comprendre. Après tout, il y a de quoi. Comme dans une cambuse remplie de poudre, tout aujourd’hui, que ce soit la politique intérieure, européenne ou internationale, est explosif. Et ce n’est pas la même chose d’être confortablement dans la cabine, en train d’insulter le capitaine à cause du roulis, du tangage, et de la vaisselle qui vole, ou d’être attaché à la barre en pleine tempête, en tenant tant bien que mal le bateau dans l’axe, avec le vent qui hurle, l’eau noire, les creux de six mètres, la peur au ventre et les paquets de mer dans la figure…. La crainte de l’enjeu pourrait donc être une explication, mais après tout, un homme politique se prépare toute sa vie pour vivre, ne serait-ce qu’une fois, de tels moments « magiques » et être au rendez-vous de l’histoire. Cela ne suffit donc pas.
Serait-ce alors le « retard à l’allumage » ? Il est vrai que si Sarkozy était un prédateur bouillant, ultrarapide et boulimique, un guépard prêt à se jeter instantanément sur la moindre proie, grande ou petite, son successeur tiendrait plutôt du serpent, froid, calculateur, lent et masqué. Et encore, on verrait plutôt la méthode du constrictor, enserrant sa proie peu à peu, plutôt que celle du cobra, à la contre-attaque fulgurante et mortelle. Le Président, attentiste forcené, aurait-il eu un effet mimétique sur son gouvernement, au point de ne rien annoncer en cent jours, sinon quelques « chicailleries » avec Merkel, le retour à la semaine de 5 jours à l’école, 150.000 contrats aidés pour trois millions de chômeurs, la mise au pilori de quelques grands patrons et des commissions de concertation tous azimuts ? On ne peut tout de même pas le penser. Alors, où est l’explication ?
D’abord, remarquons que si les socialistes ne sont pas forcément les meilleurs gestionnaires du monde, ni les meilleurs praticiens du pouvoir lui-même, par contre ce sont d’excellents professionnels du verbe du pouvoir, de l’idéologie, de la communication et de l’influence. S’ils ne sont pas toujours les plus capables de régler les problèmes, ils n’ont pas leur pareil pour comprendre comment retourner l’opinion, lui dire à l’oreille, quitte à le lui seriner jusqu’à lui brouiller les neurones, ce qu’elle a envie d’entendre, la caresser dans le sens du poil. A ce jeu, ceux de droite sont des petits garçons. Si l’on en doutait, l’élection présidentielle en a été la démonstration magistrale. Nombre de français ne savent pas encore pourquoi ils ont voté à gauche, mais ils y ont été emmenés comme les enfants de Hamelin jusqu’à la rivière par le joueur de flûte… Par ailleurs, le silence et le manque d’énergie apparent du gouvernement semblent si manifestes qu’on ne peut pas éviter de penser qu’ils sont délibérés. Pourquoi ?
Notre avis est que le Président, le gouvernement et les socialistes ont compris que le principal défaut de Sarkozy, c’est d’avoir dérangé les français. Avoir voulu à toute force les réveiller, pour leur mettre le tsunami de la crise et de la mondialisation en face des yeux, avoir tenté, pendant cinq ans et à tout instant, de les secouer dans tous les sens, avoir tiré le cou de l’autruche pour la faire sortir du sable, voilà ce qui n’est pas passé, voilà, en fin de compte, ce qui l’a perdu.
Les socialistes l’ont compris , et ils passent simplement à l’étape suivante d’une stratégie qui a très bien fonctionné pour la présidentielle : « Venez derrière ma musique, jolis enfants ! Rendors-toi, belle autruche, tu ne seras plus dérangée ! », semblent-ils nous dire….
Et de fait, à part Mélenchon, qui réveillerait les morts dans un tombeau, qui réagit ? Quelques manchettes de journaux demandent bien si on se réveille [3], des économistes zélés pointent bien la muraille d’eau (chômage, endettement) qui s’approche de la plage, les cotes de popularité du Président et du Premier Ministre baissent, mais ne s’effondrent pas, et rien pour l’instant ne semble inquiéter les français, aucun signe de l’énervement qui précède la panique, lorsque, inéluctablement, la masse liquide s’abattra sur nous.
Nous n’échapperons pas à une crise majeure, nous le savons tous. Face à elle, deux attitudes possibles : les yeux fermés, comme les enfants de Hamelin, comme l’autruche, ou bien grands ouverts. Les français se disent querelleurs et rebelles. Ils aiment Poitiers, Jeanne d’Arc, Valmy et le 18 Juin, les moments où tout a failli basculer, et où l’énergie collective a sauvé la nation. Le Général de Gaulle disait qu’ils sont des veaux, eux pensent qu’ils ont du caractère. C’est le moment de le montrer.
François Martin
[1] Célèbre réplique de Monsieur Prudhomme
[2] Comment être force de proposition sans être « godillot » ? Qui va succéder à Martine Aubry ? Comment éviter le blues du pouvoir ? On croit rêver…
[3] Titre du Point de cette semaine. Il est assez incongru qu’on puisse seulement poser cette question alors que la maison brûle. En soi, c’est déjà un scandale.
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