La Chine et l'Inde sont les pays les plus touchés par l'avortement sélectif des fœtus féminins. L'ampleur du déséquilibre démographique est telle que les autorités craignent une déstabilisation de la société.

D'après un travail de l'Académie des sciences sociales de Pékin, le ratio des naissances en Chine est aujourd'hui de 124 garçons pour 100 filles (107 pour 100 au début des années 80) avec des pointes à 130 dans les campagnes [1]. N'y dit-on pas encore qu' élever une fille, c'est cultiver le champ d'un autre [2] ? Le poids de Confucius et de 5000 ans de traditions ancestrales demeure : le garçon assure le prestige de la lignée familiale et la transmission du patrimoine.
Les parents sont d'autant moins enclins à garder une fille que le dogme de l'enfant unique est entré en vigueur en 1979. Le développement des techniques à ultrasons, disponibles dans n'importe quelle ville chinoise de taille moyenne, n'est pas étranger au phénomène. Bien que cela soit strictement interdit, quelques centaines de yuans suffisent à forcer un médecin à révéler aux parents le sexe de l'enfant. Dans les zones rurales où les appareils échographiques ne sont pas encore arrivés, l'infanticide par noyade reste la règle. Les avortements sont une forme de contraception très ancienne, il n'y a pas vraiment de morale religieuse à ce sujet. Déjà on ne considère pas un nourrisson comme un être humain. Se débarrasser d'un bébé avant la naissance ne choque pas. Un avortement est presque un acte patriotique , explique Lijia Zhang, journaliste célèbre dans son pays [3]. Résultat : il manque 60 millions de femmes dans l'Empire du milieu.
Gendericides
Même constat en Inde où l'échographie fait également des ravages. De l'autre côté de l'Himalaya, c'est le fardeau de dots faramineuses que les parents doivent verser lors du mariage d'une fille qui explique la sélection des sexes, toujours plus vivace dans les classes moyennes et urbaines indiennes : Dépenser 5000 roupies (80 euros) maintenant vous évitera 500 000 roupies (8000 euros) dans 20 ans proclame la publicité d'un groupe de cliniques privées [4]. Les chercheurs n'hésitent plus à parler de gendercide ou généricide pour qualifier ce massacre qui touche les riches et les pauvres, les personnes instruites ou non, les hindous, musulmans et confucéens [5].
En raison des difficultés croissantes pour les hommes à trouver l'âme sœur, c'est la stabilité même de la société qui est en jeu. Depuis peu, la police chinoise a fort à faire avec l'explosion du trafic de femmes birmanes, vietnamiennes ou nord-coréennes revendues à des paysans chinois. Des centaines de milliers de jeunes hommes désœuvrés susceptibles de s'engager dans des activités à risque, violentes ou illégales , font craindre une recrudescence de la délinquance.
Quand un homme n'a ni frère, ni sœur, ni oncle, ni tante, ni femme, ni enfant, la pression sociale qui s'exerce sur lui est terrible , résume La Croix http://www.la-croix.com/Un-desequilibre-demographique-qui-inquiete-l-Asie/article/2417013/55351
dans un dossier spécial consacré à la question. Dans un pays où le système de retraite est balbutiant, c'est un drame humain sans précédent qui se prépare car les millions d'hommes chinois qui seront dans l'impossibilité de fonder une famille ne bénéficieront d'aucun soutien affectif ou matériel dans leurs vieux jours.
Au-delà de ces maux sociaux, c'est un scénario démographique catastrophique qu'appréhendent par-dessus tout les autorités chinoises. Spécialiste de démographie à l'Université du Peuple, le professeur Baochang Gu est formel : Au milieu de ce siècle, si rien ne change, la Chine aura la population la plus vieille du monde. Nous aurons 100 millions de personnes de plus de 80 ans ! Les plus de 65 ans représenteront en 2050 25% de la population contre 8% aujourd'hui.
De quoi donner des sueurs froides au gouvernement actuel qui débat des grandes orientations du 12e plan quinquennal (2011-2015). Faut-il desserrer l'étau de la politique de l'enfant unique ? A Shanghai où ce tableau démographique apocalyptique est désormais une réalité, les pouvoirs locaux autorisent des foyers éligibles à avoir deux enfants. Pourtant, moins de 20% des couples interrogés envisagent ce choix. Préférant profiter de l'envolée économique du pays, ils optent pour la règle du zéro enfant double salaire . Quant au tout puissant Planning familial chinois, il a d'ores et déjà qualifié cette mesure d'inacceptable, demandant au gouvernement de maintenir une politique rigoureuse de contrôle des naissances.
[1] Cf. Pierre-Olivier Arduin, Le drame du généricide , La Nef, n. 214, avril 2010, p. 15.
[2] Arnaud de La Grange, La Chine paie le dogme de l'enfant unique , Le Figaro, 16 décembre 2009.
[3] Dorian Malovic, En Chine, une fille, ce n'est pas grand-chose , La Croix, 5 mars 2010.
[4] Marianne Gomez et Nathalie Lacube, Un déséquilibre démographique qui inquiète l'Asie , La Croix, 5 mars 2010.
[5] The Economist, "The war on baby girls. Gendercide", 4 mars 2010.
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