Sur la scène politique française, Nicolas Sarkozy a marqué plusieurs points...

Le président  se révèle meilleur capitaine par gros temps que par temps calme : il fait preuve de rapidité, de volonté et d'esprit de décision.

 

Il a marginalisé un peu plus ses adversaires, le PS s'enfonçant chaque jour davantage dans l'incapacité à adopter une ligne de conduite.

 

Et il a réussi à desserrer l'étreinte politique de critères de Maastricht sur le budget.

En revanche, à vouloir trop en faire, il court le risque de retomber rapidement dans les ornières antérieures : la preuve, cette fausse bonne idée d'un fonds souverain national. Non qu'il faille se désintéresser des entreprises stratégiques ou des PME insuffisamment capitalisées. Mais une chose est d'intervenir sans bruit, de façon opportune et ciblée, une autre de brandir une pancarte sans avoir les moyens de la suite. Les fonds souverains recyclent les excédents, pétroliers ou commerciaux, d'Etats riches ; la France ne dispose que des fonds de la Caisse des Dépôts et Consignations, modestes à l'échelle de ce qui serait nécessaire, et déjà investis...

 

La crise a remis en selle les Etats

Seuls, en  effet, les Etats disposent de la légitimité politique et des moyens de gérer le risque systémique. Mais tous ne sont pas logés à la même enseigne.

 

Les Pays-Bas ont montré qu'ils existent vraiment ; on en avait déjà eu la preuve après le non à l'ex-traité constitutionnel. Et ils savent où se trouve leur intérêt.

 

A contrario, la démonstration est sévère pour la Belgique : celle-ci, après un premier effort, s'est fait prendre à contre-pied par son voisin du nord dans le sauvetage de la partie néerlandaise de Fortis. Réduite à elle-même, elle ne pouvait assumer seule sa part, et encore moins Dexia ; elle a du en remettre les clés aux français (la BNP pour les actifs belges de Fortis et l'Etat français pour Dexia). Incapable de préserver ses intérêts nationaux, enlisé dans le conflit institutionnel entre flamands et wallons, l'Etat belge se trouve devant un avenir désormais incertain.

 

Quant à l'Irlande que ses partenaires s'efforçaient de mettre en corner sur le Traité de Lisbonne, elle a affirmé un peu plus son indépendance et sa volonté de ne pas se laisser dicter sa conduite : tout le monde tient maintenant pour acquis que ce Traité n'entrera pas en vigueur avant les élections européennes de juin 2009. Après ?... Ce sera une autre affaire, car le sentiment se répand qu'il faut revoir le dispositif communautaire.

 

 Le dispositif institutionnel de l'Union européenne est inadapté.

 

C'est aujourd'hui clair aux yeux de tous, que ce soit le dispositif actuel ou celui du traité de Lisbonne : trop lent, trop complexe, trop entravé par les contraintes juridico-procédurales et par les divergences d'intérêt.

 

La commission, en particulier, a brillé par son inexistence et son incapacité à formuler rapidement des propositions opérationnelles. Sommée de lever les entraves aux mécanismes de sauvetage (droit de la concurrence, aides d'Etat), elle s'est pliée aux injonctions, mais avec une mauvaise grâce de plus en plus visible. Pour l'heure, parvenant en fin de mandat, et tout en conservant sa capacité de nuisance, elle est politiquement marginalisée.

 

Ce sont les chefs d'Etat et de gouvernement qui ont pris les choses en mains, la présidence française ayant été une chance à cet égard. Il devrait en rester des traces dans la conduite des affaires européennes. Mais pour quoi faire ?

 

L'ambition affichée par N. Sarkozy de présider l'Eurogroupe à partir du 1° janvier prochain s'est d'ores et déjà heurtée, d'une part au refus allemand qui révèle l'antagonisme des intérêts de part et d'autre du Rhin, d'autre part au raidissement des petits Etats pour qui la construction européenne constitue d'abord une garantie contre le directoire des grands : les français feraient bien de s'en souvenir s'ils veulent éviter les déconvenues.

 

 Le plus dur reste à faire.

 

Le fait que la phase aiguë de la crise ait surpris les Etats-Unis en pleine campagne électorale, avec un président sortant largement discrédité, a beaucoup contribué aux erreurs, retards et incohérences des mesures de sauvetage ; elle contribue encore à leur incapacité de décision comme l'a montré l'échec relatif de la rencontre bilatérale Europe/USA.

 

A dire vrai, en se présentant à Camp David avec des propositions essentiellement institutionnelles (le renforcement des pouvoirs du FMI et de la Banque Mondiale) qui prenaient les américains à rebrousse-poil, N. Sarkozy a sans doute laissé passer une occasion. Son initiative se trouve maintenant enfermée dans un processus diplomatique lent où il risque de s'enliser.

 

Il dispose néanmoins d'une fenêtre de tir qui se refermera le 20 janvier prochain, date de prise de fonctions du nouveau président des Etats-Unis : jusque là, il est possible de mettre sur la table des propositions de fond cohérentes et musclées sur les marchés financiers et le fonctionnement des banques ; après, ce sont les américains qui reprendront l'initiative en fonction de leurs seuls intérêts.

 

Or, l'absence remarquable de la Suisse et du Luxembourg à la réunion convoquée par les français et les allemands sur les paradis fiscaux montre qu'il faudra exercer une pression politique très forte pour les faire renoncer à l'un des ressorts profonds de la crise dont ils tirent un avantage considérable. Qui en sera capable ? En attendant, les autres paradis fiscaux et adeptes de l'opacité auront beau jeu de se cacher derrière ces Etats respectables .

 

 En d'autres termes, le premier essai marqué, celui de l'adoption des mesures d'urgence, n'a pas encore été transformé. C'est d'autant plus préoccupant que, le gros du danger passé, les vieux démons vont rapidement ressurgir. On sait bien que les décisions radicales se prennent à chaud ! Faudra-t-il que la crise financière dégénère davantage encore pour que chacun se plie à la nécessité de révisions déchirantes ?