Que pense l'Église de la " guerre préventive " ? Tout en refusant que ce concept soit normatif dans le droit international, le Magistère laisse de côté l'appréciation que des hommes politiques ou des militaires peuvent être conduits à porter sur une situation.
Le rôle de l'Église est de les prémunir contre la tentation de céder à la force en rappelant ce que disait Pie XII en 1939, ou plus récemment Jean-Paul II : la guerre n'est pas digne de l'homme.
Le concept de guerre préventive semble à première vue clair et répondre aux exigences du bon sens. Le droit de légitime défense reconnu aux particuliers ne doit-il pas être reconnu également aux États ? De même, celui qui est en guerre et n'a d'autre alternative que de subir l'injustice ou de se défendre se voit reconnaître le droit de mettre l'autre hors d'état de nuire. Mais la simple application de ce concept à la réalité est devenue difficile du moment où s'est développé le droit international. La tendance profonde qui l'a animé depuis deux siècles a été précisément de mettre la guerre " hors la loi ". Cette évolution s'est faite d'abord dans le domaine des idées puis dans celui des institutions.
Dans le domaine des idées. Les problèmes qui se posent aujourd'hui ne peuvent être compris que s'ils sont replacés dans le contexte historique de l'évolution des idées en Europe. Cette affirmation générale vaut en particulier pour les questions de paix et de guerre. La violence guerrière a été considérée dans l'Antiquité comme une activité normale des autorités politiques. Le christianisme s'est opposé à cette habitude pendant des siècles. La théorie de la guerre juste élaborée par les théologiens est un discours théologique dont le but est de limiter le recours à la guerre. La religion intervenait à un double titre dans cette prohibition, d'une part en assortissant les règles édictées de sanctions canoniques dont la valeur était difficilement mise en doute dans une société chrétienne ; d'autre part, du fait que le pape était considéré comme l'autorité ultime pouvant intervenir dans les conflits entre princes cherchant à les réconcilier au nom de l'unité qui doit régner entre chrétiens.
Cet édifice s'est écroulé à la Renaissance du fait que la Réforme a entraîné pour la papauté la perte de sa position d'arbitre. Mais comme il demeurait en Occident le besoin de légitimer le recours à la guerre, les princes et les opinions publiques sont devenus les juges dans leur propre cause. Parallèlement les papes ont développé l'idée que la paix représente une valeur supérieure qui s'impose à tous - idée se retrouvant ici avec les mouvements pacifistes.
Dans le domaine des institutions. De nombreuses initiatives eurent lieu au cours du dernier siècle en vue de retirer aux États le droit de se faire juge de la légitimité de recourir à la guerre. Tandis que la SDN établissait seulement des délais en vue de l'exercice de ce qui était considéré comme le droit souverain des États, la Charte de l'ONU leur retire ce droit ; ainsi l'article 2.3 : " Les membres de l'Organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques. " Il est par ailleurs remis au Conseil de Sécurité de " [constater] l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression " et de " [faire] des recommandations ou de [décider] quelles mesures seront prises... "(art.39).
Ainsi l'idée qu'un État puisse entreprendre de son propre chef une guerre pour prévenir une menace qu'il juge imminente se trouve écartée par la Charte ; c'est au Conseil de sécurité que cette responsabilité est confiée. Il revient à ce dernier de désamorcer une crise ; il tire son autorité morale du consensus qui s'établit en son sein.
Position de l'Église. L'Église n'est pas pacifiste par principe ; elle a toujours reconnu le droit de légitime défense ; comme disait Pie XII au congrès international de droit pénal (3 octobre 1953) : on ne peut laisser les mains libres aux " malfaiteurs internationaux " et aux " criminels sans conscience " : en effet la sécurité à laquelle tout homme a droit ne serait plus assurée. Mais elle entend faire de la construction des conditions de la paix un devoir qui s'impose à tous. L'expérience est là pour montrer qu'une voie de solution peut être trouvée au-delà des tensions. La parole de Pie XII le 24 août 1939, à la veille du commencement de la Deuxième Guerre mondiale, continue d'orienter le comportement du Saint-Siège dans les circonstances actuelles : " Le danger est imminent, mais il est encore temps. Rien n'est perdu avec la paix, tout peut l'être avec la guerre. Que les hommes recommencent à se comprendre. Qu'ils recommencent à négocier. " Une application de cette directive se trouve dans le fameux passage de Pacem in terris dans lequel, au tournant de la guerre froide, Jean XXIII recommande et affirme possible de dépasser les oppositions pour construire la paix.
La guerre préventive. Les considérations ci-dessus permettent de comprendre pourquoi l'Église rejette le concept de guerre préventive ; ainsi du cardinal Stafford, de Mgr Martino, président de Justice et Paix. Cette notion rompt avec les tentatives de la société internationale d'asseoir sur le droit les relations entre États. D'autre part, elle marque un retour en arrière puisqu'elle conduit les États à se faire juge dans leur propre cause en décidant par eux-mêmes de la gravité du danger dont ils se sentent menacés. Le recours à cette notion conduit en outre à sous-évaluer l'étendue des dommages psychologiques et matériels entraînés par les hostilités, spécialement dans le monde contemporain. Les suites des blessures infligées par les deux guerres mondiales aux populations européennes sont encore vives ; aussi sont-elles, dans leur grande majorité, hostiles à toute évolution de la situation internationale qui prétendrait assurer la paix en recourant à une guerre préventive au lieu de chercher à résoudre les tensions par la négociation.
De Rome, le 12/2/03. Joseph Joblin a publié L'Église et la Guerre, Desclée de Brower, 1991.
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