Présidentielle 2012

Après avoir évoqué l’histoire du sentiment patriotique nous poursuivons l’introspection d’un sentiment que d’aucuns disent dans un « sale état » 

Un sous-titre se serait imposé, du genre ‘‘L’amour dans tous ses Etats’’, ce qui aurait laissé entrevoir le lien entretenu par cette question avec les notions d’Etat, certes, mais aussi de «patrie», de «nation», de «pays» et on en passe. A dire vrai, ces liens sont fort étroits. Ainsi que Sacha Guitry l’eut suggéré, l’amour de la France ne s’oppose pas à celui de l’Etat français (à ne pas confondre avec l’appellation officielle du Régime de Vichy !), de la nation française ou de la France ‘‘doux pays de [notre] enfance’’ chanté par Charles Trenet.

S’il existe des nations sans Etats, celles-ci se considèrent le plus souvent comme orphelines, incomplètes, inaccomplies. L’Etat est l’expression juridique de la nation ; il le fortifie et, bien souvent, lui donne, ou redonne vie. On l’a dit et redit, tous les grands voyageurs cultivés le constatent : le monde actuel est plein de nations en attente d’Etats, et le nombre de ces derniers s’accroît d’année en année.

Sans doute, la nation a-t-elle eu longtemps mauvaise presse. C’est qu’on la confondait avec le nationalisme, qui, comme toute idéologie, pervertit, contrefait ce qu’il prétend encenser. Pierre-André Taguieff avait d’ailleurs proposé en 2002 le terme de nationisme en ses lieu et place. Si le nationalisme péguyste ou barrésien vous paraît ampoulé ou surfait, ralliez-vous à ce vocable, plus ‘‘clinique’’, mais qui convient à tout bon royaliste ou républicain qui se respecte. 

Peuple culturel et peuple juridique

On a dit le nationalisme fauteur de guerre. Mais, ainsi que Jean-Paul II le soulignait dans Mémoire et identité, c’est plutôt l’absence de respect de la nation qui en est facteur. Si on respecte les frontières – et le principe de l’intangibilité des frontières est l’un des principes fondamentaux du droit international – point de guerre.

Dans le remarquable Connaître et aimer son pays [1], Bernard Peyrous montre que les deux textes majeurs sur la nation sont le fameux discours d’Ernest Renan et l’ensemble des considérations de Jean-Paul II sur la question. En filigrane, tantôt implicite, tantôt explicite, répété de toutes les manières par ces maîtres en la matière, ce point capital : ce qui fonde, mieux, ce qui autorise l’apparition d’une nation (puis de l’Etat que la consolide), c’est une culture, une culture au sens le plus large, et tout ce qui s’y rattache.Et, non moins capital à constater et à admettre, ce fait concomitant: derrière cette culture, se niche toujours une religion ou, pour le moins, disait Renan, un principe spirituel. C’est ainsi que nous pouvons espérer débusquer notre fil conducteur, celui qui nous permettra d’évaluer l’importance que recouvre, que revêt encore pour nos contemporains l’amour de la France et mesurer la place qu’il tient dans l’esprit des hommes politiques candidats à nos suffrages.

Relevons donc en premier lieu que si patrie, territoire, pays, nation et Etat ne se confondent pas nécessairement, ils ont parties liées. Secondement, les nationaux de chaque pays - qu’on assimilera ici à bon escient à citoyens – sont bien malheureux lorsque ces notions, ces entités ne coïncident pas. Tout un chacun sent que son intérêt bien compris est qu’elles aient parties bien liées. En dernière instance, il s’avère que cet emboîtement culturel et juridique est le seul moyen qui permet non pas à coup sûr la parfaite correspondance du peuple culturel et du peuple juridique, mais au moins que la question de leur distinction ne se pose plus. Pas à pas approchons-nous de la sorte de ce sentiment que la France devrait nous inspirer, peu à peu cernons-nous de moins loin le critère qui nous permettrait de l’authentifier.

Comme tous les affects, comme bien des sentiments, l’amour est sujet à malfaçons. Et l’amour porté à la France, en raison des conséquences qu’il engendrera pratiquement, politiquement n’est pas le moindre de ces sentiments, objet de notre vigilance critique. Susceptible de bien des méprises, cet amour-là doit être abordé – on allait dire : examiné – avec précaution -, comme un chercheur du CERN, à Genève, traque une particule élémentaire. (On espère ne pas avoir à naviguer en pleine physique quantique !). Retenons déjà que l’Etat, la nation, tout ce qui s’ensuit ne sont pas des réalités contre l’amour de la France, mais tout contre. Suspectons du même coup et d’ores et déjà, que si «amour de la France» il y a, il est dans un sale état.

[1] Bernard Peyrous, Connaître et aimer son pays –Une réflexion chrétienne sur les nations , éditions de L’Emmanuel.