une forêt d’arbres à billets a bel et bien fini par être plantée et exploitée

Travailler plus pour gagner plus était le slogan de campagne de Nicolas Sarkosy en 2007. Pour certains « travailler moins pour gagner moins », semble être le bilan de ces cinq ans. La façon dont est organisée la rémunération des salariés en France génère un double mécontentement, celui des employeurs et celui des employés. Est-il possible d’y remédier ?

La notion de salaire est très ambiguë. En effet, il y a le salaire brut, que fixe en général le contrat de travail ; le salaire net, qui se déduit du salaire brut en lui soustrayant les cotisations sociales employé, la CSG et la CDRS, et que l’employeur verse au salarié à la fin du mois ; et le salaire super-brut, somme du salaire brut et des cotisations patronales, qui est le coût du travail pour l’employeur.

En France, pour un salarié qui n’est pas cadre, les retenues sur le salaire brut représentent environ 22,36 % de celui-ci, et les cotisations (ou « charges ») patronales entre un peu plus de 40 % et un peu plus de 50 % : le pourcentage exact varie selon la taille de l’entreprise, et les taux retenus pour l’assurance chômage, le versement transport et la prévoyance (assurances complémentaires). Ainsi, dans une grande entreprise, un brut de 2 000 € coûte environ 3 000 € à l’employeur, et le salarié perçoit net environ 1 553 €.

Le malentendu de la feuille de paie

Ces différences sont à l’origine de graves malentendus. L’entreprise qui débourse 3 000 € par mois pour s’attacher les services d’un jeune technicien trouve que c’est une somme ; le salarié, lui, voit ses 1 553 € et se dit qu’il n’est pas bien payé : à peine plus de 10 € de l’heure, quand son garagiste lui facture l’heure 50 € ou davantage. La façon dont est organisée la rémunération des salariés en France génère donc un double mécontentement, celui des employeurs et celui des employés. Serait-il possible d’y remédier ? Oui, en jouant sur deux tableaux.

  •  Premièrement, laisser les gens payer eux-mêmes les dépenses qui ne relèvent pas véritablement de la protection sociale, par exemple les loyers : au lieu de prélever sur le salaire super-brut de quoi verser des allocations logement, pourquoi ne pas laisser au salarié le soin de payer entièrement son loyer ou ses mensualités de crédit immobilier à l’aide de son salaire net, rendu plus conséquent par la diminution des cotisations sociales ? De même, pourquoi ne pas réintégrer le versement transport (2,6 % à Paris) dans le salaire net, et laisser les intéressés payer le vrai prix des transports en commun ?
  • Deuxièmement, renoncer à cette fiction qu’est le salaire brut, baser les contrats de travail sur ce que nous avons appelé « salaire super-brut », et remplacer la grande majorité des cotisations patronales par des cotisations salariales. Comme c’est expliqué à la rubrique « cotisations sociales », cela se ferait facilement, sans modifier ni le coût du travail pour l’employeur, ni le salaire disponible pour le salarié après prélèvements au bénéfice des organismes sociaux. L’idée que le salarié se fait de sa rémunération serait transformée : il cesserait d’avoir sous les yeux le salaire brut, notion qui véhicule une information sans aucun intérêt, et prendrait connaissance de ce que paye réellement l’employeur pour bénéficier de ses services.

Revenus et salaires

Les réformes qui viennent d’être suggérées constitueraient déjà un grand progrès, mais à elles seules elles ne suffiraient pas. La France a en effet besoin que les revenus des ménages soient constitués bien davantage de rémunérations liées à l’activité productive de leurs membres, dont les plus importantes sont les salaires, et nettement moins de transferts sociaux.

Il n’est possible de distribuer sous forme monétaire que l’équivalent de ce qui est produit, moins les sommes nécessaires pour renouveler les infrastructures et le matériel (amortissements). Or, quand on habitue les citoyens à trop compter sur les prestations sociales, ils perdent conscience de cette réalité ; ils revendiquent comme si les caisses de sécurité sociale, de retraites complémentaires, d’assurance chômage, et le Trésor public, étaient installés au milieu de plantations d’arbres à billets leur assurant des possibilités illimitées. On perd de vue que rien ne peut sainement être distribué à titre de prestations sociales qui n’ait été prélevé sur les revenus du travail et du capital.

« Arbres à Billets »

Du fait de cet oubli, une forêt d’arbres à billets a bel et bien fini par être plantée et exploitée : c’est le recours à l’emprunt pour combler les déficits des organismes sociaux et de l’État. L’épargne (pour plus de moitié étrangère) est mobilisée pour fournir des revenus qui ne correspondent à aucune production. Mais quand on demande trop aux arbres à billets, ils finissent par renâcler : l’actuelle crise de la dette publique est le signe de cette lassitude des institutions qui collectent l’épargne des ménages, et qui se rendent compte qu’elles n’ont plus le droit de la confier à des organismes gérés en dépit du bon sens. La phraséologie « politiquement correcte » relative aux marchés financiers qu’il faudrait soumettre à la volonté des pouvoirs publics n’est qu’un écran de fumée destiné à masquer cette réalité.

En 2010, selon l’INSEE, les salaires bruts ont atteint 764,5 milliards d’euros, ce qui veut dire à peu près 600 milliards pour les salaires nets. Les ménages ont reçu 416 milliards de prestations sociales. Ce chiffre n’inclut pas les remboursements d’assurance maladie ni ce qui est fourni gratuitement (soins hospitaliers et enseignement, à titre principal) : il atteindrait alors lui aussi environ 600 milliards. Ce n’est pas assez pour les salaires nets, et c’est trop pour les revenus sociaux, en argent ou « en nature ». Il faut procéder à un rééquilibrage.

Ce rééquilibrage requiert plusieurs changements, mais le principal concerne les seniors : il faut impérativement que beaucoup plus d’entre eux vivent d’un salaire (ou de revenus de travailleurs indépendants) plutôt que d’indemnités de chômage ou de pensions de retraite. Et pour cela il  faut bien évidement d’importantes créations d’emploi, mais aussi une réforme des retraites qui montre clairement aux quinquagénaires qu’ils ne pourront pas bénéficier d’une pension confortable s’ils veulent la percevoir à partir d’un âge précoce.  

 

Jacques Bichot est l'auteur de Les enjeux 2012 de A à Z Abécédaire de l’anti-crise coédité par l'Association pour la Fondation de service politique et L’Harmattan.

 

 

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