La loi Debré, qui a institué le contrat d'association entre l'État et l'enseignement privé, vient de fêter ses cinquante ans : les salaires des enseignants sont payés par l'État, en échange notamment du respect des programmes et de la participation au service public. Avec 2 millions d'élèves de la maternelle au lycée, et malgré les critiques marginales émanant des défenseurs invétérés de l'école publique, l'enseignement catholique est aujourd'hui un acteur incontesté du paysage scolaire en France. Mais a-t-il su préserver son caractère propre ?
L'attente des parents
Un récent sondage paru dans le Pèlerin [1] révèle que sur les 20% de Français qui scolarisent leurs enfants dans des établissements catholiques, 4% seulement citent l'éducation religieuse comme un atout de l'enseignement privé, le chiffre atteignant 11% chez les catholiques (qui sont 48% à choisir le privé).
Il est vrai que sur les 10 réponses proposées, l'éducation religieuse est la seule à faire explicitement référence à la religion. Une autre réponse, plus ambiguë, le respect des valeurs traditionnelles , est citée par 26% des parents d'élèves comme un des principaux atouts de l'enseignement privé. Mais les propositions le plus souvent retenues sont le suivi des élèves (46%), la qualité de l'enseignement (41%) et l'absentéisme plus faible des professeurs (40%).
Si le caractère propre de l'enseignement catholique ne réside plus guère que dans les qualités de sa pédagogie, doit-on en conclure tout bonnement qu'il a perdu son âme ?
Une spécificité qui interroge
Eric de Labarre, secrétaire général de l'enseignement catholique, réagit aux résultats de ce sondage en se contentant d'expliquer que l'école ne saurait échapper à la déchristianisation massive de la société : Cette révolution culturelle nous a obligés à nous interroger sur la spécificité de notre enseignement. L'interrogation est de mise en effet... et la question particulièrement brûlante : quelle est la vocation de l'école catholique ? Pour Eric de Labarre, l'enseignement généralisé du fait religieux et de la culture chrétienne sont à distinguer de ce qui relève de la foi. Dans ce domaine, une "première annonce" peut être proposée à tous. Quant à la catéchèse, elle nécessite un choix personnel. Reste qu'on ne peut pas proposer dans un établissement marseillais, où neuf élèves sur dix sont musulmans, la même chose qu'en région parisienne où presque tous les élèves sont issus de familles catholiques.
Et pourtant... si comme le déclare le mathématicien Laurent Lafforgue, la mission de tout enseignement est de donner à l'esprit la nourriture qui lui est nécessaire pour grandir et pour vivre, et qui est la vérité , pourquoi une école catholique ferait-elle l'économie de l'annonce de la Vérité en la personne du Christ ?
Un équilibre possible
La loi Debré de 1959 stipule que l'établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience . Pour Laurent Lafforgue, cet équilibre est possible : les écoles privées devraient proposer un enseignement religieux ambitieux, s'adressant à l'intelligence de l'enfant au même titre que les mathématiques ou la grammaire, sur les grands textes du catholicisme (Écritures saintes, Pères de l'Église, etc.), l'histoire de l'Église ainsi que l'art chrétien ; or ces matières ne sont rien moins que les fondements de notre culture, comme l'avait rappelé le pape Benoît XVI dans son discours au collège des Bernardins. En revanche, pour Laurent Lafforgue, les offices, sacrements ou actions caritatives, qui relèvent quant à eux de la libre adhésion de l'âme dans la foi , ne sauraient être obligatoires [2].
Une école privée à deux visages
Ces propositions de refondation méritent sans doute d'être étudiées, car pour l'heure, l'avenir de l'école catholique — tiraillée entre sa mission de service public et les critiques sur la dilution de sa vocation particulière (dont témoigne l'apparition des écoles catholiques hors contrat) — est bien incertain.
Le scénario le plus probable reste la lente émergence d'un enseignement privé à deux visages. D'un côté des établissements non confessionnels, dans la lignée de ce qu'est aujourd'hui l'enseignement libre, avec un souci pédagogique dont la valeur positive ne doit pas être niée (et qui peut servir de modèle à un enseignement public réformé) ; de l'autre des établissements véritablement confessionnels, part minoritaire sans aucun doute, dont l'insertion dans la pastorale de l'Église aurait alors un véritable sens.
[Sources : Pèlerin, TNS-Sofres, Famille chrétienne, Ihes.fr/~lafforgue ]
[1] Enquête Les Français et l'enseignement privé
[2] Cf. Laurent Lafforgue, discours à la session annuelle de l'ADDEC-Alliance des directeurs et directrices de l'enseignement chrétien, le 19 novembre 2009, dont il était invité d'honneur ; texte intégral (pdf).
Lire aussi De l'école et de ce qui fonde la valeur de la culture et du savoir , Liberté politique n° 32, 2006/1.
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