La crise centrafricaine, énième rebondissement d’une décolonisation sans fin. Au coeur de l'Afrique, les principes des droits de l'homme ne sont pas toujours une garantie pour les droits de l'homme... La France saura-t-elle et pourra-t-elle protéger la Centrafrique ? Le général Salvan, qui a servi la France à Bangui à la fin des années 1950, revient sur l'histoire du pays depuis l'indépendance.
EN 1956 et 1957, quand je participais à des manoeuvres avec ma section en Oubangui-Chari (nom de jeune fille de la République centrafricaine), j’avais l’impression d’être au bout du monde, dans un pays endormi, certes plus vaste que la France. En dehors de Bangui, la brousse commençait très vite et rien ne semblait avoir changé depuis l’arrivée des Français en 1910.
À Bangui, rien ne troublait le calme, sauf l’imprudence de quelques Européens qui s’obstinaient à se baigner dans le fleuve pour alimenter quelques caïmans. Bien sûr, un député local tenait des harangues enflammées, exigeant l’indépendance, tout en souhaitant conserver les avantages des Français : c’était Boganda.
Le temps du chaos
L’homme souhaitait maintenir ensemble l’essentiel de l’Afrique équatoriale française, en rassemblant dans un seul État l’Oubangui-Chari, le Cameroun, le Congo/Brazzaville et le Gabon : il avait bien perçu le danger d’inclure le Tchad à majorité musulmane dans cet ensemble. Mais les dirigeants du Congo, du Cameroun, du Gabon entendaient rester maîtres chez eux et aucune union économiquement viable ne put surgir lors des indépendances.
Boganda n’inquiétait personne et il avait grand peine à rassembler quelques dizaines d’auditeurs sous le soleil tropical : il parlait mieux la langue française que le sangho, l’idiome local. Il mourut dans un accident d’avion en 1959. La République centrafricaine ne s’est jamais remise de cette disparition. Le pays fut ensuite gouverné par des incapables, des illuminés ou des prédateurs. Et la France intervint à plusieurs reprises pour tenter de mettre en place un gouvernement présentable.
Coups d’Etat
Bokassa, ancien sous-officier de notre armée jusqu’en 1962, élimina Dacko de 1965 à 1979. Nous l’avons évincé lors de l’opération Barracuda, jugeant bon de remettre Dacko en place. Deux ans plus tard, Dacko était éliminé par le coup d’État de Kolingba. Un président fut élu normalement en 1993 : c’était Patassé, un bon à rien.
En 2001, un nouveau coup d’Etat le remplace par le général Bozizé, qui eut l’imprudence de se faire aider par des milices tchadiennes, trop heureuses de s’installer dans un tel fromage : elles restèrent sur place, notamment à Bangui. Bozizé n’était pas un aigle, mais il était chrétien et francophile. Nous aurions pu l’aider à réorganiser sa fonction publique et son armée, à rétablir la sécurité : mais comment la patrie des droits de l’homme aurait-elle pu accepter d’aider un dictateur, issu d’un coup d’État militaire ? Mieux valait la gabegie et l’arrivée des islamistes !
Arrivée de la Séléka
Comme prévu par tous ceux qui connaissent l’Afrique et la République centrafricaine, en 2013, ce fut l’arrivée de la Séléka, composée de voyous musulmans, qui pillèrent le pays, violèrent et massacrèrent. Ces exactions provoquèrent la réaction sauvage des chrétiens, peu décidés à se laisser égorger : ils se sont donc constituées en milices, armées de façon hétéroclite, appelées anti-balaka (anti-machette).
La Séléka installa un gouvernement fantoche, dirigé par un homme de paille, Djotodia, dont la France tente de se débarrasser, pour faire élire un homme capable de rassembler chrétiens et musulmans et de reconstruire le pays…
L’ombre de la partition
Le 7 décembre 2013, la France déclenchait donc l’opération Sangaris : 1600 militaires pour sécuriser une ville de plus d’un million d’habitants et un pays plus grand que la France. A titre de comparaison, en région parisienne, lors des fêtes de fin d’année, 9000 policiers tentèrent d’assurer l’ordre sans éviter assassinats ou incendies de voiture.
Nos soldats ont fait ce qu’ils ont pu, et en particulier ils sont parvenus à cantonner les forces de la Séléka dans leurs casernes. Mais ne nous leurrons pas. Même si une mission africaine (MISCA) est réellement mise sur pied — 6000 hommes devraient la composer en février 2014, aux ordres du général congolais Mokoko ; même si une partie de l’armée et de la police qui s’étaient camouflés lors de l’invasion du pays par la Séléka reprenait du service, on peut craindre le pire, c'est-à-dire un génocide et le démembrement de la Centrafrique par ses voisins.
D’ores et déjà, les contingents camerounais, congolais, tchadien sont en train de s’installer à proximité de leurs frontières. Et les membres de la Séléka demandent dès maintenant la partition du pays entre le nord musulman et le sud chrétien.
Nous sommes devant le choix que De Gaulle voulait absolument éviter : remettre en cause les frontières héritées de la colonisation.
Général (2e section) J.-G. Salvan, 20 janvier 2014
Pour en savoir plus :
Décryptage de la situation en Centrafrique en trois cartes
Photo : EMA
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