On reconnaît le niveau de démocratie d'un peuple à la façon dont il traite les Roms disait Vaclav Havel... Au-delà de la formule et des bonnes intentions, comment faire ? La valse des circulaires ministérielles a semé la confusion, et les vagues d'expulsions auront sans doute alimenté à la hâte les allers-retours de migrants avec l'Europe de l'Est.
Rien en cela ne s'apparente à une politique réfléchie, équilibrée, équitable de réglementation de l'immigration, et d'accueil des migrants. Ces initiatives témoignent cependant d'une préoccupation légitime ; celle de trouver des solutions dans un contexte difficile, où les initiatives passées n'ont pas toujours fait leur preuve. Aujourd'hui, où en est-on ?
Après la révélation de la circulaire du 5 août prévoyant l'expulsion de 300 campements illicites en priorité ceux des Roms , la commissaire européenne chargée de la justice, Viviane Reding, avait menacé la France de lancer une procédure d'infraction pour discrimination. La circulaire a été retirée — bien que plus de 440 campements de Roms et Gens du voyage aient déjà été évacués — et la Commission a annoncé, jeudi 30 septembre, renoncer à lancer une telle procédure.
En réalité, il ne s'agit que d'un sursis, la France devant fournir des garanties sur la transposition du droit européen, afin d'éviter un lancement de la procédure le 28 octobre. Sont en cause le respect des dispositions contenues dans la charte des droits fondamentaux, et l'application de la directive de 2004 sur la libre circulation. La France l'aurait contournée par deux circulaires, à la veille de l'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l'Union[1].
Au-delà d'un débat à propos duquel la Commission reconnaît elle-même qu' aucun article de la directive n'a été transposé effectivement et correctement par l'ensemble des Etats membres [2], quel diagnostic pratique pourrions-nous établir ? Quelles sont les dispositions prévues pour l'accueil des Roms et des gens du voyage ? Leur application se fait-elle dans le respect des personnes, du bien commun, et comme le dit le ministre de l'Intérieur lui-même, au "cas par cas" et sans arbitraire ?
Sur un sujet aussi sensible, même les définitions ne font pas l'unanimité
Pour Vaclav Havel, les Roms étaient le peuple européen par excellence : Unité dans la diversité. Face à cette grande diversité, il n'est pas inutile d'essayer d'y voir clair. Là où le Conseil de l'Europe adopte un vocable générique ( roms ), la France fait une distinction délicate, parfois mal acceptée, entre Roms et Gens du voyage .
- Les Roms — au sens administratif français — sont des personnes vivant en France, et venant essentiellement des pays d'Europe centrale et orientale (à 90% de Roumanie, mais aussi de Bulgarie et d'ex-Yougoslavie). Ces mouvements de migrations sont principalement économiques depuis le début des années quatre-vingt-dix et la chute du communisme en Europe de l'Est. La plupart des Roms migrants ne se reconnaissent pas comme peuple itinérant.
- Les Gens du voyage sont ceux dont l'habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles [3]. On compte parmi eux différentes branches roms (Roms, Sinté/Manouches, Kalés/Gitans). Certains Roms de France ne se reconnaissent pas dans cette appellation [4].
Les Gens du voyage sont pris en tenaille entre une loi Besson favorable, mais encore insuffisamment appliquée, et ses contreparties répressives
En 2000, la loi Besson [5] témoigne d'une vraie volonté politique, jusqu'alors inédite. C'est la première loi républicaine à prendre en compte l'habitat des gens du voyage , précise Emmanuel Aubin, (La commune et les gens du voyage, 2009) [6]. Elle oblige toute commune d'au moins 5.000 habitants [7] à aménager des aires d'accueil, ou à s'en remettre pour cela à son intercommunalité quand cette compétence lui a été transférée. L'État s'engage dans le financement et la gestion des aires prévues dans les schémas départementaux, d'où leur force obligatoire pour les communes.
Un manque de places régulières du fait des retards d'application de la loi
Dix ans après son entrée en vigueur, ce qui devait être achevé en 2004 n'a pas été réalisé pour moitié. Au 1er janvier 2009, d'après Les Echos, seuls 42 % des emplacements inscrits dans les schémas départementaux imposés par le législateur, soit 17.653 places disponibles, avaient été réalisées (sur les 41 865 prévues) [8].
Certes leur application est difficile pour les pouvoirs publics : le prix du foncier a considérablement augmenté — mais pas les subventions d'État — et satisfaire aux obligations de respect du patrimoine, de l'urbanisme, de l'environnement et de la loi Littoral s'avère un véritable casse-tête pour les élus. À moins qu'il s'agisse de craintes, fondées ou non, liées à l'accueil de ces personnes et à la sécurité des populations, ou d'un manque de volonté politique.
Des volets répressifs renforcés en cas de stationnement irrégulier
En contrepartie d'un dispositif qui se voulait favorable à l'accueil des Gens du voyage, le stationnement irrégulier est plus sévèrement réprimé. Dans ces cas, il est devenu plus facile d'expulser des Gens du voyage, depuis la suppression du recours préalable à une procédure judiciaire, avec la loi relative à la prévention de la délinquance (adoptée le 5 mars 2007). Le préfet peut, sur demande du maire, ou du propriétaire, mettre en demeure les occupants de quitter les lieux dans un délai de 48 heures. De judiciaire, la procédure d'expulsion est devenue administrative, voire un peu expéditive.
La pénalisation du stationnement illégal s'est accrue. Depuis 2003, la loi pour la sécurité intérieure (19 mars 2003) punit de six mois d'emprisonnement, de 3750 euros et de la saisie des véhicules tracteurs ceux qui s'installent sur un terrain appartenant à une commune qui s'est conformée aux obligations lui incombant en vertu du schéma départemental ou qui n'est pas inscrite au schéma (La Gazette des communes) [9].
Bidonvilles, et villages d'insertion : l'accueil des Roms étrangers en France
Comme les aires d'accueil prévues pour les gens du voyage par la loi Besson ne sont ni règlementairement ni de fait, accessibles aux Roms étrangers, l'accueil, ou plutôt la tolérance, passe par des hauts et des bas , comme l'ont observé Jean-Pierre Dacheux et Bernard Delemotte[10]. D'ailleurs, n'ayant pas vocation à l'accueil de séjours longue durée, ces aires ne correspondent pas aux besoins des Roms. En effet, la plupart des Roms étrangers ne se reconnaissent pas comme un peuple itinérant, et cherchent théoriquement à s'intégrer dans un parcours d'hébergement ou de logement classique.
Dans la réalité, les Roms s'installent sur des friches urbaines ou rurales dans des zones délaissées, en marge des villes, avec des problèmes courants d'accès à l'eau, au chauffage, à l'électricité... Une alternative à cet habitat indigne est apparue depuis 2007, avec la création de plusieurs villages d'insertion en banlieue parisienne. Les bénéficiaires se voient proposer un hébergement d'une durée de 3 à 5 ans, et un accompagnement social associatif. Dispositif modèle ?
Pas si sûr. Délicates sélections des familles, espaces clos de hauts murs, visites surveillées et limitées, éclairage permanent la nuit... Ces villages sont parfois comparés à des camps de semi-internement [11]. Et l'efficacité en termes d'insertion n'est pas toujours au rendez-vous. Ou faible, à l'image de la répartition des coûts de fonctionnement de ce village de Saint-Denis : entre 140.000 et 170.000 euros pour l'accompagnement social, et entre 303.000 et 335.000 euros pour la gestion locative et le gardiennage.
Expulsions : au-delà d'une coûteuse et inefficace tentation du chiffre , quel respect de la dignité dans la pratique ?
Ceux qui ne sont pas sélectionnés pour ces villages d'insertion, se voient le plus souvent encouragés au retour volontaire, via notamment l'aide au retour humanitaire (ARH) [12], aide matérielle et financière (300 € par adulte, 100 € par enfant).
Le collectif RomeEurope pointe une utilisation abusive et une instrumentalisation de ces aides, par les pouvoirs publics, comme par les Roms eux-mêmes. Pour les pouvoirs publics, il y a une réelle tentation d'utiliser cet outil pour parvenir aux objectifs annuels de reconduite à la frontière [13]. Pour les Roms, l'aide est parfois un moyen de retour annuel pour maintenir les liens avec les familles restées au pays...
Un dispositif qui ne semble qu'entretenir des mouvements d'aller-retour en France, pour un coût certain : 2,7 millions d'euros uniquement pour les aides financières hors frais de transports (2008)... et une efficacité toute relative [14].
Dans la pratique, quelque soit l'aide au retour envisagée, on assiste encore à des cas de distributions collectives de mesures d'éloignement sans examen des situations individuelles, à des violences (le rapport Romeurope note un cas de marquage au tampon sur le bras !), à des expulsions sans respect de la procédure légale... Le respect des individus n'est pas toujours assuré.
Une solution par le travail ?
Face à des problèmes d'habitat et d'insertion sociale insolubles pour les Roms migrants et les pouvoirs publics français, pourquoi ne pas lever, ou du moins revoir, certains des obstacles administratifs à l'entrée sur le marché du travail ? Et donner ainsi aux migrants de bonne volonté, la possibilité de participer à leur insertion sociale. Parmi ces obstacles, on compte :
- l'accès limité à 150 métiers ouverts aux ressortissants des États européens soumis à des dispositions transitoires , auxquels peuvent prétendre uniquement les Roms de nationalité roumaine ou bulgare. Les Roms d'autres nationalités n'y ont pas accès ;
- la taxe à l'OFII (Office français de l'immigration et de l'intégration), due par les employeurs, pouvant aller, selon la durée du contrat, jusqu'à 60% du salaire mensuel versé, dans la limite de 2,5 fois le SMIC ;
- les demandes d'autorisation de travail, obligatoires jusqu'en 2014.
Parallèlement, les pouvoirs publics français pourraient encourager la Roumanie et la Bulgarie à s'engager, de leur côté, à créer des conditions favorables à l'emploi des Roms.
En attendant, comme le notent non sans ironie les auteurs de Roms de France, Roms en France [15] : dans des conditions de vie précaires, "tenir" est une activité en soi, non répertoriée, difficile à qualifier d'économique, mais qui occupe à plein temps . Mais elle n'est une solution ni pour les Roms migrants, ni pour les pouvoirs publics...
[1] Circulaires des 7 et 22 décembre 2006 relative à l'aide au retour volontaire ou humanitaire et aux modalités d'admission au séjour et d'éloignement des ressortissants roumains et bulgares.
[2] Rapport de la Commission au Parlement et au Conseil sur l'application de la directive 2004/38/CE relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, 10 décembre 2008.
[3] Cf. Loi Besson, art 1.
[4] Voir le décalogue du Palais Bourbon, présenté et ratifié à l'Assemblée nationale le 8 avril 2009.
[5] Loi (Louis) Besson II, relative à l'accueil et à l'habitat des Gens du voyage du 5 juillet 2000.
[6] Emmanuel Aubin, La commune et les gens du voyage, 2009 , cité dans Roms de France, Roms en France, le peuple du voyage, Jean-Pierre Dacheux, Bernard Delemotte, Cédis Formation, éd. Passager clandestin, août 2010.
[7] Pour les communes de moins de 5 000 habitants, c'est une obligation jurisprudentielle et non légale.
[8] Les Echos : Accueil des gens du voyage : le retard criant des communes (23/07/10).
[9] Source : La Gazette des Communes – Abécédaire pour tout savoir sur les Gens du voyage et les Collectivités
[10] Roms de France, Roms en France, Le peuple du voyage, op. cit.
[11] Association La Voix des Roms.
[12] Instaurée par la circulaire interministérielle du 7 décembre 2006, l'ARH consiste en un soutien financier disponible à tout étranger, y compris les ressortissants de l'Union Européenne, en situation de dénuement ou de grande précarité .
[13] Rapport sur la situation des Roms migrants en France, septembre 2010, Collectif national droits de l'homme Romeurope, p. 45.
[14] Depuis 2002-2004, le nombre de Roms roumains reste quasiment stable, autour de 12 000 personnes.
[15] Roms de France, Roms de France, Le peuple du voyage, op. cit.
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