GPA : l’escalade entre contradictions et irresponsabilité

Jour après jour, les conséquences de la technique des mères porteuses s’installent en France sans débat et par le seul pouvoir des juges. Les affaires judiciaires en cours ne sont pas les suites de la Loi Taubira relative au mariage de personnes de même sexe, mais de la circulaire Taubira demandant d’accorder un certificat de nationalité française aux enfants nés de mère porteuse à l’étranger.

Alors que la France maintient l’interdiction de la GPA, la question de fond est de savoir, ce qu’il convient de décider, dans notre droit interne, du statut des enfants nés de mère porteuse dans un pays qui autorise cette pratique ou du moins ne l’interdit pas.

Faut-il valider le fait accompli par le droit ? Notre droit peut-il admettre l’efficacité d’un contrat contraire à l’ordre public ?

En d’autres termes, faut-il, au motif d’une fraude à la loi française, refuser d’établir une filiation maternelle et paternelle à ces enfants ? C’est la question de l’articulation entre un principe d’interdiction et la gestion de ses effets.

Maternité pour autrui : de quoi s’agit-il ?

La maternité pour autrui fait partie des techniques de l’Assistance médicale à la procréation (AMP).

Deux cas de figure existent.

Si l'enfant est conçu avec les gamètes de la femme qui porte l'enfant et de l'homme du couple qui le désire (ou de l'un des hommes), alors il s'agit d'une procréation pour autrui. La mère porteuse est aussi la mère génétique. Le couple demandeur fournit seulement le spermatozoïde.

Si la femme porte un enfant conçu par l'homme et la femme du couple qui désire l'enfant, alors il s'agit d'une GPA, gestation pour autrui. La mère porteuse n’est pas la mère génétique : elle accueille l’embryon par insémination artificielle (France Info, mercredi 30 janvier 2013).

« La maternité peut ainsi être divisée entre la génitrice, qui a fourni l'ovule, la gestatrice, qui a porté l'enfant et lui a donné naissance, et l'éducatrice (dite mère intentionnelle). C'est ce que permet par exemple le droit californien », indique un rapport d'information parlementaire sur la Famille et les Droits de l'enfant (janvier 2006).

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« Cette technique de procréation conduit dès lors à opérer une césure au sein de la maternité, entre trois composantes auparavant indivisibles : la mère génitrice (ou ovarienne), la mère gestatrice (ou utérine) et la mère sociale. »

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Que dit la loi française ?

Le recours à une mère porteuse est strictement interdit en France. C'est d'abord la Cour de cassation qui, en 1991, a condamné la pratique des « mères porteuses » au motif qu' « il n'y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l'objet des conventions » (article 1128 du code civil).

Le code civil confirme cette interdiction par l'article 16-7 (introduit par la loi bioéthique du 29 juillet 1994) qui stipule que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle ».

Le code pénal indique dans son article 227-12 : « Le fait, dans un but lucratif, de s'entremettre entre une personne désireuse d'adopter un enfant et un parent désireux d'abandonner son enfant né ou à naître est puni d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende. » Mais le code pénal ne sanctionne en revanche ni la personne ou le couple désireux d'accueillir un enfant, ni la mère porteuse elle-même. Seul l’entremetteur ou les sociétés de promotion des mères porteuses sont sanctionnés.

Enfin, la loi bioéthique de 1994 qui autorise le recours à l’AMP pour des couples de sexe différent et pour des raisons médicales bannit le recours à une mère porteuse en raison de l'instrumentalisation du corps humain.

Les deux révisions successives des lois de bioéthique de 2004 et de 2011 maintiendront l’interdiction.

En 2009, l'Académie nationale de médecine avait rendu un avis défavorable à la GPA.

En 2010, le CCNE a rendu un avis négatif sur le recours à la GPA, au nom du refus de l’instrumentalisation du corps de la femme.

Le président de la République a saisi le CCNE pour avis sur l’extension de l’AMP aux couples de femmes et aux célibataires, avant tout examen d’une loi. L’avis du CCNE a été sans cesse reporté. Nul ne sait aujourd’hui quand il sera publié.

Si l’avis était positif, il est fort probable que le gouvernement propose une loi dans ce sens. Se poserait alors la question de l’autorisation de la GPA pour les couples d’hommes par souci d’égalité entre tous les couples, sachant que la loi sur le mariage des couples de même sexe vise à combattre toute inégalité ? Comment réglera-t-on le problème du nom d’une telle assistance à la procréation, qu’on ne peut qualifier de médicale ?

Le fondement de la prohibition de la GPA

Les premiers arguments avancés pour justifier la prohibition de la GPA portaient sur l’indisponibilité et la non-commercialisation du corps humain et l’indisponibilité de l’état des personnes. Plus généralement, c’est le principe de dignité qui est remis en cause par la pratique des mères porteuses.

Depuis quelques années, les féministes se sont emparées du sujet.

Les unes, comme Sylviane Agacinski[1], font valoir que ces pratiques sont contraires au respect des personnes car elles sont un nouvel esclavage pour les femmes et une marchandisation de l’humain. Le 13 juillet 2014, ces femmes ont lancé une pétition pour demander au président de déclarer solennellement l’interdiction des pratiques des mères porteuses et une « Convention internationale visant à prohiber la pratique des mères porteuses, à l’image de la convention du Conseil de l’Europe contre la traite des êtres humains ».

D’autres associations ont elles aussi lancé des pétitions : Nouveau Féminisme européen en mars 2013, ainsi qu’une coordination européenne, No maternity traffic à la fin de l’année 2014.

L’affaire du petit Grammy a ému la terre entière. Elle montre les excès de la pratique des mères porteuses. Souvenons-nous : un couple australien avait commandé un enfant à une femme thaïlandaise pour un montant de 11 000 €.

Celle-ci a donné le jour à deux jumeaux. Las ! Le petit garçon est trisomique et la jeune mère porteuse a refusé un avortement sélectif. Le couple demandeur a alors décidé de garder la petite fille en bonne santé et de laisser à la mère porteuse l’enfant trisomique qui a eu ces mots magnifiques en déclarant vouloir élever son fils :

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« Je m'occuperai de Gammy. Je ne veux le donner à personne. J'espère qu'ils donneront de l'amour à mon bébé. Je leur pardonne tout. C'est le mieux que je puisse faire, pardonner [...]. Ils ont sûrement leurs problèmes »

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Les autres féministes, plus libérales, revendiquent une GPA encadrée au nom de la libre disposition de son corps et de l’autonomie personnelle et demandent une règlementation pour éviter toute marchandisation. C’était déjà la position d’un grand nombre de sénateurs dans le rapport du Sénat sur la gestation pour autrui, publié le 30 janvier 2008.

Parmi elles, certaines proposent que la mère intentionnelle adopte l’enfant né d’une mère porteuse.

La circulaire Taubira du 25 janvier 2013

Le 25 janvier 2014, le garde des Sceaux a envoyé aux greffiers des tribunaux d’instance une circulaire leur demandant de faciliter la délivrance de certificat de nationalité française aux enfants nés de mère porteuse à l’étranger.

Cette circulaire a jeté le trouble en plein débat sur la loi Taubira relative au mariage des personnes de même sexe. En premier lieu parce que le gouvernement avait rejeté tout amendement concernant le recours à l’Assistance médicale à la procréation pour les couples de femmes. En second lieu parce que le certificat de nationalité française a été considéré comme la première étape vers la transcription des actes d'état civil étrangers sur le registre français, donc une porte ouverte vers la reconnaissance de la GPA.

« Le seul soupçon du recours à une gestation pour autrui (GPA) conclue à l'étranger » ne peut suffire à opposer un refus « aux demandes de certificat de nationalité », précise la circulaire.

Le 12 décembre 2014 suite à un recours parlementaire, le Conseil d'État a validé la circulaire Taubira.

Sans remettre en cause l’interdiction d’une telle pratique, la haute juridiction juge que « la seule circonstance qu'un enfant soit né à l'étranger dans le cadre d'un tel contrat, même s'il est nul et non avenu au regard du droit français, ne peut conduire à priver cet enfant de la nationalité française ».

Il est clair que cette circulaire ouvre une brèche dans la jurisprudence, car peut-il y avoir nationalité sans filiation ?

L’évolution de la jurisprudence

La GPA conduisant à une supposition d'enfant, c'est-à-dire le fait d'attribuer à une femme la maternité d'un enfant qu'elle n'a pas porté, la Cour de cassation a maintenu une position constante dans ses arrêts et a toujours refusé d’établir une filiation de l’enfant né d’une mère porteuse en raison d’une fraude à la loi. Ainsi, les enfants nés de cette manière à l'étranger ne pourraient être inscrits sur les registres d'état civil français. Mais en juin 2014, la condamnation de la France par la CEDH entrainera une rupture dans l’unanimité des décisions des tribunaux.

La Cour de cassation

- Le premier arrêt de la Cour de cassation concerne la condamnation de l’association Alma Mater qui mettait en lien des mères porteuses et des parents commanditaires (Cass.1 reciv. 13 décembre 1989).

- Par la suite, le couple emblématique, les époux Mennesson, a vu son pourvoi en cassation rejeté. Après de multiples recours devant les Tribunaux français, la Cour de cassation a décidé, mercredi 6 avril 2011, que leurs jumelles nées de mère porteuse aux États-Unis n'avaient pas le droit à être inscrits sur les registres d'état civil français.

Les petites filles du couple avaient été conçues par l’ovocyte d’une autre femme que la mère porteuse et les spermatozoïdes du mari. Les certificats de naissance avaient été établis conformément à la législation californienne, et les époux Mennesson avaient été désignés comme les parents par les autorités américaines.

Dans sa décision, la Cour de cassation a jugé « contraire à l'ordre public international français la décision étrangère qui comporte des dispositions heurtant des principes essentiels du droit français ». Elle a en outre relevé que les enfants n'étaient pas pour autant « privés d'une filiation maternelle et paternelle que le droit étranger leur reconnaît, ni empêchés de vivre avec leurs parents ».

- Le 13 septembre 2013, la Cour de cassation a dû répondre à deux questions pour une même affaire :

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- La première question était celle de savoir si pouvait être transcrit sur les registres de l’état civil français, l’acte d’état civil, établi en Inde, constatant la naissance dans ce pays d’un enfant dont le père est de nationalité française.

- La seconde question était celle de savoir si pouvait être contestée par le ministère public la reconnaissance de paternité de cet enfant, faite, en France, avant sa naissance, devant un officier de l’état civil.

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La Cour de cassation, après avoir constaté le processus frauduleux de la GPA, a justifié le refus de transcription d’un acte de naissance fait en pays étranger, l’Inde où cette pratique est licite et a déclaré nulle la reconnaissance de paternité du père biologique (Arrêts n° 1091 et n° 1092 du 13 septembre 2013).

- Enfin, le 19 mars 2014, la Cour de Cassation confirme sa position : alors que la cour d’appel de Rennes avait ordonné la transcription de l’acte de naissance d’un enfant né d’une mère porteuse indienne sur les registres d’état civil français, au motif que l’acte de naissance est régulier et désigne comme parent l’homme français et la femme indienne qui sont les père et mère de l’enfant, la Cour de Cassation reprend les termes des deux arrêts du 13 septembre 2013 pour casser sans surprise cette décision : 

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« Est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui, convention qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public. »

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« Il est acquis désormais, explique Aude Mirkovic, que le recours à la gestation pour autrui à l’étranger caractérise “un processus frauduleux dont la naissance de l’enfant était l’aboutissement”. La sanction classique de la fraude est de refuser le résultat recherché en fraude, sous peine de priver la loi française d’efficacité s’il était possible de la contourner à l’étranger et de parvenir malgré tout à ses fins. Encore faut-il préciser jusqu’à quel point la fraude corrompt la situation, ce à quoi contribue la jurisprudence ici reconduite : si la naissance de l’enfant est un fait accompli, la Cour de cassation refuse de cautionner le procédé par la transcription de l’acte de naissance, laquelle serait en quelque sorte le couronnement juridique de l’opération. Autrement dit, elle refuse de faire «comme si de rien n’était ».

La Cour de cassation n’a pas dit son dernier mot. Un arrêt est attendu le 19 juin 2015 suite à un pourvoi, formé le 21 juillet 2014 à l’encontre d’un arrêt rendu le 15 avril 2014 par la Cour d’appel de Rennes (6ème chambre A) et un autre pourvoi, formé le 26 janvier 2015 par le procureur général près la cour d’appel de Rennes à l’encontre d’un arrêt rendu le 16 décembre 2014 par la Cour d’appel de Rennes (6e chambre A).

La question posée par ces deux pourvois est ainsi formulée : « Le refus de transcription sur les actes de l’état civil français de l’acte de naissance d’un enfant dont au moins l’un des parents est français, régulièrement établi dans un pays étranger peut-il être motivé par le fait que la naissance est l’aboutissement d’un processus comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui ? »

La Cour européenne des droits de l’homme

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est venu rompre la constance des arrêts de la Cour de cassation en regardant non plus le point de vue des adultes et le processus frauduleux de la démarche, mais en se fondant sur l’intérêt de l’enfant et en s’appuyant sur les droits fondamentaux.

Saisie par deux couples à qui les tribunaux français refusaient de transcrire dans l’état civil français les actes de naissance de leurs enfants nés de mères porteuses aux États-Unis, la Cour a estimé, dans ses arrêts du 26 juin 2014, que ce refus « portait atteinte à l'identité » des enfants. De plus, « interdire totalement l'établissement du lien de filiation entre un père et ses enfants biologiques nés d'une gestation pour autrui (GPA) à l'étranger » est « contraire à la Convention européenne des droits de l'homme », ont tranché les juges.

Puisque la France n’a pas fait appel de cette décision, devant la Grande Chambre, l’instance suprême, les deux arrêts de la CEDH sont devenus définitifs le 26 septembre 2014 et sont applicables depuis cette date. La France devra s’y conformer, quitte à modifier sa législation.

Cependant, la CEDH précise qu’il n’est pas de son ressort d’imposer ou d’interdire la pratique des mères porteuses.

Par la suite, la position de la CEDH aura des conséquences notables sur les décisions des tribunaux.

Le tribunal de grande instance de Nantes

Ainsi, le 13 mai 2015, s’appuyant sur la décision de la CEDH, le TGI de Nantes, lieu du service national d’état civil et compétent pour inscrire à l’état civil les enfants nés à l’étranger, a donné raison à trois familles qui protestaient contre le refus du parquet d'inscrire leurs enfants, nés d'une gestation pour autrui à l'étranger.

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« Dans ces deux décisions du 26 juin 2014, la Cour rappelait la primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant sur l'intérêt général. Elle soulignait que si la France a le droit d'interdire la GPA sur son territoire, elle ne peut pas porter atteinte à “l'identité” des enfants nés de mères porteuses à l'étranger en refusant de les reconnaître. C'est sur la base de ces deux arrêts que le TGI de Nantes a rendu sa décision mercredi dernier » (Caroline Piquet, Le Figaro, 18 mai 2015).

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Le parquet avait justifié sa position en indiquant attendre des instructions de la Chancellerie.

Le Parquet de Nantes a immédiatement fait appel de la décision du TGI de Nantes qui lui ordonnait l'inscription à l'état civil de cinq enfants nés par gestation pour autrui (GPA) à l'étranger et qu’il avait déjà refusé une première fois.

Appelé à se prononcer sur la question de l’inscription à l’état civil d'enfants nés de gestation pour autrui (GPA) à l'étranger, le procureur général près la Cour de cassation a fait savoir, mardi 19 mai, qu’il la recommanderait sous condition : la filiation devra en effet être « judiciairement prouvée » par le biais d’une expertise biologique.

En cas de demande par un couple – père biologique et mère d'intention –, l’avis du ministère public pourrait conduire à une transcription partielle des actes de naissance, limitée aux liens biologiques prouvés.

C’est la raison pour laquelle, l’arrêt que rendra la Cour de cassation le 19 juin est si attendu : la haute juridiction devra décider si la France doit ou non transcrire l’acte de naissance des enfants nés de mères porteuses à l’étranger sur les registres d’état civil français et suivre l’arrêt de la CEDH, ce qui reviendrait à établir une filiation paternelle et maternelle de l’enfant en droit français.

La dialectique entre interdiction de la GPA et reconnaissance de ses effets

Par exemple, prenons un homme et une femme français qui font appel à une mère porteuse aux États-Unis, en Californie. Selon la législation en vigueur dans cet État américain, ils peuvent être déclarés parents de cette enfant mis au monde par une mère porteuse car là-bas « les parents légaux d'un enfant sont ceux qui avaient l'intention de l'être dès la conception ». En Californie, « les tribunaux ont progressivement admis que les parents commanditaires peuvent, s'ils sont les parents génétiques de l'enfant à naître, obtenir avant la naissance une décision judiciaire leur attribuant la filiation », indique le rapport du Sénat publié en 2008.

Mais vient ensuite la question du retour en France de cet enfant, qui est français puisque conçu par des parents français. La circulaire Taubira rappelle donc juste aux tribunaux qu'ils doivent lui attribuer un « certificat de nationalité », mais ne concerne absolument pas la reconnaissance de ses parents.

Et c'est bien là qu'il peut y avoir un flou : car le ministère de la Justice ajoute que si la France refuse de dire qui sont les parents, elle ne conduit aucune procédure visant à contester une filiation qui serait frauduleuse car issue du recours à une mère porteuse. Pourtant, l'article 336 du code civil permet de contester toute filiation établie en fraude à la loi. Mais, tout comme la précédente majorité, le ministère de la Justice préfère ne pas exercer d'action en contestation, car cela serait notamment « contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant ».

La question de l’articulation entre interdiction de la GPA et prise en compte de ses effets, notamment en matière de filiation, est confiée aux tribunaux. Le garde des Sceaux met en avant l’intérêt supérieur des enfants nés de mère porteuse, oubliant un peu vite que normaliser les effets d’une interdiction fragilise le principe même de l’interdiction et constitue une invitation à transgresser. C’est la position du Premier ministre.

Comme le dit très justement Gaëlle Dupont dans le Monde, « jusqu'à présent, la Cour de cassation a interdit toute reconnaissance de liens de filiation établis à l'étranger pour divers motifs, dont le plus récent est la fraude à la loi. Elle estime que lorsque des personnes ont cherché à contourner la loi française en se rendant à l'étranger pour y bénéficier de pratiques qui leur sont interdites dans l'Hexagone, en l'occurrence l'aide médicale à la procréation, aucun effet juridique des actes établis à l'étranger n'est reconnu à leur retour. Cette non-reconnaissance serait le meilleur moyen, selon les juristes favorables à cette interprétation, de dissuader les futurs couples de s'engager dans cette voie. »

Le premier ministre, dans une interview donnée à La Croix le 2 octobre 2014, rappelait que ces enfants ne sont pas dépourvus d’état civil puisque celui-ci a été établi dans le pays où la GPA a fait l’objet d’un contrat. En effet, le refus de transcrire l’acte de naissance en France n’efface pas son état civil étranger et ne remet pas en cause le lien de filiation reconnu à l’égard de ses parents d’intention à l’étranger.

Dans l’interview citée, Manuel Valls avait réaffirmé que la reconnaissance des enfants nés par GPA resterait interdite en France, malgré la condamnation de la CEDH.

Les décisions récentes de justice lui ont donné tort. Il est vrai qu’il s’était prononcé contre la transcription « automatique » de l’état civil de ces enfants. Fallait-il déjà y voir une brèche et comprendre que les situations seraient examinées au cas par cas, par les tribunaux ?

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« En tout état de cause, le gouvernement exclut totalement d'autoriser la transcription automatique des actes étrangers, car cela équivaudrait à accepter et normaliser la GPA. »

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De même, il s’était engagé à lutter contre les sociétés qui proposent leur service pour mettre en contact des mères porteuses et des couples en désir d’enfants, moyennant une rétribution très élevée. Comme il avait promis de prendre une initiative internationale pour condamner la pratique des mères porteuses.

En refusant de faire appel de la décision de la CEDH le gouvernement s’est mis dans une situation intenable. À moins qu’il ne faille y voir le signe d’une fuite en avant : le pouvoir des juges supplanterait celui des représentants du peuple français, les députés et les sénateurs seuls habilités à voter la loi. Il est vrai qu’en matière de questions de société, la jurisprudence précède souvent la loi.

Comme nous l’avons écrit plus haut, les affaires relatives à la GPA portées actuellement devant les tribunaux ne sont pas la conséquence directe de la loi Taubira relative au mariage des personnes de même sexe. Cependant, plusieurs cas méritent d’être soulignés car ils pourraient bien rejoindre l’esprit et la lettre de la loi Taubira :

1/ La loi Taubira sur le mariage ouvre automatiquement l’adoption aux couples mariés quelle que soit leur composition, de même sexe ou de sexe différent. Bien que le recours à l’AMP soit exclusivement réservé aux couples homme/femme et pour des raisons médicales, plusieurs tribunaux ont accordé l’adoption d’un l’enfant, à la compagne de la mère biologique qui a eu recours à l’AMP à l’étranger, pendant que d’autres tribunaux la refusaient. Le 22 septembre 2014 la Cour de Cassation donnait un avis : « Le recours à l’Assistance médicale à la procréation (AMP) à l’étranger, par insémination artificielle avec donneur anonyme, ne fait pas obstacle à ce que l’épouse de la mère puisse adopter l’enfant ainsi conçu. »

Nous retrouvons la même dialectique que dans les affaires liées à la GPA. L’interdiction d’une pratique continue d’être affirmé (le recours à l’AMP pour un couple de femmes), mais les effets, notamment en matière de filiation, sont normalisés par les tribunaux.

2/ Récemment, le ministre des Affaires étrangères a demandé que des enfants jumeaux nés d’une mère porteuse à Mexico pour le compte d’un couple d’hommes reçoivent un certificat de nationalité française, avant sans doute de se voir transcrire à l’état civil français leur filiation déjà établie à l’étranger. Le consulat de France avait refusé de délivrer un laissez-passer aux jumeaux nés il y a deux mois, ce qui les empêchait de regagner la France. En intervenant directement, le ministre des Affaires étrangères ne fait qu’appliquer la circulaire Taubira validée par le Conseil d’État, en décembre dernier.

Dans ce cas, il s’agit d’un couple d’hommes. Faut-il s’attendre à ce que les deux enfants une fois rentrés en France voient leur acte de naissance transcrit sur les registres d’état civil ?

Lors des débats parlementaires sur la loi Taubira, nous avions rencontré le rapporteur, Erwan Binet. Nous lui avions déclaré que l’AMP et la GPA arriverait tôt ou tard comme prolongement et comme conséquence de la loi Taubira. Il en avait convenu tout en précisant que l’AMP pour deux femmes ne pouvait être comparée à la GPA pour deux hommes. Cet argument ne tient pas sauf à remettre en cause le principe d’égalité qui a été en quelque sorte le fondement de la loi Taubira.

En d’autres termes, le gouvernement a choisi de passer par la voie judiciaire pour normaliser les effets des pratiques de mères porteuses et de recours à l’AMP pour les couples de femmes. Cette posture lui permet de continuer à proclamer la main sur le cœur que la France n’acceptera jamais ces pratiques. Entre temps, les couples qui voudront y avoir recours ne s’en trouveront nullement empêchés.

Nous laisserons la conclusion à Aude Mirkovic, maitre de conférences en droit privé :

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« En réalité, cette jurisprudence révèle aussi ses limites : si l’on veut vraiment protéger les femmes et les enfants de cette pratique, c’est le procédé lui-même qu’il faut condamner et non se limiter à en cantonner les effets. Autrement dit, c’est le recours à la GPA, y compris à l’étranger, qu’il faudrait sanctionner pénalement. Pour que l’infraction tombe sous le coup de la loi française y compris lorsqu’elle est commise à l’étranger, il faudrait qu’elle soit constitutive d’un crime : une telle qualification n’aurait rien d’excessif compte tenu de la gravité des principes en cause puisque, comme l’a relevé dans une autre affaire la même Cour d’appel de Rennes, il s’agit non seulement de GPA mais encore, en des mots plus crus,  d’un “achat d’enfant” » (CA Rennes, 10 janv. 2012, n°11/01846). »

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Élizabeth Montfort est ancien député européen, présidente de Nouveau Féminisme européen

 

 

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[1] Corps en miettes, Flamarion, 2009.