Pourquoi la France peine à négocier avec l’Iran

Les pourparlers finaux visant au règlement de la question nucléaire iranienne font apparaître une résistance française. Comment l’expliquer ? Même si les raisons en sont principalement géopolitiques, il est possible d’y ajouter une explication culturelle reliée à deux fractures majeures : la conquête islamique de la Perse et la Révolution de 1789.

Partageant un héritage indo-européen commun, la France et la Perse se sont brusquement éloignées à partir de la conquête islamique. Les grandes divergences s’expliquent en grande partie par la très longue période d’occupation qu’a connu l’Iran depuis lors. La culture aristocratique de la négociation menée par les hommes d’armes s’est effacée à cause du discrédit jeté sur les élites militaires persanes vaincues.

L’occupation islamique

La culture des marchands combinant ruse et sophistication s’est alors substituée aux modes antiques de négociation. Face aux envahisseurs, l’inertie s’est imposée comme la force des dominés. La déliquescence de l’État a favorisé la lenteur et la corruption de ses agents. Face à la suspension du droit commun, les courtiers se sont substitués aux gens de lois afin de dire le droit et régler les difficultés privées. Devant le despotisme des rois et la prodigieuse insécurité des personnes et des biens, s’est développé un langage indirect et ambigu destiné à protéger les sujets de l’arbitraire du pouvoir.

Incapables de maîtriser leur propre destin, les Iraniens ont attribué les malheurs du pays aux complots étrangers. Les longs siècles de domination ont donc forgé une culture allant à rebours de la tradition juridique française fondée sur la prescription des actions de droit, la force de la loi, la bonne foi et le rayonnement juridique.

La rupture de 1789

La seconde fracture culturelle est celle de la Révolution de 1789. Les ambassadeurs français du XVIIe siècle avaient de nombreux atouts pour comprendre les ressorts secrets de la culture persane. Enracinés dans la transcendance et l’attente messianique d’un temps nouveau, ceux-ci servaient un État puissant doté d’une administration disciplinée.

Conscient d’un héritage historique pleinement assumé et partie intégrante de leur identité, ils étaient non seulement capables de saisir les références faites à leur propre passé, mais également aptes à renvoyer leurs interlocuteurs à leurs propres contradictions historiques. Ils n’ignoraient ni l’art de la conversation ni les références littéraires donnant tout son sens à leur culture. L’étiquette de la Cour avait façonné en eux une habitude de la courtoisie devenue une seconde nature.

Aujourd’hui, la fracture révolutionnaire sépare ces improbables messagers de la culture iranienne contemporaine.

Un contre-modèle

Ce n’est donc pas le moindre des paradoxes que l’Iran, considéré à la cour de Louis XIV comme une autre France, une France de l’Orient, soit aujourd’hui présenté par les médias comme un contre-modèle absolu.

Mais après tout, les manipulations conscientes de l’histoire de nos relations diplomatiques peuvent aujourd’hui s’appuyer sur une nouvelle force : la réinitialisation quotidienne des cerveaux par l’invention médiatique de « l’événement du jour », qui vient chasser celui de la veille, et distrait les intelligences de toute réflexion en profondeur. 

 
Thomas Flichy de La Neuville est historien, professeur de géopolitique, membre du Centre Roland Mousnier, Université de Paris IV–Sorbonne. Dernier ouvrage paru : Géoculture, plaidoyer pour des civilisations durables (Lavauzelle, 2015).

 

 

Illustration : Le 19 février 1715, en présence de toute la Cour, Louis XIV reçoit l’ambassadeur perse Mehemet Reza Beg dans la Galerie des Glaces, par Antoine Coypel.

 

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