J’entends un peuple qui se lève

La Manif-pour-tous, une fois de plus, a été un véritable succès qui ne peut être démenti. Qui, en voyant les photos et les vidéos de l’édition du 24 mars, peut le contester ? Aucun groupe, aucun mouvement, depuis cinquante ans, n’avait réussi à mettre dans la rue autant de monde, en maintenant la pression dans le temps, la durée et la fidélité. Régulièrement, la France voit des manifestations ; mais qui peut arguer d’une telle mobilisation ?

Les médias pourront bien dire ce qu’ils veulent ; certains responsables politiques pourront feindre de ne pas voir et de ne pas entendre. En janvier dernier, on nous attaquait sur des soi-disant slogans homophobes que personne n’a jamais pu prouver. Aujourd’hui, des soi-disant extrémistes et dangereux manifestants se seraient attaqués aux forces de l’ordre…

Expliquez-moi comment une foule de 500.000 personnes (je coupe la poire en deux pour mettre tout le monde d’accord) peut-elle être poussée à l’arrière et demeurer bloquée en tête de dispositif sans que quelques « couacs » se passent ? Si la préfecture ne voulait pas que l’on descende les Champs-Élysées (ce que je conçois parfaitement et veux bien entendre), il fallait donner à la Manif-pour-tous un trajet digne de ce nom ! Qui sont les véritables responsables de ces quelques débordements (inévitables, vu la tension) : la Manif ou les responsables politiques qui ne sont pas au rendez-vous d’un « peuple » qui grogne ?

Qui sont les extrémistes ?

Quels que soient les chiffres que l’on avance [1], la réalité est là : les moyens mis à disposition par la préfecture (places et rues, encadrements, etc.) n’étaient pas à la hauteur. Celle-ci avait tablé sur 100.000 personnes : un exemple de plus du succès annoncé ! Les policiers ont été débordés par le nombre. On nous dit que les organisateurs se sont laissés dépasser. Mais qui essaie de minimiser la participation depuis des semaines ? Qui n’a pas donné les moyens aux organisateurs d’une manifestation paisible ? En janvier, plus d’un million de personnes ont défilé pacifiquement sans heurt : il n’y avait eu aucun problème.

Dimanche dernier, ces mêmes personnes, qui ne faiblissent pas, se sont donné rendez-vous dans des endroits ne pouvant les contenir ! Là est la vérité. Beaucoup avaient fait le déplacement depuis la province, se levant très tôt, payant de leur poche, sur leur temps et leur finance. Qui sont les extrémistes ? Des familles avec des enfants et des personnes âgées réclamant qu’un enfant puisse être élevé par un père et une mère ? Réclamant que l’on ne loue pas les utérus pour faire naître un droit à l’enfant ?

Prouvez-leur que ces rapports de force avec les CRS étaient strictement nécessaires ? Les poussettes et les doudous s’attaquaient-ils méchamment aux forces de l’ordre qu’il faille riposter avec les gaz lacrymogènes ?

Christine Boutin brandissait-elle sa matraque contre des pauvres CRS débordés qu’il faille lui riposter en pleine figure ? Le directeur du cabinet du préfet de Paris a même osé évoquer « le comportement agressif des manifestants » ! Comme Laurent Wauqiez l’a dit très justement, nous attendons toujours de voir les casseurs et les délits suite à cette manifestation.

L’unité d’un peuple mise à mal

Ce dédain manifeste ne fait que desservir l’unité d’un peuple déjà si meurtri par toutes les autres crises qui le traversent. Aujourd’hui, les divisions au sein de notre pays sont attisées plus que pacifiées. Le bien commun n’est plus recherché mais c’est la guerre des lobbies et la loi du plus fort.

J’en appelle à tous les responsables comme citoyen mais aussi comme prêtre : on ne peut plus se taire face au désarroi d’un peuple si divisé sur des questions aussi cruciales : ce n’est pas uniquement un droit ou une liberté individuelle qui est en jeu ici, nous le voyons bien ! Ce changement de société, de paradigme, ne peut pas être imposé à tous sans prendre temps de refaire l’unité du peuple.

Une partie de la population s’engage aujourd’hui dans un rapport de force ; et cela fait peur. Nous prenons, tous et toutes, le risque d’un déni de démocratie et d’une virulente colère qui monte. Se cacher derrière une élection, aussi importante soit-elle, ne sert à rien : une élection ne donne pas un blanc-seing pour la durée d’un mandat. Comme prêtre, je n’ai pas à juger publiquement des décisions politiques et économiques prises aujourd’hui. Mais je fais le constat, quotidiennement et comme beaucoup, d’un peuple divisé et à cran.

Notre pays, celui des « droits de l’homme », semble donner l’image d’un pays qui ne se souvient plus que la liberté d’expression est un droit inaliénable : dans ce débat, a-t-on encore droit à la parole sans se faire insulter et traiter de tous les noms ? On peut refuser de voir ce qui se trame sous nos yeux. On peut refuser d’entendre et d’écouter la clameur qui monte. Mais la violence et la colère seront de la responsabilité de ceux qui se tairont.

Un peuple qui se lève

Moi, j’entends un peuple qui se lève. J’entends des hommes et des femmes qui ne croient plus en la politique parce qu’elle semble loin et silencieuse. Ces hommes et ces femmes ne savent plus comment le dire ou le crier ; ils ne savent plus comment le montrer. Que leur restera-t-il pour se faire entendre ?

Aujourd’hui, je vois une partie du peuple qui se sent bafouée, humiliée, bâillonnée. Peut-on se taire ? Le déni face à ce qui se joue dans la rue depuis quelques semaines ne pourra se dénouer de manière paisible. Et comme le disait Kennedy : « À vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes. » Le silence coupable finit toujours par avoir raison de la légitimité de celui qui se tait.

Il est encore temps de ramener la paix en reportant sine die ce projet de loi. Aucune loi n’est jamais définitive. Aucune décision n’est jamais irrévocable. Un grand débat, un grand dialogue, s’impose maintenant ! Le dialogue fait grandir ; l’indifférence et le silence humilient. Aux responsables politiques de choisir ce qu’ils préfèrent. Mais moi je sais, en tous cas, que ce peuple-là ne peut plus se taire.

 
Le père Cédric Burgun, prêtre de la communauté de l’Emmanuel, est canoniste, enseignant-chercheur à l’Institut catholique de Paris.

 

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[1] Les calculs sont simples et efficaces ; et certains sur les réseaux l'ont déjà fait : avenue Charles de Gaulle : 1400m x 70m = 98.000 m2 ; avenue de la Grande Armée : 775m x 70m = 54.250 m2 ; avenue Foch : 1200m x 120m = 144.000 m2 ; avenue Carnot : 300m x 40m = 12.000 m2 ; soit au total : 308 250 m2. Si vous prenez une densité moyenne de 4 personnes au m2, vous obtenez : 1.233.000 personnes. En outre, le général Dary estime le nombre des manifestants répartis sur les avenues adjacentes à l’Etoile à 290.000 personnes. Sachant qu'en raison de l'affluence, à certains endroits les manifestants étaient plus proches des 6 personnes par m2, particulièrement sur l’avenue de la Grande Armée, les polémiques sur le nombre des manifestants en deviennent de plus en en plus risible.

Photo : H. Bodenez