LETTRE D’AMERIQUE | Suite de notre chronique sur la présidentielle de 2016. Parmi les surprises, la percée du candidat à l’investiture démocrate Bernie Sanders qui s’attaque au lobby de la finance. A-t-il les moyens de son ambition ?
Pour comprendre la percée des candidats non-conformistes comme Bernie Sanders à la présidentielle américaine, il faut appréhender l’évolution de l’espace politique et social dans son ensemble.
Le dégonflement de la classe moyenne
L’orientation des capitaux en Asie, la désindustrialisation massive et le progrès des inégalités ont développé des tensions intérieures fortes. Les statistiques du chômage ne reflètent que partiellement la réalité : près de 94 millions d’Américains ne sont ni chômeurs, ni employés, et ne participent pas à la main d’œuvre. Ils représentent pourtant 37 % de la population en âge de travailler, soit une même proportion qu’en 1977, avant l’entrée massive des femmes sur le marché de l’emploi, et clairement, tous ne sont clairement pas étudiants ou femme au foyer. Par comparaison, en France, ce chiffre est de 28 %, et de 20 % en Allemagne. En réalité, l’immense classe moyenne qui vivait bien, adhérait globalement au système et votait pour la continuité et le juste milieu est en voie de dégonflement. Un point d’inflexion semble avoir été atteint.
Une classe politique qui suscite la méfiance
Une masse importante d’Américains a la conviction que la classe politique dans son ensemble (Républicains et Démocrates) a été achetée, purement et simplement, par les grands lobbies, et que la démocratie représentative est désormais complètement truquée. L’ancien Président Jimmy Carter a eu récemment des déclarations allant dans ce sens, illustrant le sentiment d’une partie importante de l’électorat américain.
L’intérêt pour les candidats hors-système
Les Américains se tournent de plus en plus vers des candidats hors-système, constatant l’immobilisme et l’aggravation d’un système représentatif qui ne le représente plus, les représentants élus ne semblant plus être là que pour assurer à leurs financeurs un bon retour sur investissement en utilisant leur pouvoir d’influence.
Dans le texte ci-dessous, le candidat à l’investiture démocrate Bernie Sanders promet de brider le lobby de la finance, probablement le plus puissant de tous aux États-Unis, en le remettant au service du développement économique et social du pays.
Le projet de Sanders
Depuis l’annonce de sa candidature il y a moins de trois mois, Sanders est passé de 3% à 25% des intentions de votes aux primaires. Dans le même temps, Clinton est passée de 67% à 49%. Les deux candidats sont désormais au coude à coude dans les intentions de vote de la primaire du New Hampshire, qui a si souvent fonctionné comme un électrochoc changeant du tout au tout la donne électorale. Une telle évolution, même si elle est encore loin de changer la mise, est pourtant importante à noter.
Quelle est la sincérité de Sanders ? La question se pose forcément. Supposons Bernie Sanders sincère. A-t-il les moyens de faire ce qu’il promet ? Pour en juger, voici ma traduction d’une tribune en forme d’appel aux électeurs de sa part publiée le 19 août 2015.
Bernie Sanders : « La rapacité de Wall-Street »
Ami, Wall-Street, par ses manipulations dangereuses de notre économie, a aidé le 1% le plus riche de la société à capter la majeure partie de la nouvelle richesse créée. Nous en sommes ainsi arrivés au niveau d’inégalité de revenu et de patrimoine le plus élevé parmi tous les grands pays de la Terre. Aujourd’hui, nous vivons dans le pays le plus riche de toute l’histoire du monde, mais cela ne signifie pas grand’chose, parce que le gros de cette richesse est contrôlé par une petite poignée d’individus. L’inégalité de patrimoine et de revenu connaît une croissance explosive. Tout cela est non seulement grotesque et immoral. Ce n’est pas économiquement durable. La réalité, c’est que dans les quarante dernières années, Wall-Street et la classe de milliardaires ont truqué les règles de manière à pouvoir redistribuer la fortune et le revenu aux plus riches et plus puissants de ce pays. Le résultat, c’est que Wall-Street existe comme une île tournée sur elle-même, qui ne bénéficie qu’aux extrêmement riches, tout en se servant de notre argent pour s’enrichir ainsi. Tout cela sera terminé quand je serai président. Dites-moi que c’est ce bien là que j’ai à faire, et pour cela signez, afin d’endosser mon plan pour attaquer Wall-Street. Taxer Wall-Street pour financer la gratuité de l’enseignement supérieur Il y a trop de sociétés à Wall-Street qui pratiquent le trading à grande vitesse, pour essayer de faire de l’argent rapide. Les banques peuvent se servir de l’informatique pour effectuer des milliers d’achats en bourse à la seconde [et revendre une minuscule fraction de seconde plus tard], en utilisant des algorithmes sophistiqués. Wall-Street peut bien continuer à opérer de la sorte, si cela lui fait plaisir, mais elle devra payer une taxe sur chacune de ces opérations. Et le revenu de cette taxe serait suffisant pour financer mon plan de gratuité de l’enseignement universitaire public. Découper en morceaux les banques réputées « trop grosses pour pouvoir faire faillite » (“Too Big to Fail”). Au milieu de toute la grotesque inégalité dans notre pays, siège une poignée d’institutions financières dont la taille est si importante, que la faillite de la moindre d’entre elles pourrait faire courir des risques catastrophiques à des millions d’Américains et mettre en crise l’économie. La plupart de ces plus grandes institutions financières, que nous avons sauvées de la faillite [en 2008], parce qu’elles étaient « trop grosses pour qu’il fût acceptable de les voir faire faillite », sont devenues encore plus grosses qu’elles n’étaient alors. Leurs actifs équivalent à 60% du montant de notre produit intérieur brut, elles accordent 35% des prêts bancaires et administrent 65% des cartes de crédit. Ma vision, c’est que si on est « trop gros pour faire faillite », on est tout simplement trop gros pour exister. Un point c’est tout. Donc, en tant que président, je démembrerai ces grandes banques et je restaurerai un peu de bon sens dans notre système bancaire. Mettre fin à l’activité bancaire ludique. Brider l’imprudence et l’impatience de s’enrichir Faire de la banque doit être ennuyeux [et non pas amusant comme un jeu de casino]. Ce ne doit pas consister à faire le maximum de profit possible en jouant sur des produits financiers ésotériques. Le but de l’activité bancaire doit être tout simplement de fournir des prêts abordables aux entreprises petites et moyennes, ainsi qu’aux Américains désireux d’acquérir une maison ou une voiture. Ce n’est évidemment pas ce dont s’occupent ces énormes institutions financières. Au contraire, elles sont en train de créer une économie qui n’est ni durable, ni défendable, que ce soit d’un point de vue moral, économique ou politique. C’est là une économie complètement faussée, qui exige des changements fondamentaux. Nous avons besoin de banques qui investissent dans une économie productive et créatrice d’emplois. Nous n’avons pas besoin d’encore plus de spéculation mettant en péril l’économie américaine. Mettre fin au trucage du système fiscal Notre système fiscal est sauvagement inique. Entièrement truqué pour favoriser les très riches. Les plus grosses sociétés, dont les profits se comptent en milliards « planquent » leur argent dans des paradis fiscaux et ne payent rien à l’Etat fédéral. Les gestionnaires des hedge funds, qui sont milliardaires, ont un taux d’imposition inférieur à celui des infirmières et des professeurs. Pour inverser ce mouvement de transfert massif de richesse entre la classe moyenne et les très riches, auquel nous avons assisté ces dernières années, il nous faut une véritable réforme fiscale qui oblige les sociétés riches et profitables à payer leur juste part d’impôts [tout ceci s’applique mot pour mot aux entreprises du CAC 40]. Il est fiscalement irresponsable que le Trésor perde autour de 100 milliards de dollars annuellement du fait que les sociétés et les riches « planquent » leur argent aux Îles Caïman, aux Bermudes et autres paradis fiscaux. Il nous faut un système fiscal équitable et de progrès. Les enfants dans ce pays ne doivent pas avoir faim alors que des sociétés profitables et les plus riches se soustraient à leurs responsabilités fiscales. Ceci est faisable La question de l’inégalité de revenu et de patrimoine est la grande question morale de notre temps ; c’est la grande question économique de notre temps ; c’est la grande question politique de notre temps. Nous faisons face à une classe de milliardaires qui a acheté notre système politique pour s’enrichir, et qui maintenant se trouve obligée de faire face à l’écroulement de son oligarchie. Sachez le bien : quand les gens se rassemblent et s’organisent, ils peuvent battre n’importe quelle masse d’argent répandue à pleine main par les frètes Koch, les directeurs de Goldman-Sachs, ou n’importe qui d’autre. Notre révolution politique est en marche et quand elle aura pris toute sa force, nous ne gagnerons pas seulement contre Wall-Street. Nous gagnerons la Maison Blanche. Ajoutez ici votre nom pour endosser mon plan en vue d’attaquer Wall-Street et la classe des milliardaires. Nous pouvons y arriver, Ami. Merci d’être debout à nos côtés. En solidarité.
Bernie Sanders |
Article précédent :
L'establishment déjà secoué par la campagne présidentielle
Pour en savoir plus :
http://www.henrihude.fr/approfondir/theme1/404-lettre-des-etats-unis-nd102-brider-wall-street-pour-de-bon
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