DEPUIS quelques mois, Mère Angélica, abbesse du monastère des clarisses de l'Adoration perpétuelle à Huntsville (Alabama, USA) mais surtout connue pour avoir fondé en 1982 le réseau de télévision catholique

ewtn.com/" target="_blank">EWTN, s'est retirée du devant de la scène, affaiblie par une attaque cérébrale. En fondatrice sage et prudente, elle avait assuré sa succession, en s'entourant d'un "staff" de haute qualité, où figure notamment un ancien cadre du groupe de télévision câblée Rainbow, qui n'a pas hésité à sacrifier 80% de son salaire pour mettre ses talents au service de sa foi. Aux commandes de ce staff, un jeune père de famille de 41 ans, Michael P. Warsaw, que nous avons rencontré dans l'ancien bureau de la "Mother". Quand évangélisation et management font bon ménage... Une expérience à méditer en France où la télévision catholique, avec KTO et le Jour du Seigneur, cherche son modèle.

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DECRYPTAGE. — Monsieur le Président, êtes-vous un de ces businessmen convertis qui ont décidé de consacrer leurs talents au service de Dieu ?

Michael P. WARSAW. — Pas tout à fait. Je viens d'une famille catholique : la foi chrétienne et l'engagement dans la vie de l'Église ont toujours beaucoup compté pour moi, et j'ai reçu une formation supérieure d'éducateur religieux. Si je devais parler d'un "tournant", plus que d'une "conversion", je le situerais pendant mes études de théologie à l'Université catholique d'Amérique, à Washington : la découverte du sens profond de la liturgie a orienté ma "carrière". Mon premier poste fut d'ailleurs liturge et maître de cérémonie au Sanctuaire national de Washington.

Comment vous êtes-vous retrouvé aux confins de l'Alabama, au cœur de l'Amérique profonde ?

En 1988, alors que je venais d'être nommé directeur de la communication du Sanctuaire national, j'ai rencontré Mère Angelica, alors à la tête d'EWTN depuis quelques années. Elle m'a beaucoup impressionné. J'ai eu envie de travailler avec elle – ce qui ne s'est pas fait tout de suite, car on ne quitte pas Washington pour l'Alabama du jour au lendemain ! En 1990, j'ai rejoint son équipe en tant que directeur de la promotion et producteur. Je me suis en particulier occupé de la couverture des JMJ de Denver, en 1993. Je suis ensuite devenu responsable des opérations techniques et, en l'an 2000, quand Mère Angelica a décidé de se retirer, j'ai été nommé président de la chaîne.

Quelle est aujourd'hui son audience ?

C'est très difficile à dire, pour une raison qui tient à l'esprit de la chaîne : nous ne faisons jamais de sondage. Nous ne cherchons pas à savoir ce qui plaît ou pourrait plaire à notre auditoire. Nous avançons pas à pas dans l'annonce explicite de la foi catholique, en impliquant au maximum nos téléspectateurs, en les intégrant à notre "famille", et en les sollicitant d'une année sur l'autre pour nos besoins financiers. Le fait qu'EWTN reçoive toujours ce dont elle a besoin pour couvrir ses frais et se développer est pour nous un signe que notre audience croît, non selon nos plans, mais selon le plan de Dieu. Comme vous le voyez, notre stratégie est à l'inverse de celle de la société ambiante : nous refusons la surenchère des moyens de divertissement, et la logique mercantile qui consiste à susciter les besoins pour ensuite les satisfaire et gagner le maximum d'argent. Nous faisons ce que nous avons à faire : proposer la foi catholique dans la fidélité au Magistère pontifical.

Pourtant, quand on se promène dans vos locaux, on observe qu'il y règne un grand professionnalisme...

Oui, car l'abandon à la Providence, que nous pratiquons, ne doit pas exclure un autre impératif d'inspiration évangélique : la responsabilité du bon serviteur. Le bon serviteur se sent responsable à l'égard de celui ou ceux qu'il sert – dans notre cas : Dieu et les hommes – et consacre toutes ses forces, toute sa volonté, toute sa rigueur à l'accomplissement de la tâche qui lui a été assignée. Mais je vous le concède, c'est un équilibre difficile à trouver...

Comment faites-vous, alors ?

Notre financement est entièrement le produit de dons spontanés, c'est-à-dire que nous ne sommes pas un canal payant, nous ne diffusons aucune publicité et nous ne pratiquons pas le fund-raising auquel les Américains sont habitués de la part des médias chrétiens : "Donnez-nous 50 dollars tout de suite ou le monde va cesser de tourner !" Notre budget est d'environ 40 millions de dollars, dont 90 % sont consacrés au contenu que nous diffusons : production, acquisition de programmes étrangers, transmission, etc. Ce pourcentage nous vaut d'ailleurs de figurer en tête des associations américaines les mieux gérées. Notre situation financière est très satisfaisante, ce qui n'est pas si courant dans les médias chrétiens de par le monde. Et tout cela, sans aucune concession sur le fond.

Vous nous avez dit qu'EWTN est une famille. Comment se fait le management d'une telle famille ?

EWTN est en effet une famille : les téléspectateurs, les présentateurs, les producteurs, les techniciens, le personnel administratif, le personnel d'entretien, mais aussi les frères missionnaires du Verbe éternel qui habitent sur le site, produisent une émission pour les jeunes et assurent le conseil spirituel des membres de la chaîne – tout cela forme un véritable "corps ecclésial" comme je n'en avais jamais vu en quinze ans de service de l'Église.

Alors, bien sûr, les défis sont nombreux, car nous ne pouvons pas nous traiter entre nous comme on se traite bien souvent dans les entreprises profanes, cela irait à l'encontre de notre mission. Une donnée doit être prise en compte pour comprendre comment nous fonctionnons : nous n'engageons que des personnes porteuses d'une double motivation, une motivation professionnelle et une motivation spirituelle. Derrière les caméras, et bien sûr devant les caméras, vous ne trouverez que des gens qui vivent, promeuvent ou en tout cas respectent la foi catholique telle que l'Église nous l'enseigne.

Vous pratiquez en effet une évangélisation explicitement catholique : chez vous, pas de débat contradictoire, pas d'ambiguïté, pas de flou artistique, pas de biais spiritualiste...

L'évangélisation de Jésus en Palestine, il y a deux mille ans, était-elle implicite ? Je ne pense pas que l'évangélisation implicite, dans les médias, soit une stratégie appropriée. Les gens ont besoin de savoir qui s'adresse à eux. La Vérité est universelle, le cœur de l'homme y aspire. Le fait que nous enseignions la Vérité en affirmant qu'il s'agit de la Vérité est une grande force. Nous ne devons pas tromper les gens : nous sommes catholiques, à 100% ! L'existence même d'EWTN, entièrement suspendue aux dons des spectateurs comme je vous le disais, et son développement, sont d'ailleurs les preuves que cette stratégie fonctionne.

Quels sont, justement, les programmes les plus regardés ?

Pour autant qu'on puisse le savoir – comme je vous le disais, nous ne faisons pas de sondage – la messe, le chapelet et le direct du soir, où nous abordons la foi catholique sous tous ses aspects, dans une perspective résolument apologétique, sont les programmes les plus appréciés des téléspectateurs. Vous savez, quand ils se branchent sur EWTN, les gens ne veulent pas voir MTV ! Cela dit, même si nous recevons énormément de courriers attestant que notre chaîne est un soutien pour des catholiques isolés dans le monde entier, notre but n'est pas de devenir une "église télévisuelle" comme il en existe chez les protestants évangéliques : un des axes prioritaires d'EWTN est la promotion de la pratique des sacrements. Notre mission est de conduire, et souvent de reconduire, les gens dans les églises, dans les paroisses.

Que pensez-vous des approches "culturelles", qui visent à toucher nos contemporains en reprenant leurs codes et leurs références, en les christianisant, au risque de sacrifier la beauté ?

Je crois que c'est une erreur. Bien sûr, là encore, c'est une question d'équilibre : si vous ne "collez" absolument pas à la culture d'aujourd'hui, vous ne serez pas entendu. Mais il ne faut pas non plus entretenir les gens dans la médiocrité sous prétexte de les atteindre par leur mode de vie actuel. Il faut les tirer vers le haut, en gardant toujours le contact avec ce qui fait leur vie.

Quels sont vos projets pour les années à venir ?

Comme je vous le disais, nous avançons de manière pragmatique. Nous essayons d'améliorer, d'année en année, la qualité de nos programmes "de base". Et depuis quelques années, nous sommes engagés dans une politique de développement international. Nous avons désormais une chaîne entièrement en espagnol, avec des programmes produits par des hispanophones, correspondant à la mentalité sud-américaine. Et nous avons récemment posé un pied en Allemagne et en Grande-Bretagne.

Et la France ?

Ah ! Si Dieu le veut...

Propos recueillis par Matthieu GRIMPRET.

Pour en savoir plus : www.ewtn.com

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