La crise financière semble se calmer. N'était-ce qu'un coup de tabac un peu violent comme on en connaît régulièrement tous les quatre ou cinq ans ? Ou bien une simple accalmie avant une tempête majeure à l'échelle de la planète ? Impossible à dire.

En revanche, les mécanismes d'une éventuelle propagation de la crise sont connus : la question est de savoir si et à quelle échelle ils peuvent enclencher une spirale infernale.

1/ LE POINT DE DEPART : LA SURCHAUFFE DE L'IMMOBILIER AUX USA

Le financement du marché immobilier américain présente plusieurs particularités. - Les emprunteurs y sont très largement classés en fonction de leur qualité : ainsi, les ménages aux revenus les plus faibles ou les plus fragiles, qui constituent donc des emprunteurs de mauvaise qualité (d'où l'appellation "subprime"), paient des taux d'intérêt sensiblement plus élevés que les autres, en compensation du risque plus grand qu'ils font courir au prêteur.

- Cependant, pour emprunter à bon compte pendant la période de taux d'intérêts très bas que nous venons de vivre, beaucoup sinon la plupart se sont endettés à taux variable : ils pouvaient ainsi accéder au crédit mais en assumant le risque de hausse des taux en cas d'inversion de tendance.

- Il est habituel que l'emprunteur ne paie que les intérêts, ce qui diminue d'autant la charge qui pèse sur ses revenus, et que le capital ne soit pas amorti au fil du temps : celui-ci est remboursé par la revente de la maison, hypothéquée au profit du prêteur, occurrence fréquente dans une société très mobile ; la hausse continue des prix de l'immobilier facilitait évidemment les choses.

- Les prêteurs ne sont pas des banques, mais des institutions spécialisées, elles-mêmes segmentées selon la clientèle à laquelle elles s'adressent. Ces institutions ne disposent pas de ressources propres ; elles se refinancent en revendant leurs portefeuilles de crédits hypothécaires à des investisseurs sous forme de titres obligataires (c'est ce que l'on appelle la titrisation des créances). Ainsi caractérisé, les subprime représentent près de 15% du marché immobilier américain, avec un encours évalué à environ 2 000 milliards de dollars.

2/ L'ENCLENCHEMENT DE LA CRISE

La hausse des taux d'intérêt a mis à mal ces mécanismes. Depuis trois ans, pour empêcher le retour de l'inflation et la surchauffe de l'économie, notamment du marché immobilier, la FED (banque centrale américaine) les a fortement et rapidement relevés : aujourd'hui, le taux de référence (FED Funds) à 1 mois dépasse 5% alors qu'il était à 1% en décembre 2003. L'effet recherché a été obtenu : le marché immobilier s'est assagi, les prix ayant même esquissé une amorce de baisse. Mais les dommages collatéraux s'avèrent importants.

Les ménages qui s'étaient endettés à taux variable ont subi le risque qu'ils avaient pris : ils se sont trouvés en difficulté de sorte que les défaillances ont fait un bond de près de 30% au cours du premier semestre 2007 par rapport au premier semestre 2006 ; et ce, au moment où la revente du bien immobilier qui servait de gage devenait plus difficile.

C'est alors que s'enclenche le mécanisme de la crise actuelle.

Les portefeuilles de crédits hypothécaires titrisés enregistrent des pertes supérieures à celles qui étaient prévues lorsqu'ils ont été vendus aux investisseurs. Or ceux-ci en ont été friands : à une époque où les taux d'intérêts étaient faibles, ces produits leur garantissaient une rémunération sensiblement plus élevée que les produits classiques. Comme aucune titrisation ne pouvait intervenir sans une note de crédit décernée par une agence de notation, les investisseurs leur accordaient toute confiance et se sont dispensés d'analyser le risque qu'ils prenaient. Les notes n'étaient certes pas les meilleures, loin s'en faut, mais suffisantes pour leur permettre d'y investir une petite part de leur épargne et en améliorer le rendement. Au point que certains investisseurs se sont déraisonnablement chargés en titres de subprime.

Conséquences en chaîne :- le marché des titres subprime décote vite et fortement, puis se bloque faute d'acheteurs ;

- les investisseurs prennent peur avec des titres subprime dont nul ne sait plus la valeur et qui sont devenus invendables, d'où le blocage d'un certain nombre d'OPCVM au cours de ces dernières semaines, au détriment des porteurs moins rapides ou plus confiants que les autres qui s'y retrouvent piégés ;

- faute de pouvoir titriser les nouvelles créances hypothécaires qu'elles continuent de produire, les institutions spécialisées américaines se heurtent à un problème sérieux de refinancement, au point que plusieurs d'entre elles font faillite, d'abord les plus fragiles dès le début de l'année, puis de plus importantes en juin et juillet ;

- parmi les investisseurs imprudents se trouvent des banques allemandes : confrontées à des pertes latentes excessives au regard de leurs fonds propres et à l'impossibilité de se refinancer, deux d'entre elles ont dû faire l'objet d'un sauvetage d'urgence organisé en plein mois d'août par la Bundesbank ;

- c'est à ce moment que surgit le spectre d'un blocage général du marché interbancaire, sur lequel toutes les banques ajustent leurs besoins de financement au jour le jour, et que les banques centrales ouvrent leurs guichets en grand afin d'assurer le refinancement du système bancaire (330 milliards de dollars prêtés aux banques en deux jours), et d'éviter une crise majeure à l'échelle mondiale.Deux constats d'imposent immédiatement.

D'abord l'emploi de techniques financières innovantes mais complexes telles que la titrisation a pour conséquence ultime non pas de faire disparaître les risques intrinsèques à une activité, mais de les diffuser à grande échelle et de façon opaque et non maîtrisable ; si la dispersion commence par avoir un effet dilutif positif en temps normal, quand la crise dépasse les prévisions c'est alors l'ensemble des acteurs qui est atteint mais sans qu'on puisse mesurer l'impact et agir à bon escient en raison de leur trop grand nombre et de l'impossibilité de les identifier. Ensuite, la mondialisation des marchés financiers a favorisé une propagation très rapide du phénomène au-delà du secteur concerné et au-delà des frontières : ne dit-on pas que les banques et fonds asiatiques ou proche-orientaux, qui portent de très gros encours en dollars grâce aux excédents commerciaux de leurs pays et à la rente pétrolière, seraient aussi les principaux investisseurs finaux de ces produits ?

3/ ET LA SUITE ?

Nous entrons dans le domaine des conjectures. Comme la prévision est un art difficile, surtout lorsqu'elle concerne l'avenir, avançons avec prudence et par degrés de certitude décroissante.

b/ Les effets certains

Des pertes vont apparaître dans les bilans des investisseurs.

Au vu de l'encours des subprime, on évalue aujourd'hui les moins values latentes et pertes directes à un minimum de 200 milliards de dollars (équivalant à 10% de l'encours) ; mais il faut s'attendre à un montant final sensiblement plus élevé. À l'échelle mondiale, c'est quand même peu, sous réserve de l'existence de grumeaux ici ou là qui pourraient mettre en péril telle ou telle institution mais non l'ensemble du système. Là réside l'un des effets positifs de la mondialisation des marchés et des techniques de titrisation qui ont permis la dispersion des risques. Ces montants sont à mettre en rapport avec l'ensemble des marchés financiers qui peuvent les absorber rapidement.

En revanche, il n'est pas possible d'estimer les pertes indirectes qui se révèleront plus tard. Nombre de fonds ont utilisé des leviers ou moins forts et se sont exposés largement au-delà de leur mise faciale. Le schéma de principe est le suivant : pour 10 de versement, vous prenez position sur 100, non en acquérant directement le produit-cible mais en souscrivant des options ou d'autres formes d'engagements futurs que d'ailleurs vous ne levez pas au terme mais que vous reconduisez ou dont vous inversez le sens en fonction de l'évolution du marché. Les garanties demandées par les intermédiaires sous forme de dépôts sont modestes mais ajustées au fur et à mesure. Tant que les évolutions de marché demeurent d'ampleur raisonnable, le système fonctionne bien et l'investisseur encaisse un résultat sur 100 alors qu'il n'a facialement déboursé que 10 (les 90 de position constituent un ce que l'on appelle un engagement hors-bilan dont la comptabilisation demeure souvent imparfaite). Par contre, si les marchés décalent violemment et rapidement et que votre position perd 10 % de sa valeur, vos 10 initiaux valent zéro, votre position est vendue d'office, forcément mal, et vous êtes appelé pour financer le surcroît de pertes : votre risque devient incommensurable.

Là réside la première inconnue : on ignore l'ampleur des effets de levier qui ont été engagés sur les subprime. S'ils sont aussi importants que certains analystes le suggèrent (on parle de facteurs supérieurs à 10, jusqu'à 25), le multiplicateur peut être considérable. C'est ainsi que de gros hedge funds ont fait faillite il y a quelques années.

Sur le plan institutionnel et réglementaire, il ne se passera pas grand chose.

Les systèmes de régulation et de contrôle des banques ont été taillés pour secourir les établissements qui viendraient à défaillir, comme ils l'ont déjà fait lors de crises antérieures autrement plus graves (je pense à la crise des pays émergents de 1997-1998) : ils ont déjà fonctionné correctement en Allemagne et rien ne permet de penser qu'ils se laisseront déborder.

Les agences de notation se trouvent à nouveau dans le collimateur. Elles ont beau jeu d'expliquer que les notes de crédit qu'elles attribuent ont une valeur relative et ne dispensent personne d'analyser les risques qu'il prend. En outre, ces notes sont déterminées à partir de statistiques de défaillances passées et de scénarios élaborés sur des séries historiques ; mais elles appréhendent mal les situations nouvelles. Enfin, les agences dépendent complètement de l'information que leur fournissent les émetteurs. Il n'en reste pas moins qu'elles ont tardé à réviser les notes des subprime titrisés et des établissements financiers qui les émettaient, n'anticipant ni assez tôt ni suffisamment le retournement de l'immobilier américain, et qu'ensuite elles ont procédé à des dégradations massives en chaîne qui ont contribué à bloquer rapidement le marché des titres : imprévoyance et sur-réaction leur sont à nouveau reprochés, non sans raison. Comme se sont les émetteurs qui payent les agences, on ne manquera pas non plus de pointer le conflit d'intérêt dans lequel celles-ci fonctionnent en permanence. Mais jusqu'à présent nul n'a trouvé le remède, à supposer qu'il en existe un. D'où l'on peut déduire que rien ne changera significativement de ce côté, sinon sans doute un effort de vertu de la part des agences qui, au moins pour un temps, s'efforceront d'être plus sélectives et plus critiques dans leurs appréciations.

À la dispersion des risques, la combinaison des techniques de titrisation et de la mondialisation des marchés financiers ajoute l'opacité : autant il est aisé d'exiger d'une institution financière spécialisée qui octroie des crédits hypothécaires à des clients médiocres de dévoiler le contenu de son bilan dans le cadre de la tutelle réglementaire à laquelle elle est soumise, autant il est impossible d'imposer la même exigence à tous les fonds d'investissement de la planète, surtout lorsqu'ils ne sont pas cotés mais privés, ce qui est la cas de la plupart : qui pourra imposer aux fonds d'investissement chinois ou proche-orientaux, notamment à ceux qui sont contrôlés par les gouvernements, de révéler leurs investissements ? Il restera donc impossible de pister les titres et instruments les plus risqués dès lors qu'ils sont dispersés dans la nature. On peut seulement s'attendre à un renforcement des exigences d'information appliquées au moment de leur mise sur le marché par les institutions financières qui les fabriquent, afin que la nature et l'ampleur du risque pris par l'investisseur soit mieux appréhendées. Mais la transparence de la détention ne semble pas pour demain.

b/ Les effets probables

On l'a dit : déjà deux banques allemandes se sont trouvées prises au piège. Mais la crise a révélé la faiblesse de l'ensemble des nombreux établissements de taille moyenne dont l'Allemagne est encore dotée, en particulier des banques publiques régionales (Landesbank).

Focalisées sur les crédits aux PME et aux particuliers, la bonne santé des premières réduit leur recours aux banques, et les besoins des seconds stagnent depuis plusieurs années. Alors que le caractère public de Landesbank les faisait bénéficier de la garantie de solvabilité des Länder et leur permettait de proposer des crédits à des conditions avantageuses, en 2005 la Commission européenne a obtenu la suppression de cette garantie qui, à ses yeux, faussait la concurrence. Elles doivent désormais être plus regardantes tant sur la qualité de leurs débiteurs que sur les conditions des crédits qu'elles consentent ; d'où une moindre présence commerciale et une contraction de leur profitabilité. Contraction qu'elles ont cherché à compenser par d'autres sources de revenus, notamment par la souscription de titres tels que les subprime. Cette fuite en avant pourrait leur coûter cher aujourd'hui.

Il est vraisemblable que la crise sera le catalyseur d'une restructuration du secteur bancaire, réalisée depuis longtemps ailleurs, et toujours repoussée en raison de ses incidences sociales et politiques.

Le marché de la titrisation va sans doute souffrir, et plus généralement tous les secteurs qui utilisent largement les techniques innovantes avec effet de levier ; avec eux l'activité des banques dites d'investissement et de financement (par opposition aux banques à réseau orientées vers le grand public).

Il n'y a pas que les subprime qui aient été titrisés au cours des dernières années loin s'en faut : la plupart des banques ont eu recours à cette technique pour alléger leurs bilans et transférer leurs crédits et toutes autres formes d'actifs, à des investisseurs, le plus souvent institutionnels (assurances, OPCVM, fonds de pension, etc.) mais aussi riches particuliers à le recherche de rendements attractifs. Aucune ne s'est faite sans notation ; mais toutes les notes pêchent de la même façon ; et les investisseurs viennent sans doute de prendre conscience qu'ils se sont substitués aux banques, sans toutefois en avoir les moyens techniques et financiers. Il est donc probable que le recours à la titrisation va subir un violent coup de frein, qui ne sera pas sans conséquence : les investisseurs vont devenir plus hésitants à souscrire de tels produits ; faute de pouvoir alléger ainsi leurs bilans, les banques d'investissement et de financement vont devoir réduire leurs concours, et par conséquent leurs activités sur ces segments très rémunérateurs, et partant leurs profits ; quant aux secteurs économiques concernés ils bénéficieront de moins de financements et par suite ralentiront leur activité.

Le secteur immobilier devrait être le premier concerné, lui qui a été le plus grand bénéficiaire des opérations de titrisation. Mais aussi celui des transmissions et rachats d'entreprises par effet de levier (LBO), beaucoup d'opérations étant logées dans des fonds similaires qui ne trouveront sans doute plus d'investisseur avant quelque temps.

Ce ne sera pas forcément un mal : immobilier et entreprises constituent les deux classes d'actifs dont la hausse des valeurs a été la plus forte au cours des dernières années, à des niveaux que bien des analystes jugent totalement déraisonnables. Si, d'une façon générale, les économies développées ne souffrent plus d'inflation générale au niveau des prix à la consommation, pour le plus grand bien des acheteurs que nous sommes, grâce essentiellement à la mondialisation de la concurrence au niveau de la production et sous réserve des effets possibles de la hausse récente et très importante des prix des matières premières, en revanche, elles souffrent toutes d'une très forte hausse du prix des actifs depuis au moins dix ans (dont témoigne les hausses parallèles de l'immobilier et des bourses), entretenue par le faible coût du crédit et le recours a des techniques démultiplicatrices dont on a donné rapidement une illustration, par la mondialisation des circuits financiers qui met tout à la portée de tout le monde, et par la rareté physique naturelle de ces biens perçus par beaucoup d'investisseurs comme des refuges ultimes. Va-t-elle subir un coup d'arrêt ? Ce serait sans doute une bonne chose. Si oui, ce coup d'arrêt va-t-il se propager ailleurs ?

C'est ainsi que l'on commence à s'inquiéter d'une possible contagion du ralentissement à l'ensemble de l'économie : l'immobilier se répercutant de proche en proche sur les autres secteurs et les États-Unis sur les autres pays.

Dores et déjà, le nombre des permis de construire et des mises en chantier a été divisé par deux en un an aux Etats-Unis et est au plus bas depuis dix ans ; d'où des effets induits probables sur les fournisseurs, sur l'emploi, et en fin de compte sur la demande intérieure ; d'où un ralentissement des importations qui se conjuguerait avec le durcissement général des conditions de crédit pour affecter les économies des autres pays. Mais en sens inverse, l'injection massive de liquidités à laquelle les banques centrales ont procédé au cours du mois d'août a desserré la contrainte de crédit, au moins à cours terme. Poursuivront-elles dans la même voie afin d'éviter un trop fort ralentissement de l'économie : la question est en débat, non seulement chez les analystes, mais surtout entre grands argentiers du monde sur qui pèse en ce moment une lourde responsabilité.

c/ Et au-delà ?

Il n'est pas interdit de s'interroger sur d'éventuelles répercussions plus graves encore. Certes, rien ne les laisse présager en l'état actuel des informations dont on dispose et de ce que l'on sait de la solidité du système monétaire et financier mondial.

Après tout, ce système dont on annonce régulièrement la ruine prochaine à cause de l'empilement monstrueux des déficits américains et des dettes corrélatives, tient le coup : il a traversé toutes les crises depuis cinquante ans. Et pourtant il y en eu de bien plus graves.

Il n'est pas difficile de se faire peur. On a souvent souligné l'énormité de la dette externe des Etats-Unis (5 000 milliards de dollars au bas mot) qui sert de réserve de devises à toute la planète et qui confère à ce pays un privilège inouï : le déficit constant de son commerce extérieur depuis 50 ans n'est que la contrepartie des excédents commerciaux des pays partenaires (essentiellement asiatiques aujourd'hui) dont les banques centrales réinvestissent les dollars reçus en bons du trésor américain, le dispensant ainsi de procéder aux ajustement auxquels tout autre pays aurait été contraint depuis longtemps ; de sorte que le trésor américain n'a aucune peine à financer le déficit budgétaire et que plus ce déficit est important, plus les Etats-Unis ont de dettes, plus ils sont en mesure de dépenser chez eux. Paradoxe supplémentaire : la dette externe américaine serait supérieure à la valeur des actifs qu'ils détiennent, chez eux ou ailleurs (de 30% disent certains économistes), tandis que les revenus que les américains tirent de ceux-ci sont légèrement supérieurs aux intérêts qu'ils paient pour leur endettement ; et comme les deux tiers de ces actifs sont libellés en monnaies autres que le dollar, la dépréciation de celui-ci a pour effet instantané de réévaluer ceux-là à bon compte.

Cette pyramide peut-elle s'effondrer ? Ce n'est pas tout à fait impossible. On a évoqué précédemment la titrisation. Sait-on que 60% des crédits internes sont ainsi refinancés ? Si d'aventure le mécanisme vient à s'enrayer au-delà de ce qu'on a dit plus haut, la base de la pyramide des dettes s'en trouverait dangereusement affaiblie tandis que pourrait apparaître un phénomène de fuite devant tout titre de créance libellé en dollar, et par conséquent devant la dette extérieure américaine.

On sait que débiteur et créancier se tiennent mutuellement et que le rapport de force n'est pas toujours en faveur du second : à l'échelle où nous nous situons, les Etats-Unis ont les moyens de faire pression sur leurs créanciers pour éviter que ceux-ci ne mettent en péril le système. Ils n'ont d'ailleurs pas hésité à s'en servir dans le passé. Les économies asiatiques ont encore le plus grand besoin d'accéder au marché américain pour écouler leurs productions, sauf à se mettre elles-mêmes en péril avec toutes les conséquences politiques et sociales que l'on devine. Mais le développement rapide de leurs propres marchés intérieurs contribue à réduire cette contrainte. Les autorités chinoises et les émirs proche-orientaux se laisseront-ils toujours faire ? Seront-ils aussi dociles que les japonais ? Les uns et les autres n'ont-ils pas commencé de réallouer leurs actifs en direction de l'euro et, plus symboliquement encore, en rachetant des entreprises américaines pour se protéger contre la baisse continue du dollar ? La baisse de la bourse américaine leur donnerait l'occasion de faire quelques bonnes affaires.

La baisse des taux engagée par la FED pour enrayer les effets de la crise des subprime aura vraisemblablement pour conséquence de pousser davantage encore le dollar à la baisse ; et si elle réduit la charge des débiteurs américains, elle réduit d'autant les revenus des créanciers extérieurs... D'où peut-être la tentation qu'ils pourraient avoir d'accélérer leur désengagement. Qui gagnera la course de vitesse qui s'est engagée ?

Conjecture que tout cela.

Le pire n'est jamais sûr et les mécanismes du système financier mondial sont suffisamment bien maitrisés pour qu'un accident ne dégénère pas de façon subreptice. Jusqu'à ce que l'irrationnel et d'autres considérations, par exemple les crispations protectionnistes qui se font régulièrement jour outre-Atlantique et que les tentatives récentes de prises de contrôle d'entreprises stratégiques par un fond gouvernemental chinois et par l'émir de Bahreïn, ont ravivées, ou le pourrissement de la crise proche-orientale, ne viennent interférer. Mais alors, on ne pourra pas dire que c'était imprévisible.

F. de L.L.

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