[Voici le texte des conclusions du colloque " Construire une autre Europe ", tenu à la Sorbonne le 14 mai 2005.]

Le rejet par les Français du projet de Constitution européenne qui leur est soumis ne saurait apparaître comme une catastrophe pour l'Europe, bien au contraire.

Il est l'occasion de reprendre sur des bases nouvelles et assainies le grand chantier de la construction européenne.

Une nouvelle négociation aura évidemment lieu, quoi qu'on en dise, sinon en vue d'une nouvelle constitution, mot trop chargé d'ambiguïtés, du moins d'un nouveau traité fondamental ne retenant que le meilleur des coopérations existantes. Cette négociation devra, du point de vue de la France, partir d'une plateforme claire, conforme à la fois aux intérêts de notre pays et aux véritables intérêts de l'Europe.

Sur le plan des institutions, il doit être mis fin au monopole de proposition de la Commission européenne, conformément à ce qui était au départ le mandat de Laeken, lequel sur ce chapitre essentiel, comme sur d'autres, n'a pas été respecté. Le droit de proposition doit être étendu aux gouvernements et parlements nationaux.

L'actuel Parlement européen doit être doublé par une institution représentative des parlements nationaux agissant en étroite collaboration avec eux, éventuellement appelée à devenir une Chambre haute de l'Europe.

L'application effective du principe de subsidiarité doit être protégée par une définition précise et large des compétences nationales non transférables, comme il en va dans tout système authentiquement fédéral ou confédéral. Les litiges pourront être soumis le cas échéant à une instance indépendante chargée de veiller à l'application de ce principe. La notion de compétence partagée doit être révisée afin d'y permettre un exercice effectif et pérenne des pouvoirs nationaux.

Sans remettre en cause dans tous les domaines la règle majoritaire, tout État qui s'estimera gravement lésé par une décision communautaire et notamment par celles qui contreviendraient à sa loi fondamentale, doit pouvoir demander le recommencement de la procédure, voire exercer dans certains cas graves un droit de veto, conformément à la coutume dite " compromis de Luxembourg ".

Seules les normes raisonnablement nécessaires au fonctionnement du marché européen, lequel ne saurait en aucun cas viser à réaliser l'utopie du marché pur et parfait des théoriciens, doivent être imposées aux États : cette restriction est indispensable à une authentique décentralisation de la décision économique en Europe.

Les normes européennes ne sauraient préjuger des modèles économiques et sociaux ou des formes du service public dans les différents États, de manière à préserver un espace de choix politique authentique en leur sein. Ces choix, effectués par les États à leurs risques et périls, seront naturellement en concurrence entre eux au sein d'un espace européen demeurant pour l'essentiel ouvert. En matière de services, la règle applicable sera celle du lieu de la prestation.

Le traité de base de l'Union européenne doit se contenter de définir les rapports des pouvoirs. Il ne saurait préjuger des politiques qui seront menées au sein de cet espace.

Une simple référence à la Déclaration européenne des droits de l'homme peut tenir lieu de Charte des droits fondamentaux.

En matière économique les traités ne sauraient préjuger de la position de l'Union européenne dans les négociations de l'OMC, laquelle devra être définie au coup par coup. Cette position devra tenir compte de la spécificité des marchés agricoles et s'efforcer d'y rétablir le principe de la préférence communautaire.

Les statuts de la Banque centrale européenne devront être revus pour intégrer l'impératif du plein emploi à égalité avec celui de la stabilité de la monnaie.

Les décisions de l'Union européenne ne sauraient faire obstacle à des politiques industrielles destinées à renforcer le tissu économique européen, telle qu'en offrent de magnifiques exemples la réalisation de l'Airbus A 380 ou de la fusée Ariane, dont on rappelle qu'ils ne doivent rien aux institutions de Bruxelles et auraient au contraire été interdits par le projet de constitution. Ces politiques industrielles pourront prendre place dans le cadre de l'Union européenne ou bien être librement organisées par les Etats ou des groupes d'Etats. Elles auront pour but de limiter ou pallier les effets des délocalisations en préservant un authentique tissu industriel européen.

Le plein emploi et la reconduction à l'identique des générations doivent figurer dans les objectifs, sinon d'un traité fondamental, du moins des politiques européennes.

Les clauses de sauvegarde prévues au traité de Schengen , en vue du contrôle des flux migratoires, doivent être rétablies. La notion de mandat d'arrêt européen doit être abrogée.

La diplomatie européenne doit être fondée sur la libre coopération des États à partir de l'examen au cas par cas des différents problèmes internationaux. L'Union européenne doit stimuler cette coopération et la recherche de points de vue communs. Une diplomatie propre à l'Union européenne ne saurait s'exprimer que dans les domaines où ceux-ci auront été définis.

La France continuera à se concerter étroitement avec l'Allemagne, conformément au traité d'amitié et de coopération de 1963.

L'objectif prioritaire de la politique de défense commune doit être la production en commun d'armements, telle qu'elle est mise en œuvre au sein de l'Occar. Le point de départ de cette coopération doit être la libre coopération des Etats et la préférence communautaire en matière d'achats d'armes.

Tout en recherchant à développer un partenariat équilibré avec les États-Unis, l'Union européenne ne saurait subordonner a priori ses prises de position en matière de politique étrangère et de sécurité à celles de l'OTAN ou de toute autre organisation multilatérale.

L'Europe doit continuer à développer des coopérations privilégiées avec les pays de sa périphérie proche : Russie, Turquie, pays du Maghreb et du Proche-Orient, ainsi qu'avec les pays de la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique. Les institutions européenne ne se substitueront à la coopération propre aux Etats que dans les seuls domaines où elle s'avérerait plus efficace, comme l'organisation des marchés des produits de base.

Le rejet de la Constitution européenne telle qu'elle a été négociée doit être le moyen d'un nouveau départ de la coopération des États et des peuples d'Europe, sur une base véritablement démocratique et débarrassée des chimères idéologiques. Les dispositifs institutionnels destinés à incarner cette coopération doivent être, conformément au principe de subsidiarité, limités au strict nécessaire.

L'ambition fondamentale demeure celle d' une Europe conçue comme un espace de prospérité et d' un ensemble multinational à même de peser sur les destinées du monde pour y défendre ses intérêts, l'identité et le rayonnement culturels de ses composantes et la paix.

> Lancé par Roland Hureaux et Edouard Husson, ce manifeste a été signé par Jean-Pierre Chevènement (MDC), Nicolas Dupont-Aignan et Jacques Myard (UMP).

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