Par un communiqué daté du 16 janvier, l'Alliance pour les droits de la Vie annonce la nomination de son nouveau président, Xavier Mirabel. Interrogé avec Tugdual Derville, le délégué général de l'association, il répond aux questions de Frédéric Aimard pour France Catholique à paraître le 24 janvier prochain.
Les sujets de société qui vous mobilisent ne cessent d'occuper le devant de l'actualité : pornographie, bioéthique, euthanasie : quelle est votre analyse de cette actualité ?
Xavier Mirabel : Je crois qu'il faut nous habituer à voir la question de la vie humaine prendre une place centrale dans notre société. C'est une question qui concerne chaque personne de très près. Nous sommes persuadés d'ailleurs qu'il vaut mieux en débattre, même si nous n'obtenons pas satisfaction sur tout, que de laisser se commettre, dans le silence, de très nombreux actes contre la vie.
De toutes les façons, les évolutions techniques et scientifiques ne cessent de provoquer de nouveaux débats éthiques. Lorsque l'actualité jette ainsi des coups de projecteur, tour à tour sur des sujets différents, en fonction des faits divers, des projets législatifs, des prises de parole de certaines personnalités ou groupes de pression, c'est à nous de saisir chaque occasion pour défendre la dignité humaine et la vie du plus petit. C'est à nous également de faire sortir du silence les sujets qui ont tendance à être étouffés...
Tugdual Derville : Au fil des années, nous avons ainsi vu émerger des débats qui paraissaient interdits et je crois que nous y avons contribué : c'est le cas pour l'avortement. Le dossier que vient de publier l'hebdomadaire Marianne sur ce thème n'aurait pas existé il y a seulement quelques années. Ses auteurs, qui n'appartiennent pas vraiment à notre famille de pensée, reconnaissent que 220.000 avortements chaque année, c'est un échec évident pour notre société et que les conséquences de cet échec sont graves. Leur dossier reprend même in extenso - à partir de ce que France Catholique en avait publié - les résultats du sondage que nous avions réalisé avec l'Institut BVA auprès d'un échantillon de femmes...
Autre exemple, la pornographie : même s'il est inachevé, le débat récent dénote une prise de conscience. Au départ, le Président du CSA, Dominique Baudis, mais aussi des personnalités politiques, de Christine Boutin à Ségolène Royal, ont eu le courage de porter ce sujet sur la place publique.
Justement, Xavier Mirabel, vous succédez à Christine Boutin. L'arrivée d'un médecin à la tête de l'association a-t-elle une signification particulière au regard de l'actualité de l'euthanasie ?
Xavier Mirabel : Il est évident qu'en tant que cancérologue, je suis sensible à la menace de l'euthanasie, que ce soit dans la pratique ou dans la loi ; et nous sommes particulièrement vigilants aujourd'hui devant l'accélération du débat médiatique, sur fond de cas particuliers mis en exergue et parfois manipulés... Mais d'une part je me sens, à divers titres, très mobilisé par les autres sujets, car la culture de vie est un tout, et d'autre part, l'engagement de l'Alliance pour les Droits de la Vie contre l'euthanasie ne m'a pas attendu : dès 1995, l'association et sa fondatrice ont participé à une tournée de conférences sur ce thème et à la co-production d'un film de promotion des soins palliatifs et du respect des personnes en fin de vie.
Tugdual Derville : On peut dire que Xavier est déjà, depuis cette date, notre "expert" attitré sur la fin de la vie. Il avait participé à ces colloques ; nous avons écrit ensemble des articles argumentaires ; il est même intervenu en notre nom dans une réunion de coordination internationale en Grande Bretagne. Par son témoignage personnel et sa réflexion, Xavier a participé à la formation des cadres de notre réseau dans ce domaine. Nous essayons ensemble de travailler en amont de la menace législative pour promouvoir une véritable confiance entre soignants et soignés, qui soit fondée naturellement sur l'interdit du meurtre.
Trop de personnes, même proches de nos convictions, croient que l'euthanasie est la solution unique pour éviter la douleur physique ou la souffrance morale en fin de vie, sans voir qu'elle ajoute en réalité une angoisse terrible. L'expérience d'un médecin à nos côtés nous est évidemment très utile pour rétablir la vérité.
Pouvez-vous nous dire l'un et l'autre quelle est l'origine de votre engagement personnel ?
Xavier Mirabel : Pour moi, c'est évidemment mon métier, comme vous l'évoquiez. Chaque patient me rappelle la nécessité de venir en aide à ceux qui souffrent et à les respecter. Et aussi, bien sûr, ma famille... Car la culture de vie, c'est une condition du bonheur de demain pour nos enfants. S'il faut revenir à un point d'origine d'un engagement plus actif, je crois que ce sont les "lois bioéthiques" de 1994, celles-là même qui ont conduit Christine Boutin à fonder l'association. L'année suivante, c'était la publication par Jean-Paul II de l'Evangile de la Vie. J'ai reçu ce texte comme un appel personnel. Il reste la source principale de mobilisation de toute l'association.
C'est à partir de là que je me suis engagé au sein de l'Alliance pour les Droits de la Vie, participant avec Tugdual à des réunions de travail, dans les locaux exigus de l'époque. Notre objectif, à ce moment-là, était de "sortir l'avortement du silence". Nous voulions mobiliser en ce sens des scientifiques... Même si nous n'y sommes pas parvenus de cette façon, le débat sur l'avortement a pu s'ouvrir, de façon inespérée, grâce au témoignage des femmes qui l'avaient subi...
Ensuite, lorsque l'Alliance pour les Droits de la Vie a développé un réseau dans les départements, j'en suis devenu Délégué pour le Nord.
Tugdual Derville : En ce qui me concerne, mon engagement au service de la vie est venu de la rencontre avec des enfants handicapés. J'ai découvert à Lourdes, à l'âge de 20 ans, l'humanité extraordinaire de ces enfants dont tant de personnes croient que leur vie ne vaut pas la peine d'être vécue.
En 1986, j'ai fondé l'Association A Bras Ouverts qui accueille des enfants et jeunes touchés par le handicap, dans l'esprit de l'Arche de Jean Vanier. Encore aujourd'hui cette amitié avec ceux que, trop souvent, notre société rejette sans imaginer tout ce qu'ils lui apportent, reste pour moi un lieu de ressourcement.
Professionnellement cette fois, j'ai aussi travaillé pour l'association "Les petits frères des Pauvres" qui m'a fait rencontrer des personnes âgées, souvent dépendantes, et que j'ai trouvées merveilleuses et dignes du plus grand respect. Je crois vraiment qu'il y a plus qu'une parenté entre ce que Jean Vanier appelle la "spiritualité du pauvre" et la "culture de vie" promue par Jean Paul II...
Dans les débats bioéthiques actuels, on voit que bien des "sages" et des "intelligents" semblent avoir perdu le sens des choses qui se révèlent naturellement aux cœurs simples. J'ajouterai, comme Xavier, que mon engagement pour la vie est soutenu par la vie conjugale et familiale, et vivifié par le ressourcement spirituel sans lequel on se dessécherait très vite.
Xavier Mirabel, vous êtes connu pour votre action au sein du Collectif contre l'Handiphobie. Comment est venu prendre place ce nouvel engagement comme président de l'ADV ?
Xavier Mirabel : Mon engagement au service de la vie, qui était d'abord professionnel, a été confronté à la réalité de ma propre famille avec la naissance d'Anne, porteuse de la trisomie 21. Cet événement, bien entendu douloureux, au lieu de nous faire douter, nous a vraiment renforcés, Marie-Anne et moi, et confortés dans nos convictions. L'engagement au sein du Collectif a été l'un des moyens, comme parents d'un enfant handicapé, de l'exprimer.
En tant que président de l'Alliance pour les Droits de la Vie, je suis heureux de pouvoir agir aujourd'hui de façon plus large en faveur de la culture de vie qui concerne "toute la vie et la vie de tous" selon l'expression de Jean Paul II. Je suis aussi satisfait de pouvoir le faire au sein d'un mouvement déjà bien implanté sur le terrain, dans toute la France.
Pouvez-vous l'un ou l'autre nous dire où en est le développement de l'Alliance ?
Tugdual Derville : Notre équipe nationale est composée de huit permanents. Je l'anime avec Caroline Roux, notre secrétaire générale. Nous avons actuellement environ 2600 "relais pour la vie" qui sont des personnes (ou des familles) engagées à agir ponctuellement lorsque nous les sollicitons. Ils sont répartis sur l'ensemble du territoire. Et je n'oublie pas la confiance des milliers de donateurs fidèles grâce auxquels nous pouvons développer toutes nos actions.
Par ailleurs, nous avons mis en place un réseau sous la responsabilité d'Yves Laurent. Il compte déjà plus de quarante "délégations départementales" (c'est-à-dire un délégué et son équipe agissant au niveau d'un département) capables de relayer de façon plus continue notre action nationale et de prendre des initiatives adaptées au contexte et aux opportunités qu'elles rencontrent.
C'est à partir de ces délégations que se constituent nos "groupes d'action" (nous en comptons aujourd'hui une soixantaine). Ce sont ces groupes d'action qui nous assurent une certaine capacité de mobilisation, comme celle qui nous a permis de diffuser ces dernières années, de la main à la main, 2 millions de dépliants argumentaires : sur l'avortement (4 vérités sur l'IVG), le handicap (échangeons nos regards pour dépasser le handicap), la pornographie (enfance et pornographie : osons dire la vérité !)... Ce sont ces mêmes groupes qui nous permettent de rencontrer, face à face, les élus : 320 conseillers généraux il y a deux ans en faveur de la "prévention de l'IVG", 60 députés récemment pour protéger les enfants de la pornographie à la télévision.
Xavier Mirabel : Je crois que c'est une spécificité de l'Alliance pour les Droits de la Vie que d'aller ainsi à la rencontre des Français, que ce soient les passants dans la rue, dans les gares ou sur les marchés, ou les élus dans leurs bureaux. Pour pouvoir le faire - c'est ce qui m'a attiré dans ce mouvement - nous avons dû remettre en cause nos façons habituelles de communiquer... Et trouver des modalités qui tiennent compte de la façon dont raisonnent et vivent les gens.
Pour moi, le premier "tractage", sur la grand-place de Lille, a été une expérience très forte. Il s'agissait de le faire sur un sujet difficile, voire douloureux (l'avortement), mais d'une façon respectueuse et sans aucune agressivité. Et l'accueil a été très favorable : des femmes ayant subi l'IVG nous ont même remerciés de dire enfin ce que personne n'avait osé leur révéler ! De même, rencontrer les élus fait tomber pas mal d'idées reçues. Ils ne sont pas aussi inaccessibles ou insensibles qu'on a tendance à le dire. Parfois, ceux qu'on imaginerait proches nous tournent le dos et d'autres, qui paraissent aux antipodes de nos convictions, soutiennent nos propositions...
Xavier Mirabel, est-il facile de remplacer Christine Boutin ?
Xavier Mirabel : Je n'ai pas vraiment l'impression, ni l'ambition de remplacer Christine Boutin. Elle demeure notre fondatrice. Ce qu'elle a orienté, l'esprit de vérité et de compassion qu'elle a impulsé, j'espère continuer à y être fidèle. Nous restons attachés à tout son engagement pour la vie. Et nous continuons de saluer son courage lorsqu'elle ose aborder en vérité des sujets qui seraient abandonnés sans sa voix. Aujourd'hui, il est important que l'Alliance pour les Droits de la Vie puisse affirmer son indépendance vis-à-vis du monde politique pour mieux être entendue de tous, sans risquer d'être suspectée d'arrière-pensées partisanes.
Et pour vous, Tugdual Derville, et pour votre équipe, que signifie l'arrivée de Xavier Mirabel comme président ?
Tugdual Derville : C'est une nouvelle étape, une étape de maturation que nous franchissons avec l'arrivée de Xavier. Son nom a été proposé par Christine Boutin et salué unanimement par toute notre équipe et par nos délégués. Comme médecin et père de famille, il a déjà su porter un message d'espérance dont nous avons vraiment besoin aujourd'hui.
Il a une expérience solide de rencontre avec la presse et les responsables politiques. Mais ce n'est pas là l'essentiel. L'essentiel, c'est ce que nous partageons avec lui : la volonté de trouver une façon de porter le message de la vie au plus grand nombre, en ayant conscience que derrière chaque atteinte à la vie, il y a généralement beaucoup de souffrances humaines à écouter et à consoler.
Comment voyez-vous les perspectives d'évolution de l'Alliance pour les Droits de la Vie ?
Xavier Mirabel : Nous devons grandir dans deux directions. La croissance quantitative, géographique notamment : elle est indispensable pour que nos campagnes aient un impact plus grand. Mais aussi l'approfondissement de nos actions : le titre de notre dernière Université d'été à Paray-le-Monial, "Allons à la rencontre !" résume bien cette volonté de ne jamais en rester à des slogans, mais d'incarner notre action comme celle d'un "mouvement pour la vie" au plus près de ce que vivent les gens.
Tugdual Derville : Il y a trois dimensions dans notre action, qui nécessitent d'être équilibrées : un axe politique (porter partout le message du respect de toute vie humaine pour qu'il soit reconnu comme essentiel à l'avenir de notre société), un axe humanitaire (soutenir ceux qui souffrent du fait des atteintes à la vie) et un axe pastoral (annoncer l'Evangile de la Vie au cœur de la nouvelle évangélisation).
Avez-vous le sentiment qu'on peut faire bouger les choses plus facilement avec le gouvernement actuel qu'avec le précédent ?
Xavier Mirabel : J'ai eu l'occasion de rencontrer plusieurs des ministres de l'actuel gouvernement. Visiblement il y a des débats qui le traversent sur nos sujets...
J'ai la conviction, partagée avec toute l'équipe, que nous avons la capacité de peser pour qu'ils aient le courage de prendre certaines positions favorables à la vie. Nous avons aussi les moyens de leur apporter le complément d'information et d'expertise nécessaire pour les éclairer sur les enjeux des débats de société qui nous mobilisent. Mais pour cela, il faut être nombreux, organisés et déterminés. Le tournant culturel en faveur de la vie doit germer des bases de notre société.
©Propos recueillis par Frédéric Aimard pour France catholique, avec son aimable autorisation.
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