Le premier tour des élections présidentielles de 2007 a été marqué par deux données majeures : 1/ un taux de participation exceptionnel, suite d'une campagne suivie avec un intérêt vif et anxieux par l'immense majorité des Français ; 2/ la chute sinon l'effondrement du Front national et la relative marginalisation des petits candidats, dont Philippe de Villiers, Marie-Georges Buffet, la candidate du parti communiste — lequel a sans doute terminé en 2007 son parcours historique —, Arlette Laguiller et les candidats écologistes.

Les autres leçons du scrutin, notamment le résultat élevé obtenu par Nicolas Sarkozy et celui, convenable, de Ségolène Royal, sont des corollaires de cette marginalisation.

Même si François Bayrou n'est pas présent au second tour, son résultat, proche de 20 % est exceptionnel. Pourquoi son élan s'est-il arrêté aux trois-quarts du chemin ? Quelques gages forts lui auraient sans doute permis de mieux exploiter les sympathies que sa démarche audacieuse lui avait gagnées dans le milieu gaulliste, frustré par l'absence de Nicolas Dupont-Aignan et de Jean-Pierre Chevènement. Il n'a non plus rien fait pour retenir un vote catholique qu'il croyait à tort acquis mais qui s'est largement éloigné de lui. Faute de cela, faute d'y croire un peu plus peut-être, il ne s'est pas qualifié.

Qu'on ne s'y trompe pas cependant : le vote Bayrou n'a rien à voir avec une quelconque retour du centrisme ni avec une quelconque adhésion à sa rhétorique ni droite ni gauche : il est l'effet pour l'essentiel des graves insuffisances des candidats officiels de l'UMP et du PS, auprès desquels celui du centre a pu apparaître plus pondéré, plus cultivé, plus conscient des vraies difficultés du peuple français et aussi plus libre.

Le double phénomène du taux de participation élevé et du recul des extrêmes a été mis justement en relation par beaucoup d'observateurs avec le choc du 21 avril et le souci des électeurs d'un vote utile destiné à éviter qu'une situation analogue à celle de 2002 se reproduise.

La fin d'un rêve

Il ne l'a en revanche pas été à ce jour avec un événement aussi important : la victoire du non au référendum du 29 mai 2005. Une relation de cause à effet relie cependant aussi, nous semble-t-il, les deux événements. De quelle manière ?

Qu'avec le rejet de la constitution européenne, les Français aient retrouvé le goût de la participation démocratique, fait peu de doutes. Le cadre national s'avère sans contestation possible la scène privilégiée du jeu démocratique, le taux de participation du 22 avril 2007 contrastant singulièrement avec les taux d'abstention très élevés des dernières élections européennes et régionales. L'Europe des régions, chère à M. Raffarin, a été récusée dans les urnes.

Mais il y a un autre rapport. Même si la présidence allemande, la plupart de nos partenaires européens et les trois principaux candidats (Royal, Sarkozy, Bayrou) ont parlé de remettre sur les rails le train européen, le peuple n'y croit guère. Il considère que le moteur européen est définitivement grippé. C'est aussi, cela n'est pas un secret, ce que l'on pense in petto à Bruxelles. Quelque appréciation que l'on porte sur ce vote, le 29 mai 2005 n'a pas été un balbutiement de l'histoire mais un tournant majeur, la fin du rêve, sinon d'une Europe unie, du moins d'une Europe supranationale et bureaucratique.

La nouvelle donne créée par le référendum a eu l'effet, regretté par tous, d'écarter la question européenne du débat présidentiel. Ceux qui veulent l'Europe supranationale n'en ont que peu parlé : combien de discours de Bayrou où la question n'est même pas évoquée ? Ceux qui ne la veulent pas ont été peu audibles : les villageois n'ayant plus peur du loup, Guillot n'est plus écouté. Il n'y a pas d'autre raison au fait que Nicolas Dupont-Aignan, dont la thématique se singularisait principalement sur ce sujet, n'a pas obtenu ses signatures, ou que Philippe de Villiers, qui les a eues grâce à l'UMP, ait obtenu aussi peu de voix. Jean-Pierre Chevènement, fatigué, n'a même pas tenté de concourir.

Quant à Le Pen, si son discours porte depuis longtemps bien davantage sur la question de l'immigration ou de la sécurité, il comporte aussi le rejet de l'Europe supranationale. Il faut en effet, s'agissant du vote extrémiste, faire la part de la distinction formulée par Freud entre la demande explicite et le désir inconscient qu'elle exprime. Que l'essor du Front national ait coïncidé avec le ralliement à l'Europe de Jacques Chirac et de ce que les Anglo-Saxons appellent les néo-gaullistes , n'est pas un hasard. La perte des repères que cette évolution a induite a nourri l'extrémisme. Ayant le sentiment, à tort ou à raison, d'avoir en 2005 vidé leur sac et gagné une fois pour toutes leur combat contre l'Europe apatride , les Français sont moins tentés par les extrêmes.

Ferveur et inquiétude

Cela ne signifie pas que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Bien au contraire. Même si les Français ne prennent guère au sérieux un tel projet, les deux candidats du second tour ont annoncé qu'ils relanceraient la constitution européenne, certes chacun selon ses idées, avec la circonstance aggravante pour Nicolas Sarkozy de vouloir faire avaliser son projet de mini-traité par le Congrès réuni à Versailles et non par référendum. Inutile de dire que cela serait désastreux pour lui.

Même si la Constitution n'est pas remise à l'ordre du jour – il sera en tout état de cause difficile de le faire dans l'immédiat compte tenu de la nécessité de se mettre d'accord à 25 et des réticences prévisibles des Britanniques trop heureux que les Français aient dit tout haut ce qu'ils pensaient tout bas — la question européenne continuera à se poser. La surévaluation désastreuse due l'euro — principale cause du chômage —, et les frontières en passoire qui résultent du traité de Schengen constituent des problèmes urgents sur lesquels le nouveau Président, quel qu'il soit, devra prendre position.

Reste, par delà la question européenne, la difficulté de choisir entre deux candidats dont les insuffisances, qu'elles soient de caractère, de culture et de références historiques ou de connaissance de la vie internationale, sont notoires. Restant sauves les différences classiques entre droite et gauche et leurs références anthropologiques respectives, Sarkozy, sans le projet de mini-traité constitutionnel et avec un bilan un peu plus crédible dans ses fonctions ministérielles successives ; Ségolène Royal, sans le projet de VIe République et celui de légaliser l'euthanasie, seraient plus enthousiasmants, est-il nécessaire de le dire ?

La ferveur exceptionnelle avec laquelle les Français auront participé à cette élection présidentielle a un précédent : l'élection des états-généraux au printemps 1789. Dans les deux cas, le sentiment d'une crise grave ; dans les deux cas, le sentiment d'une souveraineté retrouvée, dans les deux cas une immense attente de renouveau. Loin d'être la solution qu'ils attendaient à leurs problèmes, l'élection de 1789 fut, on le sait, le début de graves convulsions. Il faut prier le Ciel qu'il n'en aille pas de même cette fois.

* Roland Hureaux vient de faire paraître L'Antipolitique (Éd. Privat, coll. "Arguments", 229 pages, février 2007, 229 p., 16,15 €) et L'Actualité du gaullisme (Fr.-X. de Guibert, mai 2007).

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