Une décision politique est le résultat d'une dose d'affrontements (les rapports de force) et d'une dose de consensus. Lorsque le premier l'emporte sur le second, c'est – selon l'expression du général de Gaulle en mai 1968 – la chienlit.
M. Raffarin a cherché à l'éviter en annonçant dès le début de son mandat que la réforme des retraites était sa priorité et qu'il engagerait la responsabilité de son gouvernement sur cette question. Cet effet d'annonce a eu un effet positif : dans leur grande majorité, les Français sont persuadés que la réforme était inévitable et urgente.
Deuxième étape : tirant les leçons de l'expérience malheureuse de M. Juppé, M. Raffarin promet de négocier. Au cours des dernières semaines ont lieu vingt et une réunions de travail entre M. Fillon et les organisations syndicales. Deuxième victoire : la CFDT se rallie au projet, quelques concessions sont faites au secteur public par rapport à l'avant-projet gouvernemental.
Pourquoi donc toutes ces grèves (qui coûtent cher à l'économie, ne l'oublions pas) et ces mécontentements ? Parce qu'on a commis des erreurs et pratiqué des amalgames.
L'erreur du gouvernement est de confondre vitesse et précipitation. En voulant aller trop vite " en réforme ", le gouvernement ouvre plusieurs chantiers à la fois : retraites, décentralisation des personnels ATOS de l'Éducation nationale et des transports en Ile-de-France, privatisation des services publics. Ceci aboutit à jeter dans la rue quantité de personnes aux motivations très différentes mais qui font masse.
D'autre part, le temps de la concertation n'a sans doute pas été suffisant pour permettre au gouvernement de déceler les véritables aspirations des Français en matière de durée de travail. Partant de l'évidence des chiffres, sachant qu'au sein des pays riches, les Français sont ceux qui entrent le plus tard dans la vie active, en sortent le plus tôt et bénéficient de la durée hebdomadaire de travail la plus courte, le gouvernement pensait, assez logiquement, qu'il pouvait aligner la durée des cotisations sûr l'espérance de vie. Las ! la révolution des 35 heures a sacralisé les loisirs ; la pénibilité accrue de certains métiers, due à un nouveau taylorisme imposé par l'ordinateur et plus éprouvant nerveusement que physiquement, incite à vouloir vivre une autre vie après celle du travail, et cela le plus tôt possible ; quant aux mentalités, elles sont formatées par les chantres du post-modernisme qui prônent et annoncent une société sans travail, nouvel avatar du paradis terrestre et de la société sans classes.
L'erreur des syndicats – de gauche et d'extrême gauche - est de croire que " c'est la rue qui gouverne ". Au nom de la démocratie qui, si je ne m'abuse, est parlementaire, ils combattent la démocratie et catalysent bon nombre de mécontentements et de peurs en pratiquant l'amalgame : retraites, réforme de l'État, libéralisation des services publics, réduction du nombre de fonctionnaires (imprudemment annoncée par M. Raffarin), déficit de la Sécurité sociale, déficits publics, chômage, décentralisation... tout est bon pour revendiquer et crier au loup.
Significative, à cet égard, est la participation aux mouvements de grèves des personnels de services publics dont les régimes spéciaux (et avantageux) de retraite ne sont pas en cause pour le moment : la grève, comme la guerre, devient préventive ! " Quand 20 millions de Français seront passés à 40 annuités, il ne faut pas croire que 40 000 salariés de la RATP pourront passer à côté bien longtemps, on sera pointés du doigt, on nous jettera des pierres ", déclare un délégué CGT.
D'autre part, proposer un référendum (J.-L. Préel, D. Cohen) relève de la démagogie pure : les variables d'ajustement que l'on peut utiliser pour financer l'avenir des retraites sont tellement nombreuses et les hypothèses sur lesquelles sont bâtis les scénarios tellement aléatoires qu'un référendum n'a pas de sens. Dans une démocratie digne de ce nom, il faut accepter le verdict du peuple et, sauf exception prévue par la constitution, laisser les représentants du peuple faire leur travail, le rôle des syndicats étant de défendre les intérêts bien compris des salariés des branches qu'ils représentent et non de faire sauter le gouvernement.
Visiblement une grande confusion règne dans les esprits, la France crie sa peur. Frileuse, elle ne fait plus d'enfants et refoule l'immigré. Elle entre dans le XXIe siècle de la mondialisation à reculons, crispée sur une somme d'avantages acquis que la croissance des Trente glorieuses avait permis. Les compromis institutionnels à trouver ne sont plus du tout les mêmes aujourd'hui, certains socialistes l'ont compris (Rocard, Attali, Delors). Mais, pour eux il est trop tard, leur projet alternatif officiel de réforme est disqualifié aussitôt qu'apparu : il devait être financé par des hausses de cotisations et d'impôts et la création d'un impôt nouveau (après les dix-neuf autres créés entre 1997 et 2002).
C'est au gouvernement Raffarin qu'incombe la lourde tâche de faire entrer la France dans un nouveau monde, une nouvelle ère, ouverte, compétitive, libérale (au sens noble de liberté d'entreprendre). Qu'il se souvienne, au moment du débat à l'Assemblée nationale, du conseil du bon La Fontaine : " Est bien fou du cerveau qui prétend contenter tout le monde et son père " !
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