Un peu partout renaît l'adoration du Saint Sacrement, comme un besoin impérieux du peuple chrétien de rassasier son cœur de la douce vision de son Sauveur. La lettre de Jean-Paul II proclamant une année eucharistique et invitant le clergé et les fidèles à se retrouver autour de la Présence du Seigneur dans les espèces eucharistiques a accentué encore ce retour à une pratique naguère contestée.
Car l'adoration du Corps du Christ en dehors de la messe, bien qu'ancrée dans la piété catholique depuis le 13e siècle, a rencontré de sérieuses objections dans les dernières décennies et il existe encore dans l'Eglise des secteurs réfractaires au culte du Saint-Sacrement, qui y verraient une dangereuse concession à une certaine religiosité toute extérieure, détournant l'eucharistie de sa fin naturelle : la communion. Le Christ ne s'est pas donné en spectacle, mais en nourriture, nous explique-t-on. L'adoration est née dans un contexte où les fidèles communiaient peu et désiraient remplacer la communion eucharistique, dont ils ne se sentaient pas dignes, par un temps passé devant Jésus-Hostie, tandis qu'à notre époque nous n'aurions plus la même peur (c'est le moins qu'on puisse dire...), alors nous n'aurions plus besoin de l'adoration.
En réalité, il nous faut comprendre que l'adoration n'est pas un substitut de la communion et ne lui fait pas concurrence, mais qu'elle y prépare. Le don étincelant qui nous est fait, au cours de la messe, du Corps et du Sang du Christ se déroule en quelques minutes à peine, et, même si nous communions, tout sera bouclé en un quart d'heure. Or nous avons besoin de temps pour nous déplier, pour accueillir le don de Dieu en vérité, nous sommes si loin de réaliser la qualité d'un tel présent ! Et nous risquons le plus souvent de passer à côté et de recevoir Jésus distraitement, comme une nourriture ordinaire, ou, au mieux, comme une chose sacrée, alors qu'il s'agit du Corps vivant de quelqu'un ! Tiendrait-on un bébé dans nos bras, comme trop de catholiques tiennent Jésus dans leurs mains ouvertes, prêtant à peine attention à Celui qu'ils reçoivent ainsi dans l'extrême fragilité de sa présence ?
L'adoration arrive au bon moment pour nous permettre de prendre conscience de ce qui nous arrive lorsque nous communions. Non pas rencontre avec une réalité inerte, mais accueil d'un corps vivant. Or l'amour (celui d'un époux, comme celui d'une maman) suppose qu'on voit derrière cette chair livrée entre nos mains l'intention d'une liberté qui se donne. Il nous faut percevoir la personne, avec le mouvement de ses sentiments, de sa volonté, ce je-ne-sais-quoi qui fait l'irréductible d'un être aimé. Ceci n'est déjà pas si simple dans l'expérience courante et bien des contrefaçons existent que nous connaissons bien. Ne dites pas que c'est plus facile avec le Seigneur et que la messe normalement y suffit. Nous sommes à cent lieues, d'habitude, de penser cela, et le prêtre qui écrit ces lignes pas plus que les autres. L'adoration, avant, pendant ou après, est souvent le seul moyen pour nous amener à réaliser qui est en jeu : le grand Dieu et Seigneur devenu le plus petit de tous, pour se frayer un chemin jusqu'à notre cœur.
L'adoration faite de silence respectueux et de douce contemplation est une nécessité absolue face à une certaine banalisation de la communion. Elle seule peut nous préparer à percevoir notre indignité profonde devant l'extrême délicatesse du Don de Dieu. On se plaint, non sans raison, que tout le monde aujourd'hui communie sans même s'interroger, comme nous y invite saint Paul, pour savoir s'il est en état de le faire. La raison est simple : la communion est devenue un rite comme un autre qu'on accomplit en rang et deux par deux sans se poser de question. Le sens du péché ne peut venir que de la conscience vive d'une relation avec les exigences brûlantes de Jésus-Christ, or seul le face à face avec l'Amour incarné peut nous en donner l'amorce.
Jésus nous rejoint avec son Corps, mais aussi avec son Cœur et c'est cela qui est en jeu dans l'adoration. Ne la manquons pas, partout où elle existe courrons-y, pour y refaire nos forces, y renouveler nos corps, pour y apprendre à aimer.
*Michel Gitton est recteur de la basilique Saint-Quiriace de Provins.
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