ÉTUDE | Le pape François a publié le 8 septembre le Motu proprio "Mitis Iudex Dominus Iesus" [1] visant à simplifier la procédure judiciaire des actions en nullité de mariage. Cette réforme a pour but d’envisager plus aisément l’examen de l’engagement initial des époux, sur la base d’une démarche plus déductive qu’inductive. L’auteur, avocat ecclésiastique, analyse l’opportunité de cette réforme qui se veut miséricordieuse et les difficultés posées par sa mise en application.
LA PROTECTION des sacrements a toujours été et demeure plus que jamais du devoir de l’Église catholique. Ainsi, selon son Magistère, le caractère sacramentel du mariage a fait l’objet de nombreux commentaires tout au long de notre histoire au nom de son charisme institué par le Christ pour le bien de la famille et du salut des âmes [2]. Les époux ne sont pas, en effet, propriétaires du sacrement qu’ils se donnent à eux-mêmes par un acte libre de volonté entre un homme et une femme, en accueillant sa grâce le jour de sa célébration [3], sacrement indissoluble dès la consommation de leur alliance à la suite d’un consentement valide s’ils sont tous les deux baptisés et si au moins l’un d’eux est catholique [4].
Des procédures canoniques ont été mises en place dans la logique de cette tradition doctrinale pour établir, si les circonstances l’exigent, la présence ou non dudit sacrement lors de ladite célébration [5]. Ou bien, en certains cas, lorsque le mariage n’est pas sacramentel, entre une personne baptisée et une personne de sexe différent qui ne l’est pas, s’il y a lieu de le dissoudre ou non bien qu’il soit valide [6]. Quant au mariage naturel entre deux époux non baptisés, il reste valide pour l’Église sauf preuve contraire et peut être occasionnellement dissous. C’est dire que ces actions en dissolution ne sont pas des divorces au sens du droit civil [7].
Il faut donc considérer avant toute chose, en toute rigueur et sans errements sensibles, face à des situations matrimoniales litigieuses, que la question essentielle qui se pose est de savoir si l’engagement des époux a existé ou non en connaissance de cause au moment de sa solennité, surtout s’il devient indissoluble et avec la bénédiction du ministre sacré qualifié pour le recevoir.
L’alliance conjugale existe-elle en fait ou non lorsqu’il faut le savoir par la voie judiciaire et le récent Motu proprio du pape François permet-il d’envisager plus aisément son examen, de s’en assurer correctement ?
C’est une préoccupation grave face à une nouvelle initiation du déroulement processuel des procès matrimoniaux voulue par le pape, qui ne manque pas de faire réfléchir les praticiens du droit, à savoir les canonistes [8]. Il ne s’agit pas de donner son opinion en étant pour ou contre à ce sujet, mais de mesurer comment va-t-il falloir procéder pour appliquer cette réforme en toute justice, si elle ne pose pas plus de problèmes que de solutions et si celle-ci reste bien conforme, non seulement dans son esprit mais aussi dans sa lettre, à la doctrine de l’Église.
À partir de quel moment faudra-t-il mettre en place cette procédure ? Qui doit agir de la sorte ? Comment doit-on agir ? Analysons cette réforme pour l’essentiel qui se veut charitable (I), son aspect opportun (II) et sa mise en application (III).
Lire l'article en entier en version PDF : cliquer ici
Analyse canonique du motu proprio Mitis Iudex Dominus Iesus
par l'abbé Bernard du Puy-Montbrun,
doyen émérite de la Faculté de droit canonique
de l’Institut catholique de Toulouse,
avocat ecclésiastique,
aumônier titulaire au Centre de détention de Muret.
Article à paraître dans Liberté politique n° 68, hiver 2015-2016.
_______________________________
[1] Motu proprio Mitis Iudex Dominus Iesus, 8 septembre 2015, D.C., n° 2521-C, 15 septembre 2015. Ledit Motu proprio Mitis Iudex Dominus Iesus (Le seigneur Jésus, juge clément) fut assorti d’un autre Motu proprio réservé aux Églises catholiques de rite oriental : Mitis et Misericors Jesus (Jésus doux et miséricordieux) qui est le pendant du précédant mutatis mutandis. C’est sur le premier Motu proprio que notre étude portera.
[2] P. Adnès. Le Mariage, Le Mystère chrétien, Théologie sacramentaire, Desclée, 1963 ; Catéchisme de l’Église catholique, Cerf, Paris, 1997, n° 1601-1617 ; Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps, Gaudium et ~Spes, n° 48. « La communauté profonde de vie et d’amour […] a été fondée et dotée de ses lois propres par le Créateur […] elle est établie sur l’alliance des conjoints, c’est-à-dire sur leur consentement personnel irrévocable […] ce lien sacré échappe à la fantaisie des hommes ».
[3] Selon le canon 1057 : « C’est le consentement des parties [d’un homme et d’une femme] légitimement manifesté entre personnes juridiquement capables qui fait le mariage ; ce consentement ne peut être suppléé par aucune puissance humaine » ; Catéchisme de l’Église catholique, op. cit., n° 1640 et 1644.
[4] Canons 1055-1056 ; D. Baudot, L’inséparabilité entre contrat et le sacrement de mariage, La discussion après le Concile Vatican II, Editrice Pontificia Universitá Gregoriana, Rome, 1987 ; Jean-Paul II, exhortation Familiaris consortio, 22 novembre 1981, D.C., n° 1821, 3 janvier 1982.
[5] B. du Puy-Montbrun, « L’anthropologie du mariage et sa protection en droit », Liberté politique, septembre 2011, n° 54, Privat, Toulouse, p. 123-145.
[6] Canons 1086 ; 1125-1126 et 1129. Un mariage entre une personne baptisée et une personne non baptisée est interdit en droit pour l’Église catholique. Il y a là un empêchement dirimant qui peut faire néanmoins, comme cela est fréquent de nos jours, l’objet d’une dispense sous certaines conditions. Il n’est jamais sacramentel.
[7] Il n'a jamais été question de divorce dans les procédures canoniques par la voie administrative. La voie administrative est seulement prévue pour des actions en dissolution extrêmement précises en forme de dispense : en cas notamment de non consommation du mariage ou en cas de privilège paulin ou pétrinien. On n’entre pas facilement dans ces actions en dissolution comme s'il s'agissait d'un divorce civil. Tous les mariages catholiques ne sont pas sacramentels et c'est précisément ceux qui ne le sont pas ou ceux qui sont seulement naturels qui peuvent faire l'objet d'une action en dissolution accordée sous des conditions strictes. Cette voie administrative n'a rien de commun avec la voie judiciaire des actions en nullité de mariage.
[8] L. Bonnet, La Communauté de vie conjugale au regard des lois de l’Église, Cerf, Paris, 2014.
Il y a déjà eu aux Etats-Unis une expérience de ce genre avec une procédure simplifiée : résultats catastrophiques : annulations quasi-systématiques.
On peut donc être plus que dubitatif sur le bienfait de changement effectué d'ailleurs dans des conditions assez étonnantes et discutables.