Du blasphème comme nécessité , c'est le titre d'une tribune signée du psychanalyste Patrick Declerk, dans Le Monde du 25 novembre. Comment ce quodidien "de référence" peut-il publier une tribune qui s'en prend à la "peste chrétienne" dans des termes aussi sommaires et insultants ? Un prêtre, un religieux et un séminariste réagissent.

QUE LA THERAPIE psychanalytique n'aide pas particulièrement à penser, tout le monde l'avait depuis longtemps perçu en étudiant l'exiguïté des catégories freudiennes – moi, ça, surmoi, eros et thanatos, complexe ... –, nul n'aura donc été étonné du contenu atterrant de malveillance et de sottise exprimé dans l'article de M. Patrick Declerck. Nous, prêtre, religieux et séminariste catholiques, pensons que le mépris silencieux face à une outrecuidance nigaude et exécrable pourrait largement suffire à un pareil cas. Mais nous ne pouvons pas nous taire. Et nous proposons à la rédaction du Monde une réponse à M. Declerk. Car le problème s'avère beaucoup plus consternant qu'il n'y paraît.

Quand un quotidien national français verse au débat de son journal de tels titre et légende – "Le blasphème comme nécessité. Toutes les religions sont mortifères, tous les monothéismes détestables. Non il n'est pas irresponsable de le proclamer. Ridiculiser la religion est une vertu" –, il se commet à céder volontairement à l'incitation en faveur de la haine de la religion. Les limites à ne pas franchir appartiennent décidément au verdict de la direction de la publication. Or ce feu vert si ostensiblement donné laisse le lecteur dans une vive préoccupation face au réductionnisme rigide de la rédaction. Faut-il ne plus rien avoir à débattre, voire à penser, pour en venir à céder à ce ressentiment, à cet ostracisme ? Comment rendre un minimum d'honneur au journal Le Monde face à un tel déculottage de l'intelligence, puisque, quoi qu'il en soit, une telle faute de goût doit être verbalisée ?

A M. Patrick Declerk,

Votre article "Du Blasphème comme nécessité" paru dans la page "débat" du Monde du 25 novembre 2006 est d'une violence extrême à l'encontre des monothéismes et de ceux qui s'y réfèrent.

C'est pourquoi, nous nous adressons à vous, Monsieur, et nous dénonçons votre malhonnêteté intellectuelle faite d'amalgames, de simplismes et de méconnaissances des monothéismes que vous condamnez en les injuriant.

Nous vous mettons en garde en faisant appel à votre raison et non à vos sentiments personnels de ressentiment et de haine.

Vous avez cité Nietzsche et Freud, mais vous auriez pu aussi citer Marx quand il mentionne la religion comme opium du peuple.

N'avez vous pas remarqué que l'Église, tout au long du XXe siècle, n'a pas eu l'habitude d'endormir mais de réveiller les consciences politiques, économiques, sociales, religieuses, pour la dignité de l'homme, à la suite de celui dont vous raillez la crucifixion et la résurrection ?

Quant à la prétendue "béquille métaphysique" que vous dénoncez comme palliatif à la faiblesse des hommes devant la mort, demandez-vous si la métaphysique n'est justement pas le gage de la liberté humaine comme ont pu le montrer Emmanuel Levinas ou Paul Ricoeur. Que serait une humanité sans transcendance ? Elle serait dominée par le règne de la technique comme l'a dénoncé Martin Heidegger.

L'amalgame qui consiste à mettre en parallèle dans la même phrase les accords de Munich et la soi-disante " peste chrétienne " relève de mêmes procédés stylistiques qu'Hitler utilisait pour rendre les Juifs coupables de tous les maux.

Relisez à toutes fins utiles l'encyclique de Pie XI condamnant le nazisme comme atteinte fondamentale au monothéisme.

Enfin, en "détestant tous les monothéismes", vous attaquez ce que l'éthique porte de plus haut : le rapport à l'altérité.

Cette altérité, intrinsèque aux monothéismes, porte l'impossibilité radicale qu'aucun être humain se prenne pour Dieu : Dieu seul est Dieu et c'est la garantie d'une véritable fraternité entre les hommes.

Nous osons croire que le monothéisme auquel nous nous référons saura nous protéger de la pensée totalitaire que vous exprimez.

*Père Jean-Louis Balsa, vicaire épiscopal et directeur des études au Grand Séminaire de Nice

Frère Edouard Divry, dominicain au couvent de Nice

Lionel Flego, séminariste du diocèse de Nice

■ D'accord, pas d'accord ? Envoyez votre avis à Décryptage