Jacques Sapir, économiste et directeur d’études à l’EHESS, est l’auteur de Faut-il sortir de l’euro ? (Seuil)
Pour nous éviter le sinistre programme que vous nous annoncez (voir la triple impasse d’après Jacques Sapir) se pose la question de la sortie de l’euro. En refermant votre livre, on se dit que c’est la pire des solutions à l’exception de toutes les autres possibles. Cette formule résume-t-elle bien la situation ?
Oui, encore que par sortie de l’euro il faut savoir de quelle sortie on parle. Ce n’est pas une bonne solution. Mais, comme vous dites, toutes les autres sont pires. Ou, plutôt, regardons les solutions.
Première chose : on continue comme maintenant avec des mesures non conventionnelles de la BCE, on reporte les problèmes à deux mois, à trois mois et on sait qu’on est en train de s’enfoncer dans une crise sociale extrêmement grave. De fait, ce n’est pas une solution. Dans le cas de la France, au mois de juin je disais que le risque aujourd’hui c’est que nous prenions 500 000 chômeurs dans l’année, c'est-à-dire de début juillet à fin juin 2013. Aujourd’hui, j’aurais tendance à dire que ce ne sont pas 500 000 chômeurs, ce seraient plutôt 700 000 voire 750 000. On voit que le chômage se déforme à la hausse de manière considérable.
Est-ce qu’il peut y avoir une solution à l’intérieur de la zone euro ?
Deux cas de figure :
Premier cas de figure. On fait le saut fédéral sauf que le saut fédéral ça veut dire que les Allemands contribuent massivement à hauteur de 8% de leur PIB au minimum et là c’est Mme Merkel qui dira non possumus car son électorat ne l’acceptera jamais. A la limite, s’il s’agissait de passer de 1% à 2% du PIB de contribution, ça serait possible, mais là non. On ne peut pas demander ça à un pays.
Vous avez une autre solution qui est ce que j’appellerais une relance européenne asymétrique. On réinjecte de l’argent pour des investissements par la Banque européenne d’investissement mais on met des barrières, temporaires évidemment, sur les exportations et les importations allemandes. On relance en Europe mais les Allemands mettent une taxe de 20% sur leurs exportations et subventionnent les importations, en espérant que ça s’équilibre. Un tel système peut être acceptable pendant un an ou deux par l’Allemagne mais on voit bien que pour que ce système arrive réellement à la fois à solutionner la crise sociale et à solutionner la crise de la compétitivité, la mère de toutes les crises, il faudrait que ça s’étende sur 6, 7, 8 ans. On commence à faire durer ce genre de mesures, on met en pièce ce qui est le cœur de l’Europe, c'est-à-dire la libre circulation des biens. Donc ces taxes, si elles s’appliquent 6 mois ou 1 an, sont compatibles avec les traités –parce qu’il ne faut jamais oublier que dans les traités il y a toujours des clauses d’urgence, et on peut les faire jouer pour 6 mois ou 1 an. Si on doit être amené à les pérenniser au moins à l’échelle de 5, 6, 7 ans, là ça ne deviendra plus légal. Et, donc, il va y avoir un énorme problème avec le fonctionnement de l’Union européenne et on risque de casser le marché commun. Donc cette deuxième solution aussi rencontre une impossibilité politique.
« La pire des solutions serait une sortie échelonnée de la zone euro. »
A partir de là, il faut regarder les solutions hors zone euro. La pire des solutions serait une sortie échelonnée de la zone euro. La Grèce sortant d’abord, provoquant au bout de 6 à 8 mois une sortie du Portugal, puis provoquant une sortie de l’Espagne … ça c’est une situation où chaque pays décide en fait de sortir de l’euro – y est contraint – et c’est une solution qui ne nous laisserait plus d’instrument pour coordonner les économies.
Donc face à ce risque, je propose autre chose : c’est l’idée d’une dissolution de la zone euro, c'est-à-dire que tous les pays se mettent d’accord : aujourd’hui on ne peut plus faire fonctionner l’euro, nous en tirons les conséquences, on revient aux monnaies nationales. Ce faisant, c’est un acte européen : ce n’est plus un pays qui sort de l’euro et de fait, entraîne par conséquence un autre pays à sortir de l’euro, c’est une décision de 17 pays européens qui disent : « on avait mis en place une monnaie unique, elle pose trop de problèmes, on la dissout ». Et je pense que c’est la solution vers laquelle on finira par arriver très probablement après avoir épuisé toutes les autres.
Si on arrive à cette dissolution, ça a quand même deux avantages. Il n’y a plus d’euro donc toutes les dettes publiques et privées sont automatiquement relibellées dans la monnaie d’origine. C’est très important car ça veut dire que si vous devez dévaluer vos dettes, elles dévaluent avec vous alors que, admettons que la France sorte toute seule de la zone euro, la France dévalue, les dettes libellées en euros ou en tout cas libellées par des non résidents - ce qui représente quand même 67% de notre dette - sont réévaluées d’autant de la dévaluation. Et là, on n’a plus ce problème pour tout le monde. Le deuxième avantage très important c’est que, comme il s’agit d’une décision européenne, ça veut dire que l’on maintient les institutions de coordination, le conseil ECOFIN continuera à fonctionner ne serait-ce que pour déterminer les parités réciproques des monnaies et pour dire « voilà, peut-être que l’Allemagne réévaluera de 10%, la France dévaluera de 10% » et on se donne à ce moment là peut-être les instruments pour arriver à coordonner nos monnaies et c’est là où se pose la question de la monnaie commune.
La monnaie commune plutôt que la monnaie unique ?
Si on coordonne les monnaies, il devient logique, à un moment donné, de créer une monnaie supplémentaire qui est une monnaie qui vient s’ajouter aux monnaies nationales et qui servirait à ce moment-là aux transactions avec les pays hors zone. Admettons par exemple que l’on fasse une monnaie commune sur la base de l’ex-zone euro, ça veut dire que dans nos relations avec les pays hors ex-zone euro, qu’il s’agisse des transactions commerciales ou qu’il s’agisse des transactions financières, elles se feraient dans cette monnaie commune. Et puis, nous aurions des monnaies nationales dont les parités seraient fixes par rapport à cette monnaie commune mais pourraient tous les ans être réajustées si on voit qu’il y a un déséquilibre qui menace ou qui commence à prendre de l’ampleur. Par exemple, prenons le cas de l’Espagne. L’Espagne se retrouve en déficit, on dit « voilà il va falloir que l’Espagne dévalue par rapport aux autres monnaies de 7%, 8% ».
Donc on a, à ce moment-là, ce mécanisme de la monnaie commune, mécanisme auquel sont liées les monnaies nationales mais ce lien n’est pas un lien intangible, c’est un lien qui est relativement flexible. L’idée étant que, quand un pays va améliorer sa compétitivité relativement à tous les autres, il va réévaluer. Admettons par exemple que demain les gains de productivité en Grèce, après dévaluation, soient très rapides et que la compétitivité grecque devienne très forte relativement aux autres, on dira aux grecs « vous allez relever progressivement le niveau de la drachme ». Tous les ans, on regarde les chiffres, « la Grèce dégage un excédent commercial important, c’est très bien, mais vous allez relever progressivement le niveau de la drachme ». On revient à l’idée d’un pilotage des taux de change. Ça implique cependant qu’il n’y a plus de liberté des capitaux au niveau européen ou plus exactement que, au niveau européen, autant les capitaux d’investissement restent libres, autant du point de vue des capitaux de placements financiers et du point de vue des marchés spéculatifs, on se donne les moyens de les contrôler.
L’Allemagne est opposée à ces contrôles de mouvements de capitaux …
Oui. Mais si l’idée d’une monnaie commune se met en place entre des pays d’Europe sans l’Allemagne, est-ce que l’Allemagne pourra rester longtemps à l’extérieur de ce système ? Si une monnaie commune se met en place entre la France, l’Italie, l’Espagne, la Belgique, le Portugal, la Grèce … Les allemands n’y rentreront peut-être pas mais, s’ils voient au bout de 2-3 ans que ça fonctionne, ils seront tentés de l’adopter.
Propos recueillis par Laurent Ottavi
Avec des monnaies séparées, il sera trop tentant pour les Etats de dévaluer plutôt que de réformer. La dévaluation, c'est le gain de compétitivité sur le court terme, au dépens d'ailleurs des partenaires commerciaux et de la population. M. Sapir est convaincant mais il n'explique pas quelles seraient les conséquences chiffrées pour les populations des dévaluations nécessaires.
Seules les réformes structurelles permettent les gains de compétitivité sur le long terme. Donc je vais lire le livre de M. Sapir mais en attendant mes encouragements vont à Mme Merkel.
Au milieux de cette incessante messe politico-médiatique d' européistes aveuglés, je suis navré de voir que le message vital de M. Sapir n'a pas l'écoute qu'il mérite. Le simple péquiin que je suis, loin d'être un as de l'économie, se rend bien compte que les analyses de cet homme collent bien plus à la réalité que le discours dominant.