La Manif pour tous, an I : la leçon d'Azincourt

La Manif pour tous fête son premier anniversaire. Malgré cette mobilisation historique, sans précédent, la loi Taubira est passée. Faut-il en conclure que l'étonnante opposition qui s'est levée contre le projet de "mariage" entre personnes de même sexe se solde par un échec ? L'histoire montre que certaines défaites sont très relatives... et l'amorce de véritables retournements de situation.

DES REFLEXIONS, quand ce ne sont des livres entiers, fleurissent régulièrement sur « l’épopée LMPT ». Plus ou moins partisanes, plus ou moins nostalgiques, elles s’accordent toutes sur l’ampleur totalement imprévisible de ce qui restera comme l’une des plus grandes mobilisations pacifiques qu’ait connue la République.

Toutefois, si cette « défaite culturelle pour la gauche » ne fait pas de doute [1], on ne peut éluder cette question lancinante : finalement, avec ses millions de Français mobilisés sur plusieurs mois, les dizaines de milliers d’actions locales (tractage, affichage, accueil de personnalités politiques, événements médiatiques, veillées, conférences…) et l’effort familial et financier consenti parfois à un très haut degré de générosité et de courage, La Manif pour tous se solde-t-elle par un échec ?

Il est probablement trop tôt pour répondre. Au moins pour deux raisons. D’abord, l’histoire montre que l’issue d’une guerre ne peut se déduire de celle des premières batailles. Et la guerre n’est pas finie, comme en témoigne « l’AN II » de LMPT et le Grenelle de la Famille. Ensuite, toutes les batailles n’ont pas la même valeur et il en est qu’il vaut mieux abandonner que les mal gagner.

Pour autant, aucune guerre ne se gagne sans « rex [2]» ni remise en question et l’anniversaire  d’Azincourt, le 25 octobre, quelques jours avant celui de La Manif pour tous du 17 novembre peut aussi offrir un éclairage intéressant. Selon Thucydide, « l’histoire est un perpétuel recommencement » ; essayons d’en tirer quelques leçons.

Echec à la dame

D’un certain point de vue, l’épopée LMPT a pris la forme d’une aporie. Comment expliquer que la loi soit passée alors que toutes les mobilisations LMPT ont connu un franc succès et donné lieu à un foisonnement d’initiatives à travers toute la France [3] ?

À la relecture des événements, une analyse s’impose : LMPT et le gouvernement ne jouaient pas au même jeu. Les règles n’étant pas les mêmes, chacun pouvait se croire vainqueur. Alors que le combat LMPT s’inscrivait dans une tradition politique de respect des institutions et de cohésion nationale et populaire au sens démocratique de son acception, les socialistes avaient abandonné ces schémas (qui furent aussi les leurs dans le passé [4]) au profit d’une conception totalitaire du pouvoir. D’une certaine façon, LMPT jouait encore aux dames avec une certaine naïveté, misant tout sur sa supériorité numérique, quand les socialistes jouaient aux échecs avec la conscience aigüe de posséder les quelques pièces maîtresses.

Certains l’ont compris assez tôt et la manifestation manquée du 24 mars 2013 reste probablement celle qui aura cristallisé le plus d’amertume dans les rangs LMPT. Le Printemps français, les Veilleurs, les Homen, puis les Mères veilleuses et les Sentinelles notamment, ont perçu le véritable visage de l’adversaire. D’autres préfèrent encore aujourd’hui minorer les innombrables symptômes.

Sagesse ou déni ? Chacun peut en juger.

« Pour connaître les hommes, il faut les voir agir »

Rousseau (l’Emile) est ici de bon conseil et, pour ne pas ajouter l'érosion des souvenirs à la désinformation médiatique, il est bon de rappeler quelques faits et gestes du pouvoir en place.

Sur l’attitude tyrannique face au pouvoir législatif :

  • L’entente parlementaire (221 députés et sénateurs) n’est reçue que dix minutes, dans une loge de l’Elysée et par un simple membre du cabinet.
  • La veille de l’ouverture des débats à l’Assemblée nationale, cinq ministres du gouvernement et la compagne du président participent à une fête « pro » avec le monde du show-biz. Ceci au mépris du devoir de réserve et du respect des institutions [5].
  • Pendant les débats à l’Assemblée nationale, le ministre de la Justice, Christine Taubira, signe une circulaire reconnaissant la GPA à l’étranger, ceci en violation des lois françaises votées par le Parlement, comme le reconnaîtra la Cour de cassation le 13/09/2013 [6].
  • Sur le fond, d’un point de vue institutionnel, l’Assemblée n’a pu jouer son rôle. La tactique du gouvernement fut simple, efficace, méprisable : ne pas répondre aux objections de l’opposition, esquiver le débat, limiter le temps de parole de sa propre majorité et foncer à marche forcée vers le vote final. Elle a permis un passage en force de la loi sans réel débat.
  • Le Sénat ne fut pas mieux loti, avec un calendrier accéléré et un vote final à main levée comme les dictatures les affectionnent.

Sur l’attitude tyrannique face aux autres pouvoirs :

  • Face aux 700 000 signatures remises au CESE (troisième assemblée de la République après l’AN et le Sénat), Matignon donne consigne à son président de rejeter la pétition. Ceci en violation du principe de séparation des pouvoirs.
  • Constatant que le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) ne suit pas la politique du gouvernement, le Président décide de le renouveler en excluant les opposants et en y faisant entrer ses partisans le 22/09/2013.
  • Se prononçant sur l’objection de conscience des maires, le Conseil constitutionnel les considère comme de simples fonctionnaires soumis à leur devoir de réserve et d’obéissance… pour que cela soit vrai il faudrait que les maires soit nommés par l’Etat, comme cela se fait en dictature, et non élus sur un programme et des valeurs.

Sur l’attitude tyrannique face au peuple de France :

  • Refus répété du gouvernement de procéder à un référendum comme le demandaient des associations, des personnalités politiques et plusieurs pétitions [7].
  • Les atteintes à la liberté de manifester et de circuler, à la liberté d’opinion sont nombreuses. Les multiples exactions des forces de l’ordre et les intimidations proférées à l’encontre des manifestants « anti » par des membres du gouvernement eux-mêmes atteignent un niveau jamais atteint sous la Ve République. Elles feront notamment l’objet d’un livre, La Répression pour tous, d’assignations de l’Etat pour faute lourde et d’une mise sous surveillance de la France par le Conseil de l’Europe [8].

Sur les atteintes à la liberté de penser et l’iniquité :

  • Athéisme d’Etat dont on perçoit bien que l’étape ultime est l’interdiction des religions [9] ;
  • Minimisation systématique du nombre des manifestants « anti » dans des proportions qui dépassent le ridicule pour atteindre le mépris ;
  • Réception sous 24h du représentant du lobby LGBT (21/11/2012) qui annonce lui-même sur le perron de l’Elysée que le président retire ses paroles sur la liberté de conscience des maires. Après plusieurs semaines de demande, les représentants LMPT sont reçus une demi heure par le Président qui les fait sortir de l’Elysée par une porte dérobée.
  • Le pouvoir laisse les « pro » manifester avec des pancartes et slogans d’une violence (« Un hétéro, une balle, une famille, une rafale ! ») et d’une indécence extrême sans aucune réaction. À l’opposé, les « anti » seront systématiquement accusés d’être homophobes, fascistes, haineux… par des membres du gouvernement eux-mêmes et grâce à un relai médiatique digne de la Pravda. Certaines images tournées par France 2 et favorables aux « anti » seront tout simplement censurées [10].
  • Le gouvernement interdit aux écoles libres d’aborder le sujet du « mariage homo » dans leurs établissements, quand bien même il ne s’agirait que d’appeler à réfléchir. Pour autant, la porte-parole du gouvernement ne se prive pas de faire l’éloge du mariage homo dans une école et l’association de parents d’élèves de gauche FCPE appelle à manifester pour !
  • Enfin, cas symptomatique de cette iniquité, le cas Nicolas Buss. Jeune homme « LMPT » pourchassé par la police sans motif apparent et jeté en prison alors que les casseurs du Trocadéro et la bande de voyous du RER D furent si peu inquiétés…

La réponse de Jean-Pierre Michel , rapporteur de la loi au Sénat, à Thibaud Collin, philosophe, résume cette conception marxiste et totalitaire du pouvoir :

"

« Ce qui est juste c’est ce que dit la loi, c’est tout ! Et la loi, elle ne se réfère pas à un ordre naturel, elle se réfère à un rapport de force à un moment donné [11]. »

"

Autrement dit, la France apaisée du gouvernement est exclusivement régie par la loi du plus fort [12], le faible, la veuve et l’orphelin n’ont qu’à se taire ou mourir [13]. Nous sommes assez loin de Montesquieu :

"

« Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi ; mais elle doit être loi parce qu’elle est juste. »

"

Quelles armes pour demain ?

Ainsi, la vraie victoire du pouvoir socialiste n’est-elle pas d’avoir réussi à imposer sa règle du jeu ? Et la vraie défaite de LMPT n’est-elle pas d’avoir été en retard d’une guerre ?

Un enjeu majeur est d’en avoir conscience et c’est à cette prise de conscience que voudrait contribuer cette réflexion. Un autre enjeu majeur est d’identifier ses véritables ennemis, ceux sur qui l’on peut compter et ceux de qui il ne faut rien attendre.

Le 25 octobre, les Anglais fêtent l’anniversaire de la bataille d’Azincourt. Désastre militaire d’une chevalerie qui n’avait pas su ou voulu s’adapter à la guerre « moderne », Azincourt ne signa pas la mort de la France, mais son renouveau. Il suscita la formidable épopée de Jeanne d’Arc, la création de corps de francs archers, ayant obligation de se former et de s’entraîner, et le développement de l’artillerie, qui restera à travers les siècles une spécialité française.

D’aucuns seraient tentés de voir en telle personnalité la figure de Jeanne. Cependant, même allégorique, cette figure est jeune, courageuse et humble. Elle a aussi et surtout le sens de la transcendance. Tous les hommes ne sont pas De Gaulle, toutes les femmes ne sont pas Jeanne d’Arc… Quoi qu’il en soit, à guerre nouvelle cadres nouveaux pour une pensée nouvelle. « On ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres », le personnel politique actuel vit ses dernières années.

Le gouvernement a entraîné la gauche dans sa défaite, celle d’avoir sacrifié son crédit moral. Ce « joker » usurpé par lequel elle disqualifiait et réduisait au silence tout adversaire.

Se former, accéder à la connaissance, développer son esprit critique, est un pré-requis indispensable. Se compter, se savoir épaulé, jauger sa force, est un premier pas. La vraie victoire de LMPT est d’avoir réveillé la France, réinvesti la culture et fait sortir le loup du bois.

"

« La meilleure forteresse des tyrans est l’inertie des peuples »
 (Machiavel).

"

 

E.

___________________________

[1] Jean-Christophe Cambadélis, cité dans R. Stainville et V. Trémolet, Et la France se réveilla (Toucan).

[2] Abréviation utilisée en entreprise et par l’armée pour désigner les Retours d’expérience.

[3] Il serait d’ailleurs intéressant de calculer l’impact en termes de retombées économiques de toutes les « activités LMPT » (billets de trains, de cars, organisation des rassemblements, conférences, produits dérivés « officiels », jusqu’aux activités artisanales comme les espadrilles ou boucles d’oreilles logotées de mamans auto-entrepreneuses…).

[4] « Au-dessus d’un million de personnes dans la rue le régime vacille » avait confié Mitterrand. Le « respect de la rue » sera également un argument de François Hollande lors des manifestations contre le CPE.

[5] Le 28/01/2013, fête organisée au théâtre du Rond-Point des Champs-Elysées par J.-M. Ribes et P. Berger à laquelle participent C. Taubira, M. Valls, A. Filipetti, Y. Benguigui et N. Vallaud-Belkacem. Ce qui est assez révélateur de la conception que se fait le gouvernement de l’exercice du pouvoir. Le parlement n’est-il qu’une chambre d’enregistrement à la botte de l’exécutif ?

[6] Révélant une nouvelle fois la conception dictatoriale du pouvoir dans l’esprit du gouvernement, le pouvoir législatif ayant été court-circuité.

[7] De son côté, l’UNI a envoyé 200 000 cartes postales au président de la République à l’Elysée demandant la tenue d’un référendum… Ces cartes ont été renvoyées par La Poste avec la mention « NPAI »…

[8] Le 27/06/2013, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté la résolution 1947 intitulée « Manifestations et menaces pour la liberté de réunion, la liberté des médias, et la liberté d’expression » et déplore explicitement en Turquie, en France et en Suède « les récents cas de recours excessif à la force pour disperser les manifestants et réitère son appel aux autorités de veiller à ce que l’action de la police, si elle est nécessaire, reste proportionnée ». Ce même mois de juin, plus de 100 plaintes pour faute lourde de l’Etat français ont été rassemblées dans le cadre des répressions policières contre les « anti mariage pour tous ».

[9] Les francs-maçons largement représentés et soutenus par le pouvoir en place se sont prononcés plusieurs fois contre le droit de cité des religions. L’audition des personnalités religieuses à l’Assemblée Nationale s’est terminée en réquisitoire violent contre l’Eglise catholique. Quant à Vincent Peillon, il ne cache pas son objectif d’arracher (sic) tous les élèves aux religions de leurs parents (déclaration de rentrée scolaire, 01/09/2012, réitérée depuis notamment à l'Ass. nationale). Il a par ailleurs affirmé que l’existence de la religion catholique est une entrave à la liberté et « Toute l’opération consiste bien, avec la foi laïque, à changer la nature même de la religion, de Dieu, du Christ, et à terrasser définitivement l’Église » V. Peillon, La Révolution n’est pas terminée, Seuil, 2008.
Enfin, le leader communiste à Paris, Ian Brossat, ne vient-il pas de proposer la démolition du Sacré-Cœur de Montmartre ? (20/10/2013).

[10]  Le 14/01/2013, France 2 censure son propre JT sur l’Internet relatant la Manif pour tous de la veille. Que l’on songe également à « l’affaire Clément Méric ». Cet extrémiste de gauche dont la mort imposa une minute de silence à l’Assemblée et provoqua des anathèmes totalement gratuits contre LMPT… avant qu’une vidéo de surveillance et des témoignages révèlent qu’il avait lui-même provoqué la rixe et attaqué son adversaire dans le dos au cours d’un banal fait divers. Mais, dès lors, cela n’intéressait plus les média.

[11] Par ailleurs, Jean-Pierre Michel a soutenu son attaché parlementaire, Jean Bourdeau, lorsque celui-ci a conseillé à M. Valls de tirer au canon sur le Printemps français (26/05/2013) et l’a à nouveau soutenu lorsqu’il a traité Marion Maréchal-Le Pen de « conne » et de « salope » (13/10/2013). Une certaine conception de la démocratie sans doute…

[12] Ce qui n’est pas sans rappeler la célèbre sortie du député socialiste André Laigniel à la droite parlementaire en 1981 « vous avez juridiquement tort car vous êtes politiquement minoritaires ».

[13] L’on songe évidemment à la recherche sur l’embryon, l’euthanasie, le rejet des handicapés dans le cadre de l’Education nationale ou de la Santé mais aussi à l’appauvrissement des familles qui est un moyen de les asservir.

Pour rendre à César ce qui lui revient, les références de ce texte doivent beaucoup à la compilation de Benoît Jahan « En route vers le meilleur des mondes » du 04/03/2013.