À l’occasion de la parution du motu proprio Spiritus domini, ouvrant de nouvelles fonctions aux femmes dans l’Église (acolytat et lectorat), un manifeste a été lancé sur Internet par Gabrielle Vialla et Constance Prazel, pour évoquer l’importance la vocation féminine spécifique. Il a été signé par plus de 600 femmes.
Quel est le but de ce manifeste ?
Le but de ce manifeste est de faire entendre dans l’espace public, et en particulier évidemment dans les milieux catholiques, une voix différente sur la question de la place et la vocation de la femme dans l’Église. Nous voulons attirer l’attention sur la nécessité d’une prise en compte de la spécificité féminine qui ne soit pas vécue sur le mode de la concurrence avec le masculin. Or, actuellement, c’est le discours dominant, pour ne pas dire exclusif. Et nous sommes convaincues que nous sommes très nombreuses à ne pas nous en satisfaire. Nous avons donc choisi de sortir du silence.
De quel constat partez-vous, quelle inquiétude ?
Notre société aujourd’hui tend à dramatiquement « éclipser le féminin », selon les mots de Gabrielle Vialla, principale rédactrice du Manifeste. Dans l’Église, les femmes n’ont jamais été aussi présentes (catéchisme, animation, conseils paroissiaux…) certes. Mais cette présence ne résout pas tout : si une femme accomplit tel ou tel rôle, y a-t-il quelque chose de spécifiquement « féminin » dans ces engagements ? Le plus souvent, il s’agit juste de constater que, basiquement, c’est une femme qui exécute telle fonction, sans qu’il y ait de signification particulière. Et cela évite de faire le triste constat que ce qui est spécifiquement féminin (le cycle, la grossesse, l’allaitement, ou l’habit religieux avec le voile) est devenu rare en bien des lieux. Or c’est ce féminin-là qui est indispensable, à la compréhension de la richesse de la complémentarité homme-femme dans la famille, comme dans l’Église.
On a l’impression qu’une partie de l’Église désire aujourd’hui « donner une place aux femmes » comme s’il s’agissait de réparer des erreurs passées, de procéder à un rattrapage, de revenir sur des archaïsmes dans le cadre d’une dynamique de progrès. C’est selon nous une grave erreur, parce que la spécificité féminine n’est pas davantage considérée. Elle est au contraire souvent ignorée, voire niée. Cela a des répercussions au-delà de l’homme et de la femme sur la richesse de toute altérité, la mise en valeur de l’être de chacun, comme un don pour le corps entier (cf St Paul 1Co 12). Une atmosphère que l’immense majorité des catholiques subit, sans toujours en comprendre les ressorts.
Pourquoi évoquez-vous « une crise anthropologique plus profonde encore sur la complémentarité de l’homme et de la femme » ?
C’est un fait incontestable : nous nageons aujourd’hui dans une dramatique confusion des genres, une crise qui touche tout ce qui a trait à l’identité sexuelle comme à la fécondité. Le féminin et le masculin sont niés dans leur spécificité, ils sont assimilés à de purs choix, des « identités de genre » culturelles sans enracinement biologique. Le féminin et le masculin étant réduits à n’être que des codes sociaux changeants et mouvants, triomphe dans un féminisme revendicatif, pour inverser la tendance, les codes masculins étant perçus comme dominants et dépassés. Ce féminisme veut prendre une revanche sur les hommes, conquérir les « mêmes » droits, comme si la masculinité était le seul horizon d’épanouissement et de bonheur (ce n’est pas ainsi que les féministes le conçoivent mais cela revient à cela : une femme moderne pense comme un homme, s’habille comme un homme, se bat comme un homme, travaille comme un homme, avec le rythme et les méthodes d’un homme, réclame le même pouvoir qu’un homme…) et au passage les humilier.
La société a donc pris la très mauvaise habitude d’envisager les rapports homme-femme uniquement sur le mode de la compétition et de la concurrence.
Et tout cela se fait sur le fond d’une mentalité contraceptive omniprésente, dont la femme paie le prix fort avec la pilule mais aussi l’avortement. Elle doit, par la contraception, effacer, nier, gommer son cycle et tout ce qu’il induit chez elle de spécifique dans sa physiologie, comme dans son esprit et son âme. Cette crise est très grave, car elle touche ce qu’il y a de plus profond en nous, notre constitution originelle, le projet de Dieu sur la nature humaine, « homme et femme il les créa ». Et elle a déjà largement contaminé les catholiques : combien de femmes catholiques aujourd’hui ont complètement adopté, intériorisé, qu’elles étaient des hommes comme les autres, de manière inconsciente d’ailleurs ?
Pourquoi dites-vous que « la femme est divinement écartée de la hiérarchie ecclésiale pour le bien de l’Église tout entière » ?
Personne ne peut se conférer à lui-même la grâce. Homme comme femme, nous sommes tous des instruments du Christ, et ne devons notre Salut qu’à Lui. Le fait que la femme soit écartée du sacerdoce ministériel, tout en étant égale en dignité à l’homme, est un rappel pour tous les baptisés, y compris les clercs, que la source unique de la grâce est le Christ.
Vous dites que « la mesure de sa vocation est l’union à Dieu » : la femme a-t-elle une manière spécifique de le vivre ?
La vocation de l’union à Dieu s’entend pour tout baptisé. Mais la femme l’incarne évidemment d’une manière spécifique. Traditionnellement, on a par exemple, des adaptations différentes chez les hommes ou les femmes d’une même vocation monastique ou religieuse : une bénédictine n’est pas un bénédictin bis. C’est encore plus vrai pour un autre ordre comme le carmel. Il existe bien une façon d’être « épouse », qui n’est pas un miroir de l’imitation de Jésus-Christ chez l’homme, même si homme ou femme nous sommes tous appelés à la configuration au Christ. Il est vrai que ce point reste encore assez voilé dans l’enseignement magistériel. À la suite de Jean-Paul II dans Familiaris Consortio (32), la réflexion théologique peut certainement saisir et approfondir une conception de la personne et de la sexualité qui tiennent compte des rythmes naturels, des temps de la personne. Il y a là de précieuses réponses aux ruptures anthropologiques promues par les structures de péché de la culture de mort. Dans son ouvrage Recevoir le féminin, Gabrielle Vialla a ouvert quelques pistes de réflexion qui intègrent le cycle féminin, avec la grossesse ou l’allaitement, comme un cadeau anthropologique et un don spirituel, pour la femme mais aussi pour l’homme.
Ce combat féministe au sein de l’Église : par qui est-il porté, qui concerne-t-il encore aujourd’hui ?
Il faut distinguer deux niveaux : il y a des voix autorisées, et il y a un courant plus général. Des porte-paroles auto-proclamées sont présentées dans les médias comme « les » spécialistes de la question de la femme dans l’Église. La plus emblématique est bien sûr la théologienne Anne Soupa, qui assume et revendique ce rôle, et a fait son « coming-out », si l’on peut dire, en revendiquant la succession du cardinal Barbarin à la tête de l’archidiocèse de Lyon. Mais il y en d’autres, qui ont régulièrement des tribunes dans certains organes de presse, qu’ils soient d’ailleurs estampillés catholiques ou non. On pourrait citer par exemple Sylvaine Landrivon qui explique dans La Croix que « depuis des millénaires, ce sont les hommes qui ont le pouvoir, et [qu’]ils n’ont pas envie de le partager avec les femmes », ou Anne-Marie Pelletier, qui ne réclame pas la prêtrise, mais parle toujours de « reconnaissance » pour les femmes, et qui n’hésite pas à accuser l’Église d’avoir derrière elle « une longue tradition défavorable aux femmes », qu’elle qualifie de « scandaleuse » dans un entretien accordé à La Vie. Un collectif de sept femmes « engagées » posait au mois de juillet dernier devant l’église de la Madeleine et bénéficiait d’un article dans Libération pour appuyer leur candidature comme curé, diacre, évêque ou nonce.
Mais derrière ces figures médiatiques, il y a un nombre incalculable de femmes qui ont assimilé et intériorisé le discours victimaire et la croyance, amplement relayée par les médias, que l’Église est fondamentalement machiste… Le risque est grand de se retrouver prisonniè(re) d’une mentalité tristement comptable et cet état d’esprit se nourrit en partie du fait d’une frilosité pour les clercs comme pour les femmes, à proposer un autre modèle. Un approfondissement est nécessaire, sur la place de la femme dans la foi, dans l’évangélisation, dans l’Église en lien avec celle de l’homme… D’où l’idée de ce manifeste.
Pourquoi parlez-vous d’un « privilège marial » ?
La Vierge Marie fut préparée par Dieu dès la conception à la plénitude de la grâce. Par elle – grâce à son oui libre – et en elle – dans son corps, le Verbe s’incarne. Quelques femmes de l’ancienne alliance sont des préfigurations imparfaites de Notre-Dame. Depuis Marie, celles qui le désirent, peuvent recevoir le féminin et la maternité comme une grâce insigne. À la lumière de ce que Dieu accorde à Notre-Dame, la femme qui aime Dieu, obtient tout. Ce « privilège marial » est en quelque sorte décrit par Thérèse de Lisieux avec sa formule : « Dans le cœur de l’Église, je serai l’amour. »
Pourquoi dites-vous que « l’homme contracte une dette vis-à-vis de la maternité spirituelle » et que les femmes exprime leur « gratitude envers le service masculin de l’autel » ?
L’équilibre et la complémentarité entre le masculin et le féminin repose sur la juste compréhension de la vocation et de la mission de chacun. Cette compréhension profonde entraîne la pleine gratitude : c’est la condition pour qu’il n’y ait ni rancœurs, ni surenchère revendicative. Complémentarité, compréhension, gratitude : dans le cadre du mariage, chaque couple peut faire l’expérience de la dynamique positive créée par ces trois piliers. La maternité, spirituelle ou biologique, est au centre de la vocation du féminin, et à cet égard, la dette de l’homme vis-à-vis de la femme n’est pas du domaine du quantifiable. Pourra-t-il jamais « rembourser » le fait qu’elle donne la vie ? De la même manière, le service de l’autel est une spécificité masculine qui doit, chez les femmes, susciter une gratitude. C’est par l’homme qu’est rendu éternellement présent Jésus en son Eucharistie : pourquoi en faire une frustration appelant la conquête militante d’un quelconque droit ? Tout en sachant que la mesure de la gratitude infinie devrait être celle accueillant l’Incarnation de Notre-Seigneur. Homme ou femme, nous pouvons vivre de la gratitude infinie pour l’Incarnation de Notre-Seigneur, par le oui de la Vierge Marie.