L’attentat de "Charlie Hebdo" a provoqué une onde de choc. Il faut dire que le bilan est lourd : douze morts, onze blessés, sept morts le lendemain (dont les trois tueurs). Les hommages se multiplient, et les paroles de compassion du monde entier. En France, le climat est particulièrement tendu.
Les patrouilles des forces de l’ordre se multiplient : on craint d’autres attentats, mais aussi des représailles sur les musulmans. La neutralisation apparente des terroristes soulage, mais rien ne dit que la page est tournée. Militaires et CRS sont en nombre et en armes dans les gares. Le moindre fait divers devient suspect de terrorisme, et participe à la tension ambiante. Des manifestations, visiblement spontanées ont eu lieu dans toute la France et ont rassemblé près de cent mille personnes. Le président de la République a décrété trois jours de deuil national. Les drapeaux sont en berne. Les cloches des églises ont sonné le glas. Comme il y a eu un avant et un après Mohammed Merah, on peut dire qu’il y aura sans doute un avant et un après Charlie Hebdo.
Quelques remarques viennent à l’esprit lorsque l’on observe cette affaire. Essayons de prendre de la hauteur et de sortir de l’émotion.
Mourir pour un dessin ?
Personne ne doit mourir pour un dessin, aussi insultant, dégradant et blasphématoire soit-il. Mais l’hebdomadaire ne maniait pas le langage de la finesse, et ne s’interrogeait pas vraiment sur les conséquences de ses actes. On peut dire sans exagérer que Charlie Hebdo a contribué à « nourrir la vipère en son sein ».
En moquant les institutions, en ne respectant rien, ni les personnes, ni les convictions sacrées des croyants, Charlie Hebdo a creusé sa propre tombe. Dès lors, il ne convient pas d’honorer ses dessinateurs comme des martyrs de la liberté. Nous prions pour eux, nous souffrons avec leurs proches dont la peine serre le coeur, mais s’il y a eu des martyrs de la liberté en ce mercredi sept janvier, ce sont Ahmed et Franck, deux policiers morts en service, en défendant des journalistes qui n’avaient de cesse – de leur propre aveu – que de les faire tourner en bourrique.
Le travail dans l’ombre de la police
La seconde remarque concerne justement les forces de l’ordre. Le fait que cet attentat soit le plus meurtrier depuis 1961 montre le travail de fourmi réalisé, constant, sans relâche. L’attentat de mercredi est une exception car nombre d’attentats ont été déjoués, et notamment ces dernières années. Cependant, le risque zéro n’existe pas : face à la préparation, à l’armement, à la détermination des djihadistes et à leur folie aussi, le policier peut vite se retrouver dépassé. Surtout en France, où la présomption de légitime défense n’existe pas.
Par définition, de simples fonctionnaires de police ne sont pas destinés à faire face à des actes de guerre. L’attentat dans les locaux de Charlie Hebdo ne doit pas remettre en cause l’efficacité du travail des forces de l’ordre, et notamment la police. L’attentat n’a pas été rendu possible par de simples dysfonctionnements policiers.
Certes, la dimension internationale du phénomène pose d’autres questions, notamment sur la cohérence de la politique étrangère française et occidentale, mais c’est une autre question.
Le « loup solitaire dépassé »
Troisième remarque, à propos des terroristes. Il faut se garder de conclusions hâtives, mais en écoutant les témoignages et en regardant les vidéos de l’attentat, les commentateurs sont unanimes. Les auteurs de l’attentat étaient des personnes entraînées. Elles n’ont pas agi sur un coup de tête, mais de manière froide, rationnelle, calculée. Professionnelle. Les tueurs avaient visiblement préparé avec minutie leur acte : des témoins disent qu’ils appelaient leurs victimes par leurs prénoms. Ils ont utilisé des armes de guerre, kalachnikovs, voire peut-être lance-roquette. Fanatiques peut-être, mais pas déséquilibrés.
Autre point remarquable : ils ont agi à plusieurs (deux, peut-être trois), avec semble-t-il des complices, puisque sept personnes ont été interpellées, sans compter la fusillade du lendemain dont on sait que l’auteur les connaissait. Nous sommes donc aux antipodes du loup solitaire, du fou isolé qui craque. Il s’agit bien d’un acte prémédité, travaillé, et d’un groupe déterminé.
La guerre des symboles
Il est notable aussi que les djihadistes revendiqués se sont attaqués à un journal, satirique, qui plus est. Pas directement aux forces de l’ordre, ni même à un lieu de pouvoir, ou à un lieu symbolique de la France. Mais bien à Charlie Hebdo. Faut-il en conclure que la presse satirique est un lieu de pouvoir ? Ou que les outrances de l’hebdomadaire avaient vraiment dépassé les limites de la liberté d’expression ?
Nous nous contenterons de penser que c’est un indice de l’état de guerre dans lequel se trouve la France. Une guerre asymétrique, révolutionnaire, qui touche aussi les médias. Philippe Henriot a été assassiné en 1944, car il était un présentateur radio influent de la collaboration. Charlie Hebdo a été attaqué car il était un journal influent, sans doute plus vulnérable que Le Monde ou Le Figaro, mais symbolique.
La liberté d’expression redevenue pilier de la République
Une autre observation à propos de la liberté d’expression. Un grand nombre de personnes se sont élevées pour défendre la perle de la démocratie : la liberté d’opinion, la liberté de la presse. Eric Zemmour et La Manif pour tous apprécieront. C’est que les libertaires sont généralement dogmatiques et intolérants. Mais la liberté d’expression de Charlie Hebdo, qui était une liberté d’indifférence et de transgression, était elle aussi peu respectueuse de la liberté intérieure de leurs cibles. Cet attentat met en avant de manière cruelle la profonde incohérence des « valeurs de la République » de nos « élites » politico-médiatiques.
Il est à craindre que cette prise de conscience reste à géométrie variable, et bien peu universelle, comme le montre le partage entre indignés corrects et incorrects.
Le problème complexe de l’islam
Enfin, dernière remarque, à propos de l’islam. Il faut regarder la vérité en face : ce ne sont pas des fous divaguant qui ont attaqué Charlie Hebdo. Ce sont des commandos organisés qui ont froidement assassiné en hurlant « Allah Akbar ». Ils ont crié : « Nous avons vengé le Prophète ! »
L’islam est la matrice de cet attentat, avec toutes ses ambiguïtés intrinsèques, ce qui n’exonère en rien la responsabilité du contexte culturel et social français dans lequel ces islamistes ont basculé dans la violence absolue. Là est sans doute le noeud du drame. Ne pas vouloir le regarder est irresponsable, car cela éloigne des vraies causes de cet attentat.
Tous les musulmans ne sont pas des terroristes en puissance, mais il ne sert à rien de mentir, et de se mentir. Si l’islam n’en est pas la cause, il en est au moins le vecteur, le moyen par lequel le terroriste s’arroge sa légitimité. Or, si l’islam permet aux tueurs de se légitimer, c’est bien parce qu’il existe une possibilité d’interpréter le Coran de manière violente. Le Coran prête à confusion, l’islam est une confusion, les musulmans sont troublés, partout dans le monde, et l’Occident ne sait pas leur répondre. Ce n’est pas la liberté d’expression défendue par Charlie Hebdo pas plus que la laïcité libertaire qui peuvent rétablir la raison. La vérité dans la charité nous permettra seule de rétablir l'ordre profond de la société.
Aujourd’hui, nous sommes encore sous le choc de l’attentat. L’heure est au recueillement, au respect dû aux victimes, à la mesure pour ne pas jeter de l’huile sur le feu. Mais il faudra avoir le courage de prononcer les paroles de vérité, qui risquent de heurter. La liberté sera sans doute à ce prix.
Fr. de L.
Vendredi 9 janvier, 18h.
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Merci pour ce bel article. C'était quand même frappant de noter qu'au milieu de tous les chantres de la liberté de la presse qu'on a écoutés depuis quelques jours, nous n'ayons pas pu entendre une seule fois sur les ondes des invités pouvant poser la question de l'origine de l'attentat et du choix de la cible. Charlie Hebdo avait clairement insulté le prophète et les musulmans avec ses caricatures, comme il l'a fait régulièrement à propos du Pape et d'autres religieux. A t on le droit d'exprimer une telle evidence ou l'opinion est elle à ce point muselée par la presse qu'on évite d'inviter ceux dont les opinions déplaisent ?
Je prie pour le repos de l'âme des victimes du journal, des victimes de tous les attentats et je prie aussi pour le repos de l'âme de tous les bourreaux et de tous les fanatiques obtus.
Que le Seigneur les accueille tous auprès de Lui.
J'exprime ma sympathie aux familles des victimes et aux familles des bourreaux tués par la police. Perdre un enfant, même criminel, même toxicomane est toujours une des plus grandes douleurs que l'on puisse connaître.
Pour autant je ne pourrais laisser croire que je soutienne un journal ordurier qui cultive non l'auto-dérision mais l'insulte face aux croyances profondes des autres quelles qu'elle soient.
La pratique de la liberté exige toujours le respect de l'autre dans ce qu'il est, même si nous sommes persuadés au fond de nous qu'il est dans l'erreur. C'est peut-être ce qui manquait à ces dessinateurs, mais ce n'était certainement pas une raison pour les tuer.
Les événements que nous venons de vivre à divers titres ne peuvent pas nous laisser indifférents. Oubliant le "n'importe quoi" de Charlie Hebdo (je tire cette qualification bien connue du policier tué dans la fusillade et qui était attaché à la protection du dessinateur Charb, également directeur de Charlie Hebdo, qui exprimait ainsi son vécu au quotidien comme policier professionnel, avouant ne pas s'intéresser à la politique interne du journal) il est de notre devoir de ne pas laisser passer le tragique de ces événements sans saisir l'occasion pour s'exprimer et faire entendre des voix différentes de celles que l'on a entendues tous ces jours éprouvants. J'ai même entendu, en boucle sur France Info au cours de la journée spéciale du 08 janvier, une élue UMP revendiquer le "droit au blasphème". Une telle irresponsabilité me laisse interdit mais pas sans voix.
Voir le commentaire en entierJe ne crois pas que ceux qui sont morts dans les conditions que nous connaissons auraient voulu qu'on les considérât des "martyrs", comme l'idée est en train de s'installer. Les églises à Paris (et ailleurs) ont sonné le glas (et peut-être dimanche aussi); le pape François s'est exprimé et a condamné avec force l’attentat terroriste.
Il faut que l'on sache et que l'on dise sur tous les tons que les catholiques ne participent pas de ce que j'appelle le "religieux pathologique" tel que le véhiculent, par des actes sanglants, des personnes qui ne sont ni des psychopathes ni des fous mais des personnes pleinement responsables de leurs actes et qui n’ont rien à voir avec la religion, quelle qu’elle soit.
Ils ne participent pas non plus de l’ « idéologie » libertaire et dissolvante qui court le risque de s’installer à travers les événements récents parce qu’ils ont frappé une cible emblématique.
Nous devons nous attendre, hélas, à des retours négatifs et nous préparer à y répondre avec raison, patience, charité.