Lettres bleues sur fond blanc. Rien d'autre. Il fait beau. Le métro redémarre, et me voilà transportée dans une force et une joie nouvelles. Surprenantes lettres sur des murs consacrés à la consommation la plus échevelée.

Surprenant et solitaire N'ayez pas peur ! , qui a appelé, le lendemain, au gros feutre noir la signature d'un petit malin : Jean-Paul II , peut-on lire d'une écriture malhabile, comme si l'on avait craint que ne soit usurpée et détournée une phrase relique désormais. Les jours passent et voilà que, blanche et lumineuse, se dévoile la campagne de publicité pour le prochain spectacle de Robert Hossein [1].

On respire, on se réjouit : aucun détournement, il s'agit d'une mise en scène de la vie du pape Wojtyla. Les affiches révèlent un Jean-Paul II solide et tendre, tenant dans ses bras une petite fille malade. On les voit partout, dans le métro, dans la rue sur les vertes colonnes Morris. L'audace de Robert Hossein qui s'est attelé, avec Alain Decaux, par deux fois déjà, à la mort et la résurrection de Jésus, n'est plus à démontrer. À chaque fois, grand spectacle, grande mobilisation, large publicité. Nombre de forums sur la toile ont vibré de l'énigme bleue et blanche, chacun essayant de creuser et de savoir qui était derrière cette campagne de publicité, les haines montant également pour ceux qui avaient décrypté et senti le grand vent de sainteté.

Avant Jean-Paul II, le cardinal Wyszynski

N'ayez pas peur , Levez-vous ! Allons ! , Avancez en eaux profondes que d'injonctions évangéliques pleines de vie et de confiance ! Tout l'esprit de Jean-Paul II était là, dans le courage que donne la force de la foi. Dans Levez-vous ! Allons !, grande méditation sur la vocation épiscopale, mais plus précisément dans la sixième et dernière partie intitulée Dieu et le courage , Jean-Paul II rappelle la mémoire de tant d'évêques intrépides . Relevez-vous et n'ayez pas peur , cette phrase de l'Évangile de Matthieu, Jean-Paul II s'en est nourri, se l'est sans cesse appliqué à lui-même, lui, pape slave, et évêque de Rome parmi les plus intrépides également. Pour comprendre les sources de son célèbre N'ayez pas peur , relisons le passage où Jean-Paul II honore la dette qu'il avait à l'égard de Mgr Wyszynski, quand il reprend à son compte ses paroles de feu : Pour un évêque le manque de force est le début de la défaite. Peut-il continuer à être apôtre ? Pour un apôtre en effet, le témoignage rendu à la vérité est essentiel. Et exige toujours la force [2]. Et encore : La plus grande faiblesse de l'apôtre est la peur. C'est le manque de foi dans la puissance du Maître qui réveille la peur ; cette dernière oppresse le cœur et serra la gorge. L'apôtre cesse alors de professer. Reste-t-il apôtre ? Les disciples, qui abandonnèrent le maître, augmentèrent le courage des bourreaux. Celui qui se tait face aux ennemis d'une cause enhardit ces derniers. La peur de l'apôtre est le premier allié des ennemis de la cause. "Par la peur contraindre à se taire", telle est la première besogne de la stratégie des impies. La terreur utilisée par toute dictature est calculée sur la peur des apôtres. Le silence ne possède son éloquence apostolique que lorsqu'il ne détourne pas son visage devant celui qui le frappe. C'est ce que fit le Christ en se taisant. Mais par ce signe, il démontra sa propre force. Le Christ ne s'est jamais laissé terrorisé par les hommes. Sorti dans la foule, il dit avec courage : "C'est moi." Mgr Dziwisz, dans Une Vie avec Karol (Desclée, seuil), revient également sur le N'ayez pas peur inaugural du pontificat, appel inoubliable , défi ... sans précédent [3] : N'ayez pas peur, ouvrez, ouvrez tout grand les portes au Christ ! À sa puissance salvatrice, ouvrez les frontières des États, les systèmes économiques et politiques, les immenses domaines de la culture, de la civilisation, du développement. Pour le fidèle Stanislas, il y avait là contenu tout son projet de vie, le projet de son cœur, de sa piété et, en même temps, le projet du service pastoral qu'il était, en digne successeur de Pierre, en train de bâtir pour l'Église universelle . La devise de sa vie , devint par là même les lignes directrices de son pontificat . Derrière ces paroles se cachait la volonté d'insuffler de la force et du courage, en particulier aux nations réduites en l'esclavage auxquelles il faisait découvrir la liberté. Les soviétiques ont pu croire un temps, analysant à tort de manière politique cette élection de tous les dangers pour eux, qu'il serait certainement possible de neutraliser ce pape venu de l'Est. Mais c'était oublier, nous rappelle Mgr Dziwisz, que le fameux N'ayez pas peur ne venait pas d'une idéologie mais de l'application de l'Évangile, de l'imitation du Christ .

Toute la vérité de sa force s'explique par la force de la vérité elle-même. Riche de ces paroles, le nouveau pape commença à parcourir le monde et, sous mes yeux, à le transformer. La vocation universelle à laquelle Jean-Paul II a si bien répondu et en même temps appelé tout homme de bonne volonté, vocation mondialiste, pourrait-on presque dire, cette vocation si large faisait partie de sa mémoire, de son histoire, de l'héritage de sa foi et de sa culture qu'il avait emporté de sa patrie jusque sur la chaire de Pierre De cette devise naîtra la grande intuition développée dans la toute première encyclique : Il faut constamment remonter au "N'ayez pas peur", car il est source de l'inspiration de Jean-Paul II pour identifier l'idée maîtresse de Redemptor hominis : l'homme, puisqu'il a été racheté par le Christ, est la "route" de l'Église, l'homme dans son intégrité d'âme et de corps, dans sa tension constante entre vérité et liberté. Oui, au moins à ce moment-là, au moins dans certains milieux, dans une situation ecclésiale encore marquée par certaines peurs du passé, il se peut que cette notion ait aussi surpris, déconcerté. Mais elle a fini par s'imposer comme le programme de toute l'Eglise, le programme du pontificat et aujourd'hui, encore, elle n'a rien perdu de son actualité. Elle fait partie de son magistère, de la mission de la communauté ecclésiale [4] . Après Jean-Paul II, Benoît XVI

La fortune du N'ayez pas peur est en effet en route ; considérable, féconde, elle habite le cœur de tous ceux qui veulent être fidèles à l'esprit de Jean-Paul II et, au-delà de lui, à son successeur. Benoît XVI a repris le flambeau et a fait entendre de manière nouvelle une devise désormais ecclésiale, élargissant l'appel de Jean-Paul II, l'extirpant de son immédiate interprétation historique et de son conditionnement communiste, même si des pays comme la Chine par exemple, restent encore tributaires de ce premier sens-là. Voici comment Benoît XVI concluait l'homélie de la messe inaugurale de son pontificat : En ce moment, je me souviens du 22 octobre 1978, quand le Pape Jean-Paul II commença son ministère ici, sur la Place Saint-Pierre. Les paroles qu'il prononça alors résonnent encore et continuellement à mes oreilles : "N'ayez pas peur, au contraire, ouvrez tout grand les portes au Christ". Le Pape parlait aux forts, aux puissants du monde, qui avaient peur que le Christ les dépossède d'une part de leur pouvoir, s'ils l'avaient laissé entrer et s'ils avaient concédé la liberté à la foi. Oui, il les aurait certainement dépossédés de quelque chose: de la domination de la corruption, du détournement du droit, de l'arbitraire. Mais il ne les aurait nullement dépossédés de ce qui appartient à la liberté de l'homme, à sa dignité, à l'édification d'une société juste. Le Pape parlait en outre à tous les hommes, surtout aux jeunes.

En quelque sorte, n'avons-nous pas tous peur – si nous laissons entrer le Christ totalement en nous, si nous nous ouvrons totalement à lui – peur qu'il puisse nous déposséder d'une part de notre vie? N'avons-nous pas peur de renoncer à quelque chose de grand, d'unique, qui rend la vie si belle? Ne risquons-nous pas de nous trouver ensuite dans l'angoisse et privés de liberté? Et encore une fois le Pape voulait dire: Non! Celui qui fait entrer le Christ ne perd rien, rien – absolument rien de ce qui rend la vie libre, belle et grande. Non! Dans cette amitié seulement s'ouvrent tout grand les portes de la vie. Dans cette amitié seulement se dévoilent réellement les grandes potentialités de la condition humaine. Dans cette amitié seulement nous faisons l'expérience de ce qui est beau et de ce qui libère. Ainsi, aujourd'hui, je voudrais, avec une grande force et une grande conviction, à partir d'une longue expérience de vie personnelle, vous dire, à vous les jeunes: n'ayez pas peur du Christ! Il n'enlève rien et il donne tout. Celui qui se donne à lui reçoit le centuple. Oui, ouvrez, ouvrez tout grand les portes au Christ – et vous trouverez la vraie vie. Amen. Puis, aux jeunes de Cologne en 2005, le pape allemand a repris, une nouvelle fois et de manière nouvelle, les paroles de son vénéré prédécesseur : Mais vous, chers jeunes, n'ayez pas peur de proclamer l'Évangile de la Croix en toutes circonstances. N'ayez pas peur d'aller à contre-courant !

Santo !

De la fenêtre du ciel [5] d'où il se penche pour nous bénir, en ce deuxième anniversaire de sa mort, Jean-Paul II nous redit sa devise, c'est sûr, nous redonne courage et audace. Confiants avec Benoît XVI et toute l'Église, nous attendons sa béatification officielle, nous la génération qui osions l'appeler avec affection "J-P-II". Ce sera un grand jour : jour de fête et de grande mobilisation joyeuse.

En hâte !

* Hélène Bodenez est professeur de lettres à Saint-Louis de Gonzague (Paris).

FAIBLE est le peuple s'il accepte sa défaite, s'il oublie qu'il reçut mandat de veiller jusqu'à ce que vienne son heure. Car sur l'immense cadran de l'histoire, les heures viennent toujours.

Voici la liturgie de l'histoire. La vigile est Verbe du Seigneur et verbe du Peuple, parole toujours acceptée à nouveau. Les heures deviennent le psaume de conversions à n'en pas finir :

nous sommes en marche pour prendre part à l'Eucharistie des mondes.

Karol Wojtyła, Poèmes,

extrait de En pensant : Patrie, je reviens vers l'arbre... , Cana-Cerf, Paris, 1998

LAISSE agir en moi le mystère, enseigne-moi à agir

dans le corps que traverse la peur

tel un messager de la chute,

tel le coq qui chante —

laisse agir en moi le mystère, enseigne-moi à agir

en cette âme gagnée par l'angoisse du corps

et qui craint à sa place —

qui craint aussi de sa propre crainte : pour la maturation,

pour les actes dont la trace restera dans l'esprit humain,

pour la profondeur où cette âme fut plongée,

pour le divin même...

L'âme a sa propre peur, qui ne contredit pas l'espérance.

Karol Wojtyła, Poèmes,

Méditation sur la mort ,

extrait de Au commencement est la crainte , Cana-Cerf, Paris, 1998

...

Pour en savoir plus :

■ N'ayez pas peur, de Robert Hossein, du 21 septembre 2007 au 4 novembre 2007 à Paris, Palais des sports, porte de Versailles. Achat des places : Fnac.com ou Ticketnet.fr

[1] N'ayez pas peur , Spectacle de Robert Hossein, Palais des Sports de Paris, à partir du 21 octobre 2007.

[2] Jean-Paul II, Levez-vous ! Allons !, Plon-Mame, Paris 2004, p. 167-168.

[3] Stanislas Dziwisz, Une Vie avec Karol, entretiens avec Gian Franco Svidercoschi, Préface de Jean-Marie cardinal Lustiger, Desclée de Brouwer-Seuil, Paris, 2007, p. 91 sqq.

[4] Mgr Dziwisz, op. cit.

[5] Nous pouvons être sûrs que notre Pape bien-aimé est maintenant à la fenêtre de la maison du Père, qu'il nous voit et qu'il nous bénit. Oui, puisses-tu nous bénir, Très Saint Père Card. J. Ratzinger, 8 avril 2005. Plantu, dans l'édition du Monde du 3 avril, a rejoint l'intuition du Cardinal Ratzinger en dessinant la fenêtre du Vatican vide de la présence de Jean-Paul II mais pleine d'un ciel bleu. N'acceptait-il pas déjà, lui aussi, avec les lecteurs d'un quotidien qui avait pourtant bien souvent malmené le pape, que Jean-Paul II soit déjà au Ciel ?

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