[Source: Magistro]
L’euro survivra-t-il ?
Oui, si certaines conditions sont remplies.
L’Union économique et monétaire – l’euro – est un projet économique au service d’une cause politique : l’Europe fédérale. C’est un système monétaire international, comme l’était l’étalon-or en son temps, doublé d’attributs fédéraux : la Banque centrale européenne et le Pacte de stabilité et de croissance. C’est une expérience unique non seulement parce que jamais des nations n’ont accepté de lier leur sort au travers d’une monnaie unique mais aussi parce qu’il inverse l’ordre naturel des choses. La création d’une monnaie suit l’institution d’une nation ou d’une fédération. La Banque des Etats-Unis fut créé en 1791, soit quinze ans après l'adoption des Articles de la Confédération de 1776. L'euro fait exception à cette règle. La Banque centrale européenne fut créée avant que ne soit achevée l’Europe politique. L'euro est une monnaie sans nation. Ce défaut structurel est sa première faiblesse. Ce n’est pas la seule.
Lors des débats qui précédèrent la création de l’euro, deux écoles de pensée s’affrontèrent. Allemands et Hollandais étaient d’avis que la convergence des politiques économiques des futurs états membres était un préalable à la création de la monnaie unique alors que Français et Italiens assuraient qu’elle en serait un effet. Les joutes oratoires opposant les deux parties débouchèrent sur un compromis : Français et Italiens obtinrent satisfaction à condition que les futurs états membres satisfassent aux critères d’adhésion imposés par les Allemands et les Hollandais. Chacune des deux parties s’estima satisfaite. C’était faire preuve d’optimisme ou de naïveté. Dix-sept ans après la création de l’euro, cette convergence n’existe toujours pas. Elle suppose une évolution de la politique économique des deux principaux partenaires : la France et l’Allemagne. Elle n’est pas à l’ordre du jour ce qui conduit la Banque centrale européenne à prendre des mesures non-conventionnelles pour sauver l’euro. Cette absence de convergence est le second défaut structurel de l’euro.
Conscients de ces faiblesses, les Européens ont tenté d’y répondre par le Mécanisme européen de stabilité, la règle d’or, l’Union bancaire, etc. Pour utiles que soient ces mesures, elles n’en sont pas moins insuffisantes. Preuve en est la performance économique de la zone euro. Comparés aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne, son taux de croissance est inférieur (1,5 % contre 2,4 % et 1,9 % respectivement) et son taux de chômage plus élevé (10,3 % contre 4,8 % et 5,0 %). Dans une telle économie, la priorité n’est pas la réduction du déficit budgétaire mais la croissance qui ne peut s’obtenir que par un effort collectif au travers d’un vaste programme d’investissements européen d’un montant de 2 000 milliards d’euros sur cinq ans financé par des institutions internationales. Un tel programme n’exclut pas la poursuite, voire l’accélération dans le cas de la France, des réformes structurelles imposées non par l’Europe, comme beaucoup le pensent, mais par la mondialisation. Ces réformes en ce qui concerne notre pays doivent s’inscrire dans un plan à long terme précisant les objectifs, les moyens, le calendrier et la contribution de chacun.
L’euro survivra s’il est remédié à ses insuffisances. Cette condition nécessaire n’est pas suffisante. Il faut aussi l’adhésion des peuples. Comme je le rappelle dans mon ouvrage : "L’euro survivra-t-il ?", de Gaulle disait de l’Europe qu’elle devait être "véritablement européenne. Si elle n’est pas l’Europe des peuples, si elle est confiée à quelques organismes technocratiques plus ou moins intégrés, elle sera une histoire pour professionnels, limitée et sans avenir. "
Le Cercle Les Echos – 28 avril 2016
Jean-Luc Basle
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