En 1956, la France et le Royaume-Uni décidaient une expédition militaire au Proche-Orient contre l'avis des États-Unis. La bataille de Suez fut critiquée : du fait de l'hostilité conjointe des deux grands , Paris et Londres furent obligés de renoncer à leur succès militaire et de se retirer.
À tout le moins contribuèrent-ils à sauver l'État d'Israël.
Mais qui pourrait imaginer, cinquante ans après, que deux pays européens puissent, comme la France et le Royaume-Uni le firent à ce moment là, entreprendre une expédition au Proche-Orient contre l'avis des États-Unis ?
Or un des objectifs affichés de la construction européenne, commencée la même année avec la négociation du traité de Rome, n'était-elle pas de renforcer l'Europe face aux États-Unis ?
Ce rapprochement suffit à montrer combien la mise en place de l'Europe de Bruxelles a eu l'effet inverse de celui qui était escompté : au lieu d'une indépendance croissante, un assujettissement toujours plus grand et un effacement de la scène mondiale.
Pourtant le rapport de forces tant économique que militaire n'a pas évolué défavorablement pour nous depuis lors. Onze ans après la libération de l'Europe par les troupes américaines, la suprématie militaire des États-Unis était établie. La France n'avait pas encore en 1956 la force de frappe. Sur le plan économique, le rapport de richesse était beaucoup plus favorable aux Américains : les économies européennes étaient ruinées par la guerre, tant et si bien que l'Amérique avait dû les aider à se relever par le Plan Marshall.
En fait toutes les initiatives par lesquelles les Européens se sont démarqués des États-Unis depuis cinquante ans ont été le fait des États et jamais des organes communautaires. Rappelons en quelques-unes :
- en 1956, la France et le Royaume-Uni interviennent , on l'a dit, en Egypte ;
- en 1961, l'Espagne refuse de se joindre à l'embargo international contre Cuba ;
- en 1965, la France construit sa bombe atomique ;
- en 1970, l'Allemagne fédérale entreprend l'Ostpolitik ;
- en 1982, le Royaume-Uni mène la guerre des Malouines ;
- en 1985, la France lance un train de sanctions contre l'Afrique du Sud ;
- en 1990, l'Allemagne se réunifie ;
- en 2003, la France refuse d'avaliser l'invasion de l'Irak au Conseil de sécurité.
Non seulement aucune décision relevant de la politique étrangère et de sécurité commune instaurée par le traité de Maastricht (1992) ne manifeste une telle indépendance. Mais la guerre de Yougoslavie de 1999, lancée il est vrai sous l'égide de l'OTAN, apporta la contre-épreuve : une initiative paneuropéenne largement assujettie aux intérêts américains et aux effets catastrophiques, comme le montre la situation lamentable qui est aujourd'hui celle du Kosovo.
Non seulement, après cinquante ans de construction européenne, l'Europe s'avère plus dépendante que jamais malgré son renforcement économique, mais cette dépendance qui était déjà inscrite dans le traité de Maastricht se trouve confirmée à l'article I -41-7 du projet de Constitution qui prévoit que les engagements des États membres dans le domaine de la sécurité et de la défense "demeurent conformes aux engagements souscrits dans le cadre de l'OTAN".
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