Une réflexion originale sur la question de l'indépendance économique des femmes

Source [Limite] Dans un contexte de montée en puissance de l’approche de genre, et en particulier de la budgétisation sensible au genre qui veut que toute politique publique intègre les dimensions d’égalité entre la femme et l’homme, il paraît important de réfléchir à nouveau à l’indépendance économique des femmes. Cette indépendance constitue un enjeu majeur pour permettre à la femme d’être pleinement reconnue comme l’égale de l’homme, peser dans la société, améliorer ses conditions de vie, lutter contre les violences qui peuvent lui être faites, etc…

L’absence d’indépendance économique peut entraîner des maux importants parmi lesquels nous pouvons citer, dans le registre de la sphère domestique, l’impossibilité pour la femme d’avoir un logement et une vie propre sans tutelle masculine, l’impossibilité pour la femme victime de violences au sein de son foyer de se mettre à l’abri à l’extérieur, l’absence de légitimité pour prendre part à l’arbitrage des dépenses du foyer, la nécessité de dépendre d’un référent masculin qui va lui donner de quoi vivre, etc…

Dans le cadre du lien matrimonial (ou autre lien de même nature établi selon la législation locale), l’absence d’indépendance économique de la femme fait également peser des contraintes fortes sur la famille et sur l’homme puisque celui-ci est le seul à rapporter les revenus nécessaires à la vie du foyer ; l’homme se voit donc assigner un rôle générateur de tension importante, particulièrement dans les temps actuels où l’ensemble des pays connaissent une instabilité économique et où nombre de métiers se transforment ou même disparaissent.

Pour assurer cette indépendance économique de la femme, son travail à l’extérieur de la maison apparaît bien souvent comme la seule solution prônée et efficace. Beaucoup pensent que «  la participation pleine et entière des femmes  offre le plus grand potentiel de stimulation de la croissance à long terme ». Or, concentrer l’ensemble des efforts sur l’accès à un emploi rémunéré des femmes entraîne des inconvénients qui exigent de repenser le débat.

Valorisation des emplois rémunérés et non rémunérés

Plus l’accent est mis sur la nécessité d’accéder à un emploi rémunéré comme facteur d’épanouissement de la femme, et moins le travail non rémunéré qu’elle accomplit pourra être reconnu et valorisé. Ceci forme une injonction paradoxale à instruire. Partons du postulat que les heures de travail non rémunérées comprennent :

  • aussi bien les heures de travail effectuées le plus souvent par la femme pour la famille : tâches ménagères, tâches culinaires, éducation des enfants (à temps plein pour les bébés et enfants en bas-âge, puis sur le temps parascolaire pour les plus grands), soins des membres de la famille âgés, malades et/ou dépendants ;
  • que les heures de travail effectuées dans le cadre bénévole, que ce cadre soit formel (participation à une association) ou informel (par exemple services rendus à ses voisins âgés, malades, invalides, etc…).

Aujourd’hui l’accent excessif porté sur le travail effectué à l’extérieur du foyer et rémunéré par un tiers entraîne une dévalorisation du travail non rémunéré, alors même que parfois celui-ci sera identique et de même nature que celui effectué à l’extérieur : garde d’enfants, aide-soignant, ménage, cuisine, service en salle, travail auprès des personnes âgées ou dépendantes, formation, ou même participation à des groupes de lobbying, de réflexion etc… Ce travail rémunéré pourra en outre être effectué dans des conditions défavorables : faible rémunération, stress, harcèlement, absence de conditions d’hygiène et sécurité adéquates, troubles musculo-squelettiques dus à la répétition des mêmes gestes tout au long de la journée, temps de transport pour se rendre au travail très importants, etc…

L’accent excessif porté sur le travail effectué à l’extérieur du foyer et rémunéré par un tiers entraîne une dévalorisation du travail non rémunéré, alors même que parfois celui-ci sera identique et de même nature que celui effectué à l’extérieur.

Par ailleurs, l’opinion courante majoritaire veut imposer l’idée que l’ensemble des femmes souhaitent travailler à l’extérieur de chez elles. Or, ce n’est pas toujours le cas. Notamment lorsqu’elles ont des enfants, un certain nombre de femmes préfèreraient s’en occuper elles-mêmes plutôt que les confier à des tiers. Une approche sexo-spécifique équilibrée devrait prendre en compte ce souhait et l’intégrer dans des politiques permettant aux femmes de choisir réellement la vie qu’elles souhaitent avoir pour elles et leur famille.

Enfin, lorsque les heures de travail dans le cadre domestique ne sont pas effectuées gratuitement par un membre de la famille, elles doivent être monétisées. Cette monétisation ne va pas nécessairement entraîner un meilleur bien-être de la famille et plus largement de la société :

  • élargissement des heures de garde des enfants à l’extérieur de leur famille, entraînant une plus grande fatigue et une plus grande tension ;
  • recul de la participation des parents à l’éducation de leurs enfants, ce qui entraîne une dilution du lien familial ;
  • dégradation de la qualité de l’alimentation quotidienne, due au recours nécessaire à des préparations cuisinées industrielles, et détérioration de l’équilibre du bol alimentaire ayant pour conséquence une augmentation importante des troubles de la santé publique (obésité, hypertension, diabète etc…) ;
  • souvent qualité moindre des soins (care) apportés aux personnes âgées ou dépendantes (nombre de personnels insuffisant par rapport au nombre de personnes prises en charge, impossibilité pour la famille de visiter ces personnes en raison de leur éloignement ou de leur charge de travail, manque de moyens pour l’organisation d’activités récréatives ou stimulantes, etc…) ;
  • diminution du nombre de personnes bénévoles alors que le bénévolat crée une qualité de lien spécifique, lié à la gratuité de l’engagement, cette qualité n’étant pas comparable à celle développée dans le cadre d’une approche rémunérée ; corrélativement, accroissement de la solitude totale, les personnes seules n’étant en général pas visités par leurs proches voisins ;
  • charge financière très importante pour financer ces heures de travail alors même que les rémunérations versées sont faibles.

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