La 1e session annuelle de la 11e Assemblée nationale populaire venait de s'achever à Pékin, que des manifestations violentes, des émeutes peut-être, éclataient au Tibet. Que penser de tels événements ? La prudence s'impose, tant les informations sont contradictoires.
L'agence Xinhua multiplie les dépêches : au-delà des propos rassurants, elles traduisent une nervosité certaine.
Les tensions sociales locales, en Chine, sont phénomènes courant : plus de 80 000 manifestations, surtout rurales, en 2006, parfois très violentes à travers tout le pays ; le pouvoir sait devoir les neutraliser, afin de les contenir : la nature impulsive des Chinois mécontents est prodigieusement inflammable. L'Occident l'ignore ou s'en moque ; n'en va pas de même des troubles qui peuvent avoir lieu au Tibet, au Qinhai musulman ou entre les rivages du détroit de Taiwan.
La Chine officielle sait donc que l'Occident bien pensant (qui ne croit plus ni à Dieu ni à Diable) soutient sans condition, voire sans examen, la XIVe réincarnation d'Avalokiteshvara, le bodhisattva de la Compassion, ce très brillant communiquant qu'est l'actuel Dalaï-Lama. Américains et Européens politiquement corrects voient en lui le seul souverain légitime de l'immense région tibétaine dont ils ignorent l'histoire comme le petit nombre de ses habitants, se figurant, pour beaucoup d'entre eux, que ses rapports avec la Chine dont ils ignorent la nature ont commencé en 1950, quand l'Armée populaire de libération qui venait de donner le pouvoir au Parti communiste chinois, a envahi le pacifique voisin tibétain. C'est là un regard occidental qu'aucun Chinois ne partage, sauf à se comporter en oiseau qui salit son nid , je veux dire : en Chinois qui médit de son pays !
Face au Dalaï-Lama, Qiangba Puncog , un collabo ?
Que dit Xinhua, le 14 mars quand l'affaire éclate ? 300 incendies provoqués par les émeutiers auraient visé maisons résidentielles et magasins , biens principalement de Han (92% de la population de la Chine), désormais majoritaires au Xizang – nom chinois du Tibet dont l'idéogramme évoque pour l'œil averti des bouddhistes occidentaux . Les émeutes de Lhassa ont causé d'importants dégâts et perturbé l'ordre civil : si magasins et véhicules incendiés sont chiffrés (respectivement 214 et 56), les pertes en vies humaines ne le sont pas. Il est précisé que les forces de l'ordre n'ont pas fait usage d'armes destructrices durant le processus de réduction de l'incident : comprenons qu'elles n'auraient usé ni de canons ni de char.
China Daily annonce le même jour 10 morts et 12 blessés graves . Le gouvernement régional est en mesure d'assurer la sécurité ; elle le sera en dépit des menées des activistes sécessionnistes . Les journaux occidentaux qui se réfèrent aux propos venus de Dar-El-Salaam où le Dalaï-Lama et une dizaine de milliers de ses disciples tibétains demeurent en exil parlent de chars, de canons, d'extrêmes violences, d'une centaine de morts. Description absurde des émeutes de Lhassa par le Dalaï-Lama , dit Xinhua. Tensing Gyatso n'est pas sur place, écoutez les témoins responsables ! Qiangba Puncog, président du gouvernement de la région autonome du Tibet a qualifié d'"absurde" l'évocation des émeutes de Lhassa par la clique du Dalaï-Lama, ainsi que certains médias occidentaux qui s'en sont faits l'écho. Ils confondent réalités et allégations quand ils qualifient les émeutes de "manifestations pacifiques" et calomnient les efforts des fonctionnaires de police en charge du maintien de l'ordre, les qualifiant de "répressions de mouvement pacifiques" . Qiangba Puncog, comme son nom l'indique est tibétain. Combien d'Occidentaux pour voir en lui un collabo ?
Le Figaro du 17 mars 2008 annonce en une : La rébellion au Tibet s'étend , et cite les provinces du Gansu et du Sichuan où se trouvent de nombreuses minorités tibétaines. Il consacre à l'événement deux pages intérieures avec ces titres : La révolte des lamas tibétains s'étend en Chine et Le Dalaï-Lama dénonce un "génocide culturel" . Habile, ce dernier appareillement verbal, destiné à l'Occident ! Deux autres articles dont le ton moralisateur ne cache pas l' orthodoxie de leur auteur, vouent aux gémonies le régime de Pékin qui, dit l'un, en bonne "démocratie populaire", comble de l'ignominie linguistique, [...] vient de proclamer (sic) la "guerre populaire" pour contrer la révolte du Tibet , tandis que l'autre décèle dans la nomenklatura communiste chinoise une permanence dans ce goût pour l'hégémonie territoriale, quel qu'en soit le prix à payer en termes de défiance à l'extérieur .
Il y a de nombreux précédents à cette attitude d'indifférence affichée aux réactions de l'étranger, la face le commande ! Qianlong, à la fin du XVIIIe siècle, use de formules tirées du Rituel des Zhou, codifié au Ier siècle avant notre ère ! pour signifier au roi d'Angleterre que s'il est sensible à sa déférence, il ne voit pas quel avantage tirer des propositions que lui fait son envoyé. Plus concret, plus près de nous, en 1989, face à la tension montante que créent les manifestations étudiantes, Deng Xiaoping prononce un discours qui est une leçon de toujours. Nous ne devons redouter ni opprobre ni mauvaise réputation ni réactions des étrangers. [...] Il nous faut vite manier le couteau aiguisé pour ôter la mauvaise herbe, si nous voulons éviter l'extension de l'insurrection.
Impossible de comprendre la Chine, sans se référer à deux millénaires d'histoire. N'en déplaise à nos observateurs qui voient en général naître le monde dans le courant du XXe siècle, la Chine a une formidable mémoire. Si le bel esprit qui dénonce dans la nomenklatura communiste chinoise une permanence dans ce goût pour l'hégémonie territoriale , la condamne (cela va sans dire), il fait un petit effort de référence historique et remonte aux empereurs gengiskhanides, ou Yuan (1279-1368), pour évoquer la première Grande Chine qui comprît Tibet, Mongolie et Xinjiang, mais, loin d'en tirer une conséquence politique, il se contente de considérer l'indifférence, sinon le mépris, que les Han des Dix-Huit Provinces – Chine sise à l'intérieur de la Muraille – nourrissent pour les barbares des marches hors la Muraille, et entend imputer par là aux seuls dirigeants du PCC l'obsession de l'intégrité territoriale.
En 1793, à l'Anglais qui lui demande un îlot où installer ses comptoirs, Qianlong répond : Qu'il s'agisse d'une île ou d'une petite anse de mer, tout a été repéré et dépend d'un gouverneur. Cette requête ne répond vraiment pas aux coutumes de cet Empire. Pas question de céder un pouce de la Chine à une autorité étrangère. La violence seule permettra aux Anglais, cinquante ans plus tard, d'obtenir satisfaction, ce sera Hongkong, enlevée en 1842, aux termes du traité inégal de Nankin.
La princesse chinoise Wengchen apporte le bouddhisme
Un bref rappel historique des relations entre Chinois et Tibétains s'impose, tant il est dans la démarche chinoise, essentiellement empirique, de s'appuyer sur les précédents, remontassent-ils très loin.
Un premier regard nous mène avant même le début de l'ère chrétienne, quand les Tibétains, en bandits des grands chemins issus de principautés rivales, coupaient régulièrement la route de la Soie, lançaient leurs cavaliers vers l'Est et la Chine (Gansu, Shenxi) et y opéraient des razzias meurtrières. Les empereurs Han (IIe siècle avant J.-C.– IIIe siècles après) tantôt répondirent par la force, quand ils en avaient les moyens militaires, tantôt achetèrent une paix incertaine. La longue période de troubles qui s'étend de la chute des Han (220) à l'avènement des Sui (589) laisse les cavaliers tibétains maîtres de l'Occident chinois.
Au VIIe siècle, Taizong des Tang (une des dix plus grandes figures impériales de toute l'histoire chinoise) donne au roi Songtsen Gampo, l'unificateur du royaume tibétain et l'initiateur de son écriture, sa fille Wengchen, laquelle apporte à Lhassa la soie et le bouddhisme, alors en pleine efflorescence, et fonde le monastère du Jokhang, cœur de ce qui deviendra, à partir du bouddhisme fo et sous l'influence du chamanisme originel du pays, le bouddhisme lamaïste. Accord sans lendemain. On verra, au siècle suivant, les Tibétains ravager à nouveau les provinces occidentales de l'Empire et, bénéficiant de la guerre civile qu'il connaît à la fin du règne de Xuanzong (712-754), prendre Chang'an, la capitale des Tang, en 763, avant de monnayer très cher leur départ au Tang qu'ils ont installé. S'ensuit une cascade de conflits, de coups de main qui prend fin en 821. Est alors signé un traité qui, fixant la frontière entre les territoires chinois et tibétain, assure quelques décennies de calme relatif, avant que la Chine, en 907, avec la chute des Tang, ne sombre dans une nouvelle période de déchirements internes (Cinq Dynasties et Dix Royaumes, 907-960) qui ne doivent rien aux Tibétains.
Faisons un saut de quelques siècles, par-dessus les Song (960-1279), les Yuan, déjà nommés, et les Ming (1368-1644). Au début du XVIIIe siècle, les empereurs mandchous, ou Qing (1644-1911), qui sont des Mongols orientaux de confession bouddhiste lamaïste, règnent à Pékin. Ils estiment tenir l'empire des Gengiskhanides : Abahai (1626-1643), deuxième souverain de la dynastie mandchoue (il ne régna pas effectivement sur l'Empire qui ne succombe aux armes mandchoues qu'en 1644), s'est fait remettre les Sceaux impériaux par le descendant alors en vie des empereurs Yuan, chassés en 1368. Leur vision de l'empire s'étend donc, géographiquement, au Tibet, à la Mongolie et au Xinjiang, un temps sous la botte des héritiers de Gengis. L'autorité sur le Tibet, héritée des Yuan et plutôt virtuelle, est partagée de facto avec des Mongols occidentaux, les Dzoungars, lesquels sont, de façon assez virtuelle également, les vassaux du Grand Moghol, maître de l'Inde. Quand dans les années 1710, les Dzoungars paraissent avoir des velléités de s'accorder la part du lion au Tibet et dans le Xinjiang, Kangxi (1662-1722) qui redoute peut-être la mainmise du Moghol, impose militairement son autorité au Tibet. Son fils Yongzheng (1722-1735) qui, en 1727, entame des relations suivies avec les Russes, juge bon (pour la sécurité des liaisons et son crédit auprès du Tsar) d'installer à Lhassa deux amban, des mandarins chinois qui, sous l'autorité formelle des Grands Lamas dont le Dalaï-Lama, y exercent la réalité du pouvoir. Kangxi comme Yongzheng opèrent l'un et l'autre des mesures conservatoires, du moins en nourrissent-ils la conviction. À la fin des années 1740, sous Qianlong (1735-1796), nouvelle agitation des Dzoungars, au Xinjiang. En 1751, les armées chinoises les exterminent et assoient toujours plus fermement l'autorité de la Chine sur Xizang (le Tibet) et Xinjiang, leur souveraineté n'y étant plus partagée. Une menace reparaît en 1790, une menée mal définie venue de l'Inde où les Anglais étendent leur puissance ; en 1792, Fu Kang'an écrase les agresseurs, des Gurkhas, au milieu desquels, peut-être (des Chinois l'ont dit), quelques Britanniques. Tout au long du XIXe siècle, les amban gouvernent le Tibet (lisez le P. Huc).
C'est avec l'appui britannique qu'en 1912, alors que la Chine qui a renversé les Qing sombre dans l'anarchie, le XIIIe Dalaï-Lama proclame l'indépendance du Tibet. La Chine qui, en 1950, a recouvré son libre-arbitre, entend exercer à nouveau son autorité sur le pays des bouddhistes occidentaux . Légitime, ou non, la prétention chinoise ? La question doit au moins être posée, la réponse chinoise être entendue ; elle sera fondée sur l'histoire, mais pas seulement. Elle s'adresse sans doute aux gens du dehors, mais elle vaut d'abord pour les Chinois qu'il convient d'apaiser, s'ils s'emportent, ou de rassurer, s'ils s'inquiètent.
Le prétendu "génocide culturel"
Les Chinois ont d'autres arguments qui devraient être accessibles aux tenants des droits de l'homme, s'ils restent sourds à la voix des siècles. Le premier, lié à l'empirisme extrême-oriental, est qu'en Asie de l'Est, il est notoire que les hommes accordent plus de prix à l'ordre civil qu'à une liberté individuelle trop souvent théorique ; ils savent – simple bon sens – que si l'ordre ne conditionne pas toujours toutes les libertés, le désordre, lui, les condamne, sauf peut-être pour la canaille. Par ailleurs, concernant précisément le Tibet, Pékin estime que, quand les Chinois sont entrés, ou rentrés au Xizang en 1950 et, surtout, en 1959, ils ont libéré un peuple qui vivait dans le servage d'une théocratie obscurantiste. Je ne développerai pas, ne citant à ce propos que les déclarations, rapportées par China Daily, le même 17 mars, celles de fonctionnaires tibétains en charge de la province autonome du Xizang, sous l'autorité légale de Pékin.
Des fonctionnaires tibétains de haut rang ont réfuté les prétendus "génocide culturel" et "loi de la terreur" excipés par le Dalai-Lama dimanche (le 16) et déclaré qu'une telle argumentation ressortissait au "parfait non-sens". [...] Legqoi, sous-directeur du Comité permanent de l'Assemblée régionale populaire du Tibet a rappelé que le concept même de "citoyen" n'a jamais existé dans la tradition tibétaine. "Sous la loi du servage, les esclaves ne possédaient rien et étaient vendus et revendus par leurs maîtres. Ils souffraient toutes sortes d'humiliations. Le peuple tibétain n'a commencé à s'occuper de ses affaires qu'après la promulgation de la loi d'autonomie régionale de 1965." Il a ajouté que "la culture tibétaine se développait de façon radicalement opposée au prétendu ‘génocide culturel'. Il y avait hier 161 sites culturels au Tibet, dont 35 répertoriés et placés sous la protection de l'État. Il y a aujourd'hui 1 700 temples protégés. Les moines et le peuple jouissent d'une totale liberté religieuse". "Si les séparatistes, partisans du Dalaï-Lama, ne menaçaient pas la stabilité du Tibet, le Tibet connaîtrait le plus belle période de développement de son histoire", a déclaré le maire de Lhassa, Doje Cezhug. "Néanmoins, aujourd'hui, les Tibétains connaissent les bienfaits de la vie moderne, tout en jouissant des legs de la culture traditionnelle de leur pays". "Le Parti et le gouvernement ont attaché la plus grande importance à la pérennité culturelle du Tibet et ont assumé à une grande échelle soin, sauvetage et protection des trésors artistiques et culturels de notre pays", a ajouté Qiangba Puncog, président du gouvernement régional autonome. Ce sont encore 570 millions de yuan – dix fois la somme consacrée à la dernière réhabilitation du Palais d'Été – qui de 2006 à 2010 seront consacrés à la restauration de 10 sites, dont le Jokhang, en sorte qu'on peut dire que la culture tibétaine n'a jamais été mieux sauvegardée que de nos jours. Le lendemain, 18 mars, le même China Daily revenait sur la question.
Les Tibétains, depuis un demi-siècle, ont géré leurs affaires avec profit, bénéficiant de l'aide des autres provinces de notre pays et sans la moindre intervention du Dalaï-Lama. Quiconque se rend au Tibet peut constater comme la vie du peuple y a évolué, la liberté dont il jouit en matière religieuse et comme son héritage culturel a été préservé. Le temps n'est plus où, comme il y a encore cinquante ans, 5% à peine des habitants – hauts fonctionnaires, nobles et religieux dirigeant les monastères – possédaient terres arables, pâtures, forêts, montagnes et rivières, détenant la plupart des ressources vivrières, et traitaient leurs serfs comme de la merde. C'est le retour à cette situation que souhaitent les émeutiers quand ils prétendent arracher le Tibet à la mère patrie ? C'est un retour aux jours du plus noir Moyen-Âge qu'ils veulent ? Il est tragique qu'ils n'aient pas conscience de ce qu'ont remarqué certains universitaires occidentaux, à savoir que le Dalaï-Lama a beau parler des droits de l'homme, l'exilé politique continue à imposer sa loi d'une main de fer qu'il abat sur quiconque ou sur tout groupe qui seraient tentés de défier son pouvoir. Quelles que soient les ruses auxquelles le Dalaï-Lama recoure, les Tibétains comme tous les gens des autres groupes ethniques vivant dans la région ne toléreront ni le retour de l'arbitraire ni la violation des droits du peuple ni la rupture de l'harmonie interethnique. La Chine multiethnique et multiculturelle est déterminée à maintenir son unité nationale et son intégrité territoriale, à poursuivre ses objectifs de développement qui feront d'elle une société où chacun connaîtra une honnête aisance, seule raison pour laquelle elle entend devenir plus forte. En face, (écho radiophonique du 19) devant la radicalisation de certains de ses disciples, le Dalaï-Lama menacerait de démissionner . Comme n'importe quel élu... du suffrage universel ? Singulier !
Loin de moi de prendre les déclarations chinoises pour yuan sonnants et trébuchants, mais il me semble légitime de faire écho à la voix de la partie que la presse occidentale prétend condamner sans l'entendre. Je le fais d'autant plus volontiers qu'il y a quarante ou cinquante ans, Mao regnante, les devanciers des professionnels de la vertu de ce début de XXIe siècle, tinrent des propos radicalement inverses, noircissant à plaisir les survivants du Moyen-Âge qui abusaient honteusement des superstitions les plus ineptes, etc., etc., et se félicitèrent de la libération des Tibétains par l'APL, voire de la destruction des foyers traditionnels de la superstition , ces sanctuaires dont les plus fameux, à Lhassa et à Shigatzé, ne durent leur préservation qu'à l'intervention de Zhou Enlai...
Des forces hostiles à Une seule Chine
Un dernier aspect de la question doit être envisagé qui n'est pas sans rapport avec les réactions des empereurs Qing. Le 18 mars, le Premier ministre Wen Jiabao assurait : La porte du dialogue reste ouverte au Dalaï-Lama, dès lors qu'il abandonne la revendication "Indépendance pour le Tibet", dès lors qu'il reconnaît que le Tibet et Taiwan sont des parties inaliénables du territoire chinois.
Si j'en crois la presse occidentale, le Dalaï-Lama ne réclamerait plus qu'une certaine autonomie. Encore faut-il s'entendre sur le mot. Le Xizang n'est-il pas déjà une région autonome ? Dussent les Legqoi, Doje Cezhug et autres Qiangba Puncog, rendre compte à Pékin de façon au moins aussi contraignante que les amban des temps impériaux. L'important est que le mot de Wen rapproche Tibet et Taiwan. Certains Chinois de l'autre côté du détroit y réclament une consultation référendaire sur l'opportunité d'une demande d'admission de l'île à l'ONU... À New York, la démarche n'a aucune chance d'aboutir, ne fût-ce qu'en raison de l'inévitable veto de Pékin (qui ne serait pas seul). Mais c'est, à Taipei, une affirmation indépendantiste ; elle a donc ses partisans qui savent 1/ appeler par là l'attention du monde sur eux, 2/ gêner Pékin (à l'heure surtout où siège l'ANP et à la veille des Jeux olympiques), 3/ en tirer quelque avantage politique local ou matériel.
Le rapprochement de Wen suggère à ses compatriotes que des forces hostiles à Une seule Chine pourraient être en œuvre à Lhassa, comme il y en a à Taiwan. Agiraient-elles de Dharamsala ? On peut le penser, mais on peut penser aussi qu'elles agiraient par Dharamsala, usant de la complaisance coupable de félons – crime traditionnel majeur, au vrai lèse-majesté ou haute trahison .
C'est qu'il y en a, par le monde, des intérêts qui ont (ou se donnent) de bonnes raisons de chercher à affaiblir toute position de la Chine ; il y en a des gens qui pour des motifs idéologiques ou réputés tels, pour des motifs économiques, diplomatiques ou autres attendent un bénéfice des émeutes indépendantistes à Lhassa comme ils en espèrent, selon un autre mot de Wen, des tensions entre les deux rives du détroit de Taiwan . Manipulés le Dalaï-Lama et ceux qui se réclament de lui ? Pourquoi pas ? Qui a semé l'idée de référendum dans la tête de quelques Taiwanais ? Cherchez à qui le crime profite. Pourquoi une démarche similaire, menée par les mêmes ou par d'autres, ne serait-elle pas à l'origine des événements du Tibet ? Nul ne semble y songer dans cet Occident qui se figure toujours incarner le seul avenir possible du genre humain.
Assez représentatif du crédit qu'il faut accorder à la presse française, Le Figaro du 18 mars. On y constatait, pages 8 et 9, que sa rédaction comprenait que les jeunes Tibétains submergés par les émigrés han connussent un désespoir qui les poussait à la révolte, quand, page 10, elle condamnait les Serbes qui au Kosovo, submergés par l' immigration albanaise, refusaient de se soumettre au nouvel État kosovar . À l'origine de ces contradictions, quelques idées toutes faites rebaptisées valeurs et une formidable ignorance ! Le 19 mars, Le Figaro, dans un nouveau réflexe d'ignare comme il faut , ajoutait : La cause du Tibet, où la défense des droits de l'homme prend un parfum d'exotisme et de spiritualité orientale, fascine l'Occident. La personnalité du Dalaï-Lama, Prix Nobel de la paix, est vénérée partout dans le monde . Quel aveu ! la réalité tibétaine et chinoise est totalement ignorée de l'Occidental. Sa considération pour le Dalaï-Lama se confond en fait avec le culte idolâtre des droits de l'homme.
Nous vaguons dans l'inconsistance philosophique des Lumières entre les dons empoisonnés que la France d'esprits raisonneurs a faits au monde. Ce qu'ignorent aussi nos belles âmes, face à toute agitation d'importance dans le monde chinois, c'est que si la Chine venait à s'embraser, quel qu'en soit le motif, le nombre des morts s'y chiffrerait bientôt par millions, peut-être par dizaines, voire centaines de millions. Préserver l'aura dont jouit le très communicant chef spirituel de cinq millions de Tibétains auprès d'Occidentaux de plus en plus matérialistes, vaut-il d'en courir le risque ? Dix mille fois, non !
*Xavier Walter est écrivain, spécialiste de la Chine. A publié récemment une Petite histoire de la Chine (Eyrolles, 2007).
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