Alerte au tsunami argenté : la France peut-elle vieillir -et rétrécir- sans s’appauvrir ?

Source [Atlantico] : Le vieillissement de la population et la chute de la natalité ont un impact non-négligeable sur l’économie, la croissance, l'inflation et le PIB, notamment à travers la question des retraites et des dépenses de santé.

Atlantico : Le problème du vieillissement de la population a un impact non-négligeable sur l’économie, ce à quoi vient s’ajouter depuis 1946 une natalité en berne. Dans cette dynamique, quels sont les coûts du vieillissement sur le PIB (notamment lié aux retraites, aux dépenses de santé et à la dépendance) ?

Noëmie Lisack : Tout d’abord, un point sur les données. Un bon résumé de l’évolution démographique est le ratio de dépendance (ratio du nombre de personnes de 65 ans et plus sur le nombre de personnes en âge de travailler – 20 à 64 ans), dont les principaux moteurs sont l’espérance de vie, et la taille des générations successives à la naissance. La question du vieillissement est souvent abordée en lien avec l’arrivée à l’âge de la retraite de la génération du baby-boom. Néanmoins, en s’appuyant sur les prévisions d’évolution de la population pour les pays avancés (Europe, Amérique du Nord, Japon, Australie, Nouvelle-Zélande) publiées par l’ONU, il s’avère qu’à long terme, le ratio de dépendance est très influencé par la hausse de l‘espérance de vie, plus que par le passage des cohortes du baby-boom. En effet, le passage à la retraite des baby-boomers certes tire à la hausse le ratio de dépendance jusque vers 2030-2040, mais reste un phénomène transitoire, tandis que l’allongement de l’espérance de vie est une évolution permanente, qui affecte l’ensemble des générations présentes et futures, et est une cause durable de la hausse du ratio de dépendance dans les pays avancés.

Les implications du changement démographique sont multiples. Concernant le financement des retraites, les conséquences dépendent du système de financement : par répartition ou capitalisation. Un système par répartition est plus directement lié au ratio de dépendance, puisque ce sont les actifs qui financent par leurs cotisations les retraites des plus âgés. Dans un système par capitalisation, chacun épargne pour sa propre retraite et le lien avec le ratio de dépendance est plus indirect, via des effets agrégés au niveau macroéconomique expliqués ci-dessous. En ce qui concerne les dépenses de santé et l’accompagnement des personnes âgées, une augmentation de leur nombre implique une demande de travail plus élevée dans le secteur de la santé, avec ainsi une dépense plus élevée dans ce secteur.

Dans cette même mesure, quel est l’impact de cet effet ciseaux (la chute de natalité et le vieillissement de la population) sur la croissance, l’inflation, les taux d’intérêts et la productivité ?

De nombreux économistes étudient le lien entre vieillissement démographique et macroéconomie. Le vieillissement de la population a un effet baissier sur le taux d’intérêt réel naturel, à savoir le taux d’intérêt qui stabiliserait l’économie à moyen terme –ce taux théorique sert de référence pour la politique monétaire. Deux principaux mécanismes entrent en jeu : au niveau individuel, chaque ménage anticipe qu’il va vivre plus longtemps et passer une plus longue période à la retraite, et il épargne plus de manière à financer ce temps additionnel de retraite. Au niveau agrégé, la part des personnes de plus de 55 ans, qui bien qu’ayant tendance à désépargner en vieillissant, sont celles ayant la richesse la plus élevée, augmente avec le changement démographique. Ces deux évolutions augmentent la quantité d’épargne disponible dans l’économie, et jouent à la baisse sur le taux d’intérêt naturel réel. Dans un article co-écrit avec Rana Sajedi et Gregory Thwaites, nous estimons pour les pays avancés que le changement démographique contribue pour environ 150 points de base à la baisse du taux réel naturel entre 1980 et 2015, et pourrait continuer à faire pression à la baisse à hauteur d’environ 45 points de base d’ici 2050. Cette estimation est relativement peu sensible à un retardement de l’âge du départ à la retraite. En parallèle, le vieillissement démographique implique une hausse du stock de capital dans l’économie, des prix de l’immobilier ainsi que de l’endettement des ménages. De nombreuses estimations ont été faites dans le cas des États-Unis, avec des résultats et des mécanismes qualitativement similaires, qui peuvent cependant varier quantitativement selon les hypothèses de modélisation choisies. Carvahlo, Ferrero et Nechio par exemple obtiennent une baisse du taux naturel réel de 150 points de base entre 1990 et 2014, tandis que Eggertson, Mehrotra et Robbins estiment une baisse beaucoup plus conséquente de 375 points de base entre 1970 et 2015.

Le vieillissement de la population implique mécaniquement une hausse de l’âge moyen de la population en âge de travailler. Si l’on considère que la productivité d’un travailleur augmente fortement jusque vers 40 ans avant de se stabiliser puis de diminuer après 50 ans, on obtient, mécaniquement là aussi, des conséquences sur la productivité du travail. L’évolution démographique des pays avancés a eu un effet haussier sur la croissance de la productivité du travail des années 1970 aux années 2000, suivi d’une pression à la baisse à partir des années 2000, qui pourrait se prolonger jusqu’aux années 2040. La croissance de la productivité du travail étant l’un des moteurs de la croissance économique, le vieillissement démographique pourrait ralentir cette dernière – toutes choses égales par ailleurs.

Plus généralement, le potentiel de croissance à l’échelle d’un pays dépend, entre autres, de la population en emploi. Le vieillissement de la population, parce qu’il réduit la part de la population en âge de travailler, aura donc un effet baissier sur la population active. Si cet effet n’est pas compensé par une hausse du taux de participation, la décélération de la population en âge de travailler jouera à la baisse sur la croissance potentielle – à savoir la croissance du PIB atteignable à moyen terme par l’économie, en dehors des fluctuations de court terme.

Avec ce contexte, peut-on rester riche avec une démographie vieillissante et déclinante ? 

Comme indiqué précédemment, une population vieillissante pourrait agir à la baisse sur la croissance du PIB, tendant ainsi à rendre l’économie moins riche. Néanmoins, le vieillissement de la population a aussi tendance à augmenter l’épargne au niveau agrégé, qui peut être investie dans l’économie domestique ou à l’étranger. Un vieillissement démographique plus rapide que la moyenne mondiale pourrait ainsi impliquer une position extérieure nette (i.e. la richesse (dette) nette des résidents d’un pays investie (empruntée) à l’étranger) plus positive, ce qui est parfois considéré comme un signe de richesse ou de résilience du pays. Avec Rana Sajedi et Gregory Thwaites, nous montrons que la position extérieure nette fortement positive de l’Allemagne ou du Japon, par exemple, peut être partiellement expliquée par le vieillissement démographique rapide auquel ces pays font face. Ces effets ont aussi été étudiés entre autres par Barany, Coeurdacier et Guibaud ou encore Backus, Cooley et Henriksen, qui mettent en lumière des mécanismes similaires.

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