Source [Le Figaro] Depuis qu’il a été vendu aux enchères à un investisseur saoudien, le tableau est introuvable, alors que le Louvre est à sa recherche pour son exposition d’octobre prochain à l’occasion des 500 ans de la mort du génie italien. Le décryptage de Laurent Izard.
Laurent Izard est normalien et agrégé de l’Université en économie et gestion. Diplômé en droit de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, professeur de chaire supérieure, il est l’auteur de nombreux manuels d’enseignement supérieur en économie et gestion. Il vient de publier La France vendue à la découpe (L’Artilleur, janvier 2019), une enquête qui fait le récit d’un long renoncement et passe en revue de nombreux secteurs de l’économie française vendus à des capitaux étrangers.
FIGAROVOX.- Le «Salvator Mundi» de Léonard de Vinci, adjugé 450 millions de dollars en 2017 à un milliardaire saoudien, a disparu depuis sa vente dans le monde de l’art. Le Louvre souhaite pourtant qu’il figure dans son exposition pour les 500 ans de la mort de Léonard de Vinci prévue cet automne. Quelle analyse faites-vous de cet incident? Que des milliardaires d’Arabie Saoudite possèdent nos plus grands tableaux ne pose-t-il pas problème?
Laurent IZARD.- La situation du «Salvator Mundi» pose effectivement de nombreuses questions: qui en est aujourd’hui le véritable propriétaire? Lors de la vente aux enchères à New York en 2017, l’adjudicataire était-il un simple mandataire? Quelle est la localisation actuelle du tableau?
Pourquoi son exposition au Louvre d’Abu Dhabi prévue en septembre 2018 a-t-elle été reportée? Pourra-t-on le contempler en octobre prochain lors de l’exposition prévue à Paris, au Louvre, en octobre 2019? Ces interrogations ravivent de surcroît des querelles artistiques beaucoup plus anciennes: s’agit-il réellement d’une œuvre de Léonard de Vinci ou a-t-il seulement participé à la réalisation de ce tableau? Les œuvres du Maître font-elles partie du patrimoine artistique français ou italien?
Mais au-delà des controverses factuelles ou historiques, le «Salvator Mundi» est au cœur d’un débat beaucoup plus vaste, qui mêle des considérations juridiques, économiques et éthiques: d’un point de vue strictement juridique, l’acquéreur, titulaire d’un droit de propriété sur l’œuvre acquise en a l’entière maîtrise: il n’a aucune obligation d’exposer ou de prêter son bien.
Il est choquant qu’un particulier, quel qu’il soit, puisse avoir le bénéfice exclusif d’œuvres d’un intérêt exceptionnel comme le « Salvator Mundi ».
Certains invoquent le caractère perpétuel et inaliénable du droit moral sur les œuvres d’art, qui s’opposerait aux prérogatives du propriétaire. Mais il est peu probable que le droit saoudien, par exemple, valide cette limitation du droit de propriété… Et d’un point de vue économique, celui qui propose la meilleure offre devient logiquement propriétaire de l’œuvre vendue aux enchères.
Il est néanmoins choquant qu’un particulier, quel qu’il soit, puisse avoir le bénéfice exclusif d’œuvres d’un intérêt exceptionnel comme le «Salvator Mundi». Fort heureusement, la plupart de ces œuvres sont aujourd’hui la propriété de musées. Mais pour les autres, on peut légitimement s’interroger sur une évolution possible de leur statut juridique au regard du droit international. L’Unesco qui veille à la protection des sites d’exception du patrimoine mondial ou à la sauvegarde du patrimoine immatériel culturel de l’humanité pourrait avoir un rôle moteur en la matière.
Même si ce tableau ne peut pas être considéré comme faisant partie du patrimoine français au même titre que l’un de nos châteaux ou de nos grands groupes, ne peut-on pas penser qu’une autre gestion de l’art et du patrimoine artistique est possible? Est-il envisageable qu’aucuns tableaux ne puissent finir aux mains de riches acquéreurs, mais plutôt dans les musées?
Ce n’est un secret pour personne: nos trésors artistiques - peintures, sculptures ou autres - sont souvent achetés par des investisseurs étrangers, malgré une réglementation en principe protectrice: dans le cadre de la sauvegarde du patrimoine culturel national, certaines œuvres d’art font notamment l’objet de restrictions à l’exportation, qui s’appliquent aux professionnels comme aux particuliers. Leurs mouvements hors de France sont contrôlés: des autorisations doivent être présentées à la frontière avec la déclaration d’exportation du bien. Nos chefs-d’œuvre sont en outre protégés par un Règlement Européen et la Convention Internationale de l’Unesco de 1970. Et toutes les exportations de biens culturels sont contrôlées par l’Office Central de lutte contre le trafic de Biens Culturels.
Des œuvres majeures de Gauguin, Cézanne, Van Gogh ou Manet ont ainsi pris le chemin de collections privées étrangères.
Mais malgré la vigilance des commissaires-priseurs ou antiquaires de Paris ou de province, on retrouve dans les collections privées étrangères de nombreuses œuvres qui n’auraient jamais dû quitter notre territoire. En effet, les contrôles aux frontières ne sont pas suffisants, les conditions d’obtention des autorisations ne sont pas toujours limpides et la réglementation qui restreint les sorties d’œuvres du territoire national n’interdit pas la vente à des acquéreurs étrangers.
Avec l’arrivée sur le marché de collectionneurs extra-européens fortunés, le prix des œuvres d’art de qualité s’est envolé. Ce nouveau phénomène conjugué avec les effets de la crise et l’accroissement continu de la pression fiscale contraint la plupart des familles françaises à mettre en vente leur collection, car elles n’ont plus les moyens d’entretenir leur patrimoine et encore moins d’acquitter les droits de succession. Nos musées quant à eux n’ont plus la capacité financière de les acquérir. Des œuvres majeures de Gauguin, Cézanne, Van Gogh ou Manet ont ainsi pris le chemin de collections privées étrangères.
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