Un des arguments le plus souvent avancés en faveur de la réintégration de l'OTAN est la nécessité de mutualiser, le principe général que, faute d'être assez grand tout seul, il faut s'associer à d'autres. Argument qui vaut autant pour l'identité européenne de défense, même s'il s'agit d'un concept différent.
Un colloque récent de la Fondation Robert-Schuman sur la défense européenne déplorait que celle-ci se trouve gravement hypothéquée par la baisse des efforts de défense des pays d'Europe, à l'exception de la Grande-Bretagne. Le Pentagone se lamente lui aussi de la réticence des Européens à dépenser pour leurs forces armées et donc de leur impuissance à apporter dans le cadre de l'OTA N plus qu'une force d'appoint. La coopération franco-allemande en matière d'armements, après avoir démarré de manière prometteuse dans le cadre de l'OCCAR avec les hélicoptères Tigre et NH90, s'essouffle du fait de la baisse des efforts de chaque pays.
Les chiffres sont aujourd'hui éloquents : en Europe, 1,8 % du PIB (193 milliards de dollars) est consacré à la défense, aux États-Unis 4,1 % (493 milliards de dollars), en Russie 2,8 %. Pire : les efforts des Européens baissent d'année en année alors que dans le reste du monde, Chine comprise, ils ne cessent, même si on peut le déplorer, de grimper.
Ainsi tout se passe comme si la baisse de l'effort de défense allait de pair en Europe avec le degré d'intégration dans l'OTAN. En prolongeant les courbes, intégration à 100 % = 0 % du PIB consacré à la défense !
Le seul pays qui semble résister à cette tendance est le Royaume-Uni ; très autonome comme on sait dans le cadre européen, peut-être a-t-il plus que d'autres le sentiment de rester lui-même en s'alignant sur les États-Unis, du fait de sa communauté de langue et de culture avec eux.
La volonté d'être utile
Le dernier Livre blanc français ne contredit pas ces tendances, au contraire. Hors l'excellente intention de consacrer plus de moyens au renseignement, ses deux idées fortes sont d'une part une plus grande intégration internationale de nos forces, d'autre part une réduction du format des armées. Dans le scenario envisagé, une fois la gendarmerie exclue, notre effort de défense devrait descendre de 1,55 à 1,15 % du PIB, soit au niveau de celui de l'Allemagne.
L'Europe, à mesure qu'elle s'intègre et se pelotonne dans le giron de l'OTAN apparaît ainsi plus que jamais, selon la terminologie de Robert Kagan [1], comme une puissance vénusienne , sortie de l'histoire, par opposition aux États-Unis, puissance martienne par excellence, assumant pleinement la condition tragique de l'homme.
Dans sa célèbre conférence de presse du 23 février 1967 où il annonçait le retrait de la France de l'organisation intégrée de l'OTAN , le général de Gaulle, dans une incise passée alors inaperçue, avait prévu cette évolution :
Enfin, la volonté qu'a la France de disposer d'elle-même, volonté sans laquelle elle cesserait bientôt de croire en son propre rôle et de pouvoir être utile aux autres, est incompatible avec une organisation de défense où elle se trouve subordonnée.
Être utile aux autres dans l'Alliance, c'est ce que fut la France en 1962, lors de la crise des fusées de Cuba où elle se montra l'allié le plus inébranlable des Américains. C'est encore davantage ce qu'elle s'avéra être dans le dernier grand épisode de la Guerre froide : la querelle des euromissiles, au début des années quatre-vingt. Alors que toute l'Europe occidentale, Allemagne en tête, était prête, sous la pression de mouvements d'opinion considérables, à céder au chantage soviétique — besser rot als tot — , notre pays, sans doute parce que la politique d' indépendance y avait préservé le goût de se défendre, sut résister aux sirènes du pacifisme et put ainsi appuyer efficacement le projet américain de poster les fusées Pershing II en Europe de l'Ouest pour contrer les SS20 soviétiques.
De plus en plus d'intégration, de moins en moins d'esprit de défense ? Jusqu'où ?
[1] Robert Kagan, La Puissance et la Faiblesse, Plon, 2003.
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