La réforme des retraites avait déjà révélé le haut degré d’exaspération des milieux de la justice. Le virus porte un éclairage nouveau sur l’état de déliquescence de nos instances judiciaires : une machine qui fonctionne de travers, quand elle ne marche tout simplement pas sur la tête.

Le confinement et la nécessité pour les citoyens français de se munir de leur attestation de déplacement dérogatoire entraînent une multiplication des verbalisations pour les contrevenants, parfois justifiées, mais comme souvent, ce sont souvent ceux qui ont commis les entorses les plus bénignes qui se voient frappés d’amende, quand des territoires entiers et définitivement « perdus », eux, échappent à toute forme de contrôle. N’assiste-t-on pas, de ce fait, à une dévalorisation de l’amende, de la punition administrée par un Etat qui en use en dépit du bon sens ? Quelle légitimité dans la correction d’un Etat qui refuse d’appliquer le principe d’égalité des territoires, en appliquant un confinement allégé aux zones « sensibles » ?

Si l’Etat verbalisateur se discrédite, la situation des prisons doit nous causer bien plus d’alarmes. Dès les débuts de l’épidémie, aucune consigne claire n’a été prévue pour gérer les situations de tension dans les parloirs des prisons, ou pour organiser intelligemment les circulations en détention, causant des mutineries dans de nombreuses prisons. C’est sans doute la preuve de la légendaire capacité d’anticipation du gouvernement que vante Sibeth Ndiaye, la porte-parole du gouvernement !

La panique semble être le maître mot du maintien de l’ordre pour le gouvernement d’Emmanuel Macron. Risque de débordements dans les banlieues : on ferme les yeux, et on choisit de ne pas y appliquer le confinement, au risque de causer des situations d’une dangerosité sociale et sanitaire extrême, comme en Seine Saint-Denis. Risque de débordements dans les prisons : non seulement on ferme les yeux, mais on fait le choix de les vider ! Il est difficile de continuer à accorder une quelconque confiance à un gouvernement qui manifestement oublie les principes élémentaires que sont la maîtrise de soi, le sens de l’autorité, et la fermeté. Nicole Belloubet, ministre de la Justice, prévoit donc de libérer de manière anticipée 5 000 détenus. Devant la pénurie de personnel, il est évident que l’on va se dispenser d’examiner sérieusement les dossiers des délinquants pour déterminer en conscience ceux susceptibles de bénéficier d’une libération anticipée… et tant pis pour les risques qu’on fait courir aux honnêtes citoyens en relâchant un peu trop vite de dangereux individus. L’actualité bruisse déjà de faits divers de récidives de coupables qui retombent sitôt relâchés. Inutile de préciser que les ex-détenus se soucieront comme d’une guigne de se munir de leur attestation de déplacement. On peut parier qu’ils ne seront pas verbalisés : il ne faudrait pas les vexer, ils sortent de détention, après tout ! Telle est la logique de bon sens de nos gouvernants : ils choisissent de boucler les Français chez eux, mais ne voient guère d’inconvénients à libérer les délinquants.

Mais ce n’est pas tout : la consigne est claire, pour l’avenir, d’éviter à tout prix les peines d’incarcération afin de ne pas engorger les prisons et ajouter de la tension à la tension. Policiers et magistrats gèrent donc comme ils le peuvent, expédient les affaires courantes, remettent des peines, tandis que la France se transforme, encore un peu plus, en Far-West.

Nous sommes tous d’accord sur ce constat : il y aura un « après » pandémie. La remise en ordre de la justice sera incontestablement un gros chantier.

François Billot de Lochner