[source : Kernews]
L’avocat et président de l’IREF publie « L’injustice fiscale ou l’abus de bien commun »
C’est un livre opportun, qui nous permet de réfléchir sur la fiscalité, son origine, son bien-fondé, sans être un ouvrage de technicien fiscaliste ni une tribune libérale… En effet, ces travaux passionnants mêlent le droit, l’histoire, l’économie et la philosophie pour expliquer comment le droit s’est abandonné à la loi, sous l’influence des nominalistes, pour perdre sa référence à la nature humaine qui lui fixait d’utiles limites. Une démocratie populiste a fait le reste en répondant aux demandes insensées des uns et des autres pour faire croître l’État au détriment de citoyens infantilisés et déresponsabilisés qu’il incitait en même temps à lui demander toujours plus. Jean-Philippe Delsol remonte aux sources du droit pour nous permettre de comprendre le système fiscal actuel et ses dérives.
Jean-Philippe Delsol, licencié ès lettres et docteur en droit, est avocat. Il est le président de l’IREF (Institut de Recherches Économiques et Fiscales). Il a écrit de nombreux ouvrages dont « Au risque de la liberté », « À quoi servent les riches » ou « L’Anti Piketty ».
« L’injustice fiscale ou l’abus de bien commun » de Jean-Philippe Delsol est publié aux Éditions Desclée de Brouwer.
Kernews : Votre livre aborde la question de l’impôt et de la fiscalité sous une forme philosophique. D’abord, vous rappelez que la France succombe sous le poids de la politique de distribution qu’elle a mise en place, à la fois pour satisfaire une idéologie égalisatrice et plaire à une clientèle facile à convaincre. C’est ce dont souffre notre pays depuis des décennies…
Jean-Philippe Delsol : Nous souffrons d’un État-providence excessif qui infantilise les citoyens. Il faut trouver des solutions pour que les politiques fiscales mises en œuvre puissent responsabiliser les citoyens et que ce soit même le critère des politiques fiscales. Mais ce livre est presque philosophique parce que je pense que l’on ne peut pas, de manière sérieuse, critiquer l’État existant sans essayer de comprendre pourquoi nous en sommes là. Alors, j’essaie de comprendre pourquoi nous en sommes arrivés à cet État-providence dominant qui mange les citoyens qui lui tendent la main.
Vous nous plongez dans les origines du droit et la naissance de la souveraineté fiscale. Un peu comme si Agatha Christie avait commencé ses romans par un traité de psychologie humaine…
Oui, mais on comprendrait peut-être mieux Agatha Christie si, précisément, elle avait commencé par un brin de psychologie humaine ! Il faut revenir à ce qu’est le droit. La politique, c’est une dénaturation du droit et c’est en revenant à l’origine du droit que l’on pourra mieux réagir à ce qu’est devenu le droit et mieux le contester. Le droit, c’est d’abord les règles qui gèrent les rapports entre les hommes et c’est ce qui permet de rendre à chacun ce qui lui appartient. Le droit et la politique ne sont pas là pour prendre aux uns pour redonner aux autres, mais pour permettre à chacun de recouvrer ce qui lui appartient.
Vous rappelez que le droit est le même pour tous et que le juge est là pour présider à la juste répartition quand c’est nécessaire. N’est-ce pas ce qui peut amener certains à penser que la redistribution est nécessaire ?
Il y a une confusion sur les termes latins, on les utilise et on mélange les sens. Je vais prendre l’exemple de la justice distributive. Le droit romain a un droit commutatif, c’est-à-dire l’échange, si l’on a la même valeur pour chacun des deux articles, c’est un bon échange, c’est la justice commutative. Et puis, il y a la justice distributive, chez les Romains et au Moyen Âge, c’est une justice qui fait que chacun doit exercer ses fonctions au sein de la société en fonction de ses qualités et de ses compétences. Ce n’est pas une justice qui tend à redistribuer comme le mot pourrait le laisser croire. C’est probablement à partir d’autres éléments que le droit se dénature. Quand on parle de droit, donc de fiscalité, c’est le respect du rapport des hommes et de l’équilibre dans leurs relations en rendant à chacun ce qui lui appartient sous l’œil de quelques lois très simples et de juges, que l’on appelle les prudents, c’est-à-dire de gens qui examinent les situations avec beaucoup de prudence. L’idée est que ces rapports de droit soient toujours déterminés de façon à respecter la nature humaine et ce que l’homme est fondamentalement. À partir du Moyen Âge, le droit va revenir à la loi. Il y a un certain nombre de penseurs qui vont commencer à dire : « Le droit, c’est ce que dit le législateur ». Au début, c’est la loi divine, ensuite c’est le Roi qui dit la loi, et puis c’est la loi qui dépend uniquement de la volonté du législateur. Le droit n’est pas établi sur la reconnaissance du rapport des hommes, mais sur ce que veut le législateur. À partir de là, le législateur a le pouvoir de tout faire. Il s’arroge le pouvoir de décider des rapports entre les hommes et de prendre aux uns pour donner aux autres.
À partir de là, vous estimez que le législateur entre dans ce cercle infernal d’obsession maladive de l’égalité…
Parce que cela lui rend service, il donne du sens à son action… Le législateur a besoin de faire quelque chose dans les démocraties, parce qu’il a besoin d’être réélu et de pouvoir dire : « Voilà ce que j’ai fait ». Il faut reconnaître que la démocratie pousse précisément à cette surenchère en faveur de la redistribution avec ce qui est aujourd’hui devenu une obsession égalitaire.
Ne va-t-on pas déjà plus loin que la simple redistribution fiscale à travers des réformes, comme celle de l’orthographe, puisqu’au nom de l’égalité on va supprimer les difficultés de l’orthographe pour permettre aux plus mauvais élèves d’obtenir quand même une bonne note ?
C’est la même chose pour l’abaissement du niveau du bac, afin de donner l’accès à l’université à tout le monde. La loi pense que c’est à elle de dire comment on écrit les mots. D’ailleurs, ce n’est pas nouveau puisque l’Académie française, c’est Louis XIII, cela remonte au milieu du XVIIe siècle en fait. Une Académie française, cela n’existe pas ailleurs. Il n’y a que les Français pour penser que c’est l’autorité suprême qui doit avoir le pouvoir sur les mots. Dans les pays anglo-saxons, la langue évolue, mais elle évolue naturellement, en fonction de la façon dont l’écrivent les auteurs reconnus.
Vous analysez aussi cette obsession de toujours vouloir répartir l’argent des autres, en précisant que c’est propre à la France…
La France est l’un des pays les plus égalitaires parmi les pays développés et pourtant les Français restent extrêmement attentifs aux écarts de revenus ou de fortune. Il y a toujours cette volonté de continuer à niveler les situations. C’est la grande différence entre les pays anglo-saxons et les pays latins, d’une manière générale. Dans les pays anglo-saxons, quand quelqu’un a moins d’argent qu’un autre, il se demande : « Je vais comprendre comment il a fait et je vais aussi essayer de gagner ma vie… » L’écart le motive pour aller de l’avant. Dans les pays latins, l’écart de fortune tend au contraire à créer de la jalousie et de la suspicion.
Vous nous amenez à réfléchir sur le juste et le bien. Par exemple, le bien de la cité peut s’opposer au bien des citoyens, alors que l’on pourrait penser que, naturellement, le bien de la cité, c’est aussi le bien des citoyens…
Derrière, la question essentielle est de savoir si l’État doit dire et faire le bien. Si oui, lequel ? On ne peut pas exclure complètement que l’État puisse parfois décider des mesures en faveur d’un certain bien, que l’on va appeler le bien commun, qui peut aller à l’encontre du bien des particuliers. Prenons l’exemple de la Grande Guerre : on a envoyé des millions de jeunes soldats français mourir dans les tranchées pour sauvegarder les frontières de notre pays. Ce n’était pas le bien de ces jeunes Français, mais c’était le bien de la Nation. On peut en discuter, d’ailleurs, mais il y avait une conception qui pouvait justifier cela. Il faut manier cette idée du bien accompli par la collectivité avec énormément de prudence. La collectivité n’a pas plus de raisons de penser ce qui est bien pour les citoyens. On peut même considérer que, sauf cas particulier comme celui que j’ai cité, donc ce qui relève des fonctions régaliennes, l’État n’a aucune raison de penser mieux que nous ce qui est bon pour nous. Nous pouvons nous tromper, mais l’État peut aussi se tromper. Regardez le RSI : c’est une immense machine, avec 6,2 millions de ressortissants, fondée il y a quelques années pour soi-disant simplifier, économiser et rendre service aux professionnels indépendants ! C’est une catastrophe et on n’arrive pas à s’en sortir. Au contraire de cela, on aurait pu dire aux professionnels indépendants : assurez-vous où vous voulez, dans un cadre que la loi peut définir. J’ai regardé les propositions de Bruno Le Maire pour réformer le RSI. C’est un garçon qui parait plutôt de qualité. Il est à droite, mais il propose des réformes étatiques, des réformes par le haut et non des réformes par le bas. Le but de toute politique devrait être de restituer au citoyen sa liberté et sa responsabilité. Il en sortira des choses plus grandes, avec des dangers, mais j’estime qu’il y a plus de dangers à tout confier à l’État ou aux collectivités, que de confier le plus possible aux citoyens selon le vieux principe : en bas tout le possible, en haut tout le nécessaire.
L’État s’arroge même cette obligation morale de bienveillance que vous contestez. Pour quelles raisons ?
L’État ne doit pas être bienveillant, ce n’est pas son rôle ! Emmanuel Kant disait : « Méfions-nous de la bienveillance de l’État ». Je crois très nécessaire de se poser ces questions fondamentales sur le bien, le bien commun, le juste… Quand on a bien compris ce qu’était la différence entre l’un et l’autre, il est plus facile de trouver les mesures appropriées. Cela permet d’avoir une vision libérale, mais une vision juste. Il ne faut pas simplement dire : « Ce que fait l’État est insupportable ». Il faut surtout comprendre le principe que la liberté est plus riche que la contrainte et que la liberté permet moins d’erreurs que la contrainte.
Pourtant, la société va à l’inverse de ce processus, puisqu’elle multiplie les lois et les règlements…
Ce n’est pas nouveau. Vous avez Juvénal, poète latin du Premier siècle, qui constate cette tendance de l’Empire à vouloir tout contrôler, à mettre des gardiens partout et il écrit cette très belle phrase : « A la fin, qui gardera les gardiens ? » Nous en sommes là.
En conclusion, vous nous amenez sur le chemin de la liberté responsable qui serait la boussole de la justice sociale…
Il faut un critère et je propose que ce soit celui de la responsabilisation des gens. Aujourd’hui, à force d’infantiliser les gens, on les rend irresponsables et on leur apprend à tendre la main. C’est comme cela que notre pays s’enfonce toujours vers plus de chômage, avec une croissance qui faiblit.
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