Depuis presque un an, l'Amérique a vu naître une vague de protestation sans précédent de la part de citoyens qui dénoncent le big government mis en place par l'administration Obama. Le mouvement, baptisé Tea Party, est en passe de devenir un acteur majeur de la vie politique outre-Atlantique. Chaque mois, des marches géantes sont organisées dans les capitales des États et dans les grandes villes. Le mouvement ressemble à la naissance d'une contre-culture : cette vague de fond a-t-elle du fond ?
Ces manifestations sont relayées sur les blogs, sur Twitter ou sur Facebook. Grover Norquist, président d'Americans for Tax Reform, estime qu'au moins 268.000 personnes ont participé à plus de 200 marches dans les villes. Et la révolte ne vise pas seulement les hausses d'impôts. Elle touche la réforme de l'assurance maladie, le plan anti-réchauffement d'Obama, l'explosion de la dette nationale et bien sûr, le plan de relance de 787 milliards de dollars. Bref, c'est le renforcement des pouvoirs du gouvernement central qui provoque la colère des Américains, conservateurs et centristes confondus.
Pourtant il y a un an, personne n'aurait imaginé un retournement de l'opinion américaine aussi rapide et aussi massif. Rétrospectivement, l'élection d'Obama apparaît moins portée par le désir de réformes que par le rejet de l'ère Bush autant que par la faible prestation du candidat républicain. Il faut dire aussi qu'Obama a dépensé quatre fois plus d'argent pour sa campagne publicitaire que McCain.
David Brooks, l'auteur de Bobos in Paradise (2000) est aussi chroniqueur au New York Times. Dans un article du 5 janvier 2010, il décrit très bien ce retournement de l'opinion publique américaine depuis un an contre les élites au pouvoir. J'en traduis librement un passage :
Dans presque toutes les sphères de l'opinion publique, les Américains se détournent de l'administration Obama, plutôt que se tourner vers elle. Un sondage Ipsos/McClatchy a demandé aux électeurs quel est le parti le mieux à même de traiter une gamme de 13 questions. Au cours de la première année de l'administration Obama, les républicains ont gagné du terrain sur les 13 points. L'opinion publique n'a pas seulement glissé de la gauche vers la droite. Chacune des opinions associées à l'élite politique au pouvoir est devenue plus impopulaire au cours de l'année écoulée. L'élite au pouvoir croit au réchauffement climatique, le scepticisme de l'opinion publique envers le réchauffement climatique est en hausse. L'élite au pouvoir soutient le droit à l'avortement, l'opinion publique s'y oppose désormais. L'élite au pouvoir veut contrôler les armes à feu, l'opposition au contrôle des armes à feu monte. La même chose vaut en matière de politique extérieure. L'élite politique au pouvoir est internationaliste, du coup le sentiment isolationniste atteint maintenant un niveau record, selon une étude du Pew Research Center. L'élite politique au pouvoir croit en l'action multilatérale, le nombre d'Américains qui croient que nous devrions "suivre notre propre voie" a fortement augmenté.
En veut-on une preuve ? Le sondage Rasmussen du 22 janvier, montre que 58% des Américains sont opposés au plan santé de Barack Obama contre 40% qui lui sont favorables. Par ailleurs, 61% des électeurs souhaitent que le Congrès abandonne la réforme du système de santé pour se concentrer sur l'économie et la création d'emplois. Seulement 30% pensent le contraire. 54% des Américains désapprouvent l'action de Barack Obama contre 45% qui l'approuvent.
La stratégie de la calomnie
La stratégie des démocrates consiste à faire croire que les opposants à Obama ne sont pas instruits, qu'ils sont sexistes, racistes, homophobes, hostiles à la science et fanatiques religieux. Cette stratégie de la calomnie n'est pas nouvelle, elle a toujours été celle de la presse de gauche contre la droite depuis le maccarthysme. À l'époque la presse de gauche faisait passer MacCarthy pour un affabulateur et un persécuteur.
Aujourd'hui, cette stratégie de pilonnage ne semble plus faire mouche. Sarah Palin, depuis sa démission au poste de gouverneur de l'Alaska et le lancement de son livre Going Rogue ( Virer rebelle ) est créditée d'une côte de popularité impressionnante. Pourtant, lors de la campagne présidentielle, elle avait été traînée dans la boue par cette même presse bobo. Cette stratégie a également échoué dans le Massachussetts, État pourtant le plus à gauche de tous les États américains puisqu'un républicain n'y avait pas été élu depuis 1953. La victoire de Scott Brown, au poste de Ted Kennedy est un véritable coup de tonnerre dans la bien-pensance. En fait l'opinion publique est assez instruite pour savoir que les programmes d'Obama et de Pelosi, vont transformer l'Amérique en une civilisation en déclin qui n'est plus maître de son destin. Elle est aussi assez instruite pour exercer son droit de s'opposer à tout ce qui menace gravement son mode de vie.
C'est dans ce contexte de révolte civile que le Tea Party Movement s'est formé en février 2009, après le vote du plan de relance. Le nom de ce mouvement est une référence au Boston Tea Party qui, en 1773, fut l'un des événements symboliques de la Révolution américaine. Il s'agissait d'un acte de révolte contre les taxes imposées par le royaume britannique à ses colonies sans que ces dernières soient représentées au parlement de Westminster.
Retour aux valeurs traditionnelles
Pourtant, les revendications des militants de ce grassroots movement ne sont pas uniquement fiscales. Le mouvement est basé sur un retour aux valeurs américaines traditionnelles d'un gouvernement limité et de la garantie des libertés individuelles, principes qui ont fait des États-Unis l'un des plus grands pays dans l'histoire de la civilisation.
Les porte-parole informels du mouvement sont des commentateurs politiques conservateurs ou des animateurs de talk-show comme Glenn Beck ou Sean Hannity, de Fox News. Du côté des hommes politiques, Marco Rubio, catholique, ancien président de la chambre des représentants de Floride et Gary Johnson, ancien gouverneur de New Mexico, sont des figures très populaires dans le mouvement. Mais ni Johnson, ni Rubio n'ont la stature nationale de Sarah Palin, en passe de devenir le leader incontesté du mouvement. En effet, du 4 au 6 février se tiendra à Nashville la première convention nationale. Et c'est elle qui fera le discours d'ouverture.
Depuis, février 2009, le mouvement n'a cessé de prendre de l'ampleur. Une seconde journée de mobilisation a eu lieu dans tout le pays, le 15 avril, jour de la date limite d'envoi de la déclaration d'impôt. Ensuite, elles se sont multipliées tous les mois. Le 12 septembre dernier, ils étaient 50.000 citoyens à marcher vers le Capitole dans les rues de Washington.
En France, Libération, dans un article du 20 janvier, parle de montée en puissance d'une nouvelle droite populiste . Une façon de stigmatiser le mouvement, le faisant passer pour un rassemblement de citoyens de seconde zone, incultes et intolérants. Si on entend par populisme une politique par laquelle on flatte les masses et on exploite les sentiments les plus réactionnaires, alors le populisme se confond avec une forme de démagogie vulgaire. Et c'est précisément ce que Libération tente de faire croire au sujet des Tea Parties. Mais il en va tout autrement si on entend par populisme la définition qu'en donne le Petit Robert : discours politique qui s'adresse aux classes populaires, fondé sur la critique du système et de ses représentants, des élites . C'est cette définition qui s'applique très précisément au Tea Party movement. Et c'est en ce sens que le populisme aux USA n'est pas une étiquette infamante mais l'expression même de la vitalité démocratique de ce pays, toujours soucieux de combattre les dérives totalitaires du pouvoir.
Selon un sondage NBC/Wall Street Journal, 41 % pour cent des Américains ont une opinion positive du mouvement. Seulement 35 % des Américains ont une opinion favorable des démocrates et 28 % seulement ont une opinion positive du parti républicain. On le voit, les Américains rejettent les grands partis traditionnels et leurs politiciens jugés corrompus ou trop faibles. Dans ce contexte, le Tea Party pourrait bien devenir le premier parti américain, un parti indépendant qui pourrait présenter ses propres candidats aux primaires pour 2012.
Grover Norquist, quant à lui, suggère aux républicains au Congrès de s'inspirer de Newt Gingrich, ancien House Speaker dans les années 90. Ce dernier avait permis aux républicains de remporter les élections de mi-mandat de 1994 avant de faire adopter des vraies mesures conservatrices durant les deux dernières années de la présidence de Bill Clinton.
* Professeur de philosophie, http://nicomaque.blogspot.com
Pour en savoir plus :
http://www.nationalteapartyconvention.com
http://www.teapartynation.com
http://www.teapartypatriots.org
http://taxdayteaparty.com
http://912dc.org
http://teapartypatriots.ning.com
http://libertyfirstpac.com/main/candidates
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