Même le petit père Combes, en 1905, à l’époque de la loi de séparation des églises et de l’Etat, n’en aurait pas espéré tant. Une mode se répand, qui croit pouvoir enjoindre à l’Eglise (on parle là de l’Eglise catholique romaine, mais les communautés ecclésiales pourraient se sentir aussi visées) de procéder, à la demande du quidam, à la suppression de son nom du registre des personnes baptisées. Les juridictions civiles de l’ordre judiciaire se mettent de la partie ainsi que le montre un jugement en premier ressort du tribunal de grande instance de Coutances (50) ordonnant au diocèse de «procéder à l’effacement définitif sur les registres de baptêmes de la mention selon laquelle René X a été baptisé le 9 août 1940 et ce, sous astreinte de 15 € par jour de retard, et par tout moyen, comme le sur-lignage à l’encre délébile». L’autodafé n’est toutefois pas requis.
Le baptême est le premier des sacrements, tant dans la chronologie de leur administration que par son importance. Il ne marque pas l’inscription à un club, l’entrée dans une académie, un ordre ni, même, formellement, ne vous inscrit membre d’une institution humaine. Il vous rend participant de la grâce divine. L’Eglise (assemblée) est l’ensemble des baptisés, de ceux qui vivent dans et de ladite grâce. Sans doute, l’Eglise catholique, avec, à sa tête, le vicaire du Christ en la personne du pape, se considère-t-elle comme l’institution, la version terrestre, humaine de cette Eglise composée de tous ceux, vivants ou décédés, ayant reçu le premier des sacrements. Mais elle reconnaît que celui-ci peut avoir été validement et valablement administré dans le cadre d’autres entités, l’Eglise orthodoxe par exemple et nombre de communautés ecclésiales (si bien que, lorsque s’opère une conversion d’une confession chrétienne à une autre, le baptême est inutile, puisque déjà reçu par le nouvel impétrant). On est là dans le domaine de l’impalpable et du mystère. Sans doute aussi, le registre des baptêmes comporte-t-il un aspect administratif, mais celui-ci est secondaire puisque votre assistance aux offices, votre pratique religieuse et même, le contenu et l’intensité de votre foi, en votre for interne, ne conditionnent pas l’existence de ce baptême (même une excommunication en bonne et due forme – littéralement votre mise au ban de l’Eglise – ne retirerait rien à votre condition de baptisé.) Alors imaginerait-on que vous puissiez demander en justice la suppression de votre nom du registre (pourtant tenu en paroisse) de votre qualité d’individu ayant reçu, à telle date, pour la première fois (parfois est-ce la dernière !) le sacrement de l’Eucharistie à travers la communion au corps du Christ ? Imagine-t-on que, vous ayant, vous et votre conjoint, tous deux réciproquement donné le sacrement du mariage, vous puissiez, d’un bel ensemble, ou l’un sans l’autre, ou l’un après l’autre, demander au TGI du coin que l’Eglise soit tenue de dire que vous n’avez jamais reçu l’un et l’autre ce sacrement du mariage ? Pouvez-vous songer que l’Eglise soit contrainte de supprimer votre nom du registre des confirmés ? Et, une personne ordonnée prêtre – littéralement : qui a reçu le sacrement de l’Ordre -, même rendue à l’état laïque, peut-elle exiger en justice de faire dire à l’Eglise qu’elle n’a jamais reçu ce sacrement de l’ordination à la prêtrise. (Rappelez-vous, ou apprenez qu’un prêtre convié à déjeuner au Vatican avec Jean-Paul II fut mis en retard, découvrant sur son chemin un clochard en qui il reconnut un ancien camarade séminariste depuis bel et bien ordonné. Arrivant dare-dare, mais, ainsi, en retard, et racontant son histoire, Jean-Paul II lui répondit : mais, pourquoi ne l’as-tu pas pris avec toi ? Retourne le chercher. Ce faisant, derechef, et pour bien lui signifier qu’il n’avait rien perdu de sa dignité de prêtre, le pape demanda à ce dernier de l’entendre en confession.)
Curieuse époque quand même. Il fut un temps où c’était l’inscription, même fictive, d’un patronyme sur le registre des baptisés qui pouvait vous sauver la vie. Mais René X, de la Manche, a honte ; et cette honte, il croit que la justice des hommes peut l’effacer. On le laissera à sa méprise,- et à son mépris [1]. Quant à nous, on rappellera à qui de droit, en l’occurrence à la Cour d’Appel, que si on parle – le plus souvent, au reste, à tort et à travers - de la laïcité comme d’un sésame, d’un gris-gris conceptuel propre à prévenir bien des maux de la société, c’est, en l’espèce, pourtant bien en application de ce principe constitutionnel que René X (qu’on aimerait voir mis à l’amende pour action abusive) ne pourra qu’être déclaré irrecevable en sa demande.
[1] Curieusement, alors qu’il invoque au fondement de son action le droit au respect de sa vie privée, Le Monde (18 XI 2011) mentionne en gros caractères le nom du requérant.
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