Face au résultat des élections européennes, Manuels Valls n’a rien compris. De nombreux motifs expliquent les résultats, tout sauf imprévus, des élections européennes : perte de souveraineté, immigration, crise économique. Mais on n’a pas assez souligné combien s’exprime à travers elles la souffrance d’un peuple désorienté et en perte de repères [1].
DE PLUS EN PLUS, les Français se sentent non seulement abandonnés mais « paumés ». Les hommes et les femmes ont besoin de repères. Or tous aujourd’hui sont ébranlés.
Le repère national bien sûr, du fait de la dynamique européenne et mondialiste. Mais l’histoire nationale qui offrait une cadre chronologique, qui inscrivait la vie de chacun dans la suite de ses ancêtres, n’est plus transmise. La famille n’est pas seulement ébranlée par la politique gouvernementale (loi Taubira), mais aussi par la multiplication des divorces, toujours source de troubles pour les enfants, ou la dispersion géographique des familles qui relâche les liens des fratries.
Le service militaire, rite d’initiation structurant, n’est plus. Le certificat d’études non plus. Le bac est menacé et, à dessein, dévalué. La morale ne s’enseigne plus et est tournée en dérision par les médias. La justice ne donne plus l’impression que son rôle soit d’abord d’épargner les bons et de punir les méchants.
La bureaucratie contre l’appartenance
D’autres points de repère, moins visibles, sont sournoisement mis en cause : au moment où les prêtres se raréfient, une bureaucratie obstinée s’acharne contre le médecin de famille, au bénéfice de structures dépersonnalisées, jugées, de manière fallacieuse, plus efficaces. La commune a largement cessé d’être un lieu de pourvoir au bénéfice de communautés d’agglomération, plus lointaines et moins démocratiques : la démocratie est-elle possible hors des communautés charnelles, comme la nation ou la commune ? Le philosophe Pierre Manent pense que non.
La déréliction est à son comble chez tous ceux qui se trouvent éloignés des centres de décision : une étude récente a montré que la grande misère, matérielle mais aussi morale, était plus répandue à Guéret qu’à Bobigny. L’essai de Christophe Guilly, Fractures françaises, est assez éloquent à cet égard. Mais la déréliction est tout autant morale : la dépopulation, le retrait des services publics, l’ « évaporation » des communes, l’abandon de la politique d’aménagement du territoire laissent dans ces régions un grand sentiment d’abandon dont les taux de suicide en milieu rural sont un indice particulièrement tragique.
Et que propose le gouvernement socialiste face à ce sentiment de désarroi ? Le grand remue-ménage des structures territoriales : suppression du département, regroupement des régions, soit un nouvel arasement de points de repères géographiques.
Ces projets, il faut bien le dire, ont été longtemps caressés dans les milieux dirigeants qui ont la particularité bien française de ne jamais remettre en cause les idées reçues les plus fausses. Ils viennent au jour quand le manque d’idées est devenu critique.
On accuse le millefeuille territorial français, mais en Allemagne, il y a aussi des Länder, des départements (Kreis), des communes, chacun avec ses conseils ! De même en Italie, en Espagne.
Des idées fausses
Idées fausses : si l’on excepte quelques régions proches de nos frontières (Rhénanie-Westphalie, Bavière, Lombardie, Catalogne) à la forte personnalité historique, les régions d’Europe ne sont pas en moyenne plus grandes que les nôtres*. En 1990, l’ancienne Allemagne de l ’Est fut divisée en cinq Länder, qui font en moyenne 3 millions d’habitants, comme nos régions. Et on se garda bien alors, comme on l’avait fait ailleurs, de supprimer les petites communes.
Le département, créé par la Révolution française, apparut au départ artificiel. Mais il est complètement entré dans les mœurs. Il structure un nombre important d’activités publiques et privées, ainsi que la politique. La suppression des plaques d’immatriculation, où figuraient des numéros devenus familiers, a été mal ressentie.
Nos régions sont une création plus récente : elles ont seulement un demi-siècle mais leur découpage fut particulièrement judicieux ; il eut la sagesse de suivre les contours et reprendre les noms des vieilles régions françaises remontant à l’aube de notre histoire : Bourgogne, Franche-Comté, Lorraine, Champagne, Aquitaine, Limousin, etc. À la rigueur pourrait-on regrouper la Haute et la Basse-Normandie mais tout autre regroupement paraîtrait artificiel.
Un grand et coûteux désordre
On ajoutera que l’économie des frais de structure attendue de cette opération est parfaitement illusoire : toutes les opérations de ce genre se soldent, au contraire, par un grand et coûteux désordre.
Mais on ne peut s’empêcher de penser que, comme pour la loi Taubira ou la disparition du médecin famille, ou encore le sempiternel projet de donner le droit de vote aux étrangers, qui vide de son sens la nationalité, le but de l’opération ne soit précisément de brouiller un peu plus les repères de nos concitoyens.
Le vieux rêve marxiste de destruction du vieux monde pour construire un homme nouveau rejoint ainsi celui d’un capitalisme mondialisé pour qui des hommes sans principes, sans culture, sans passé, sans repères d’aucune sorte, seront une matière fongible et malléable, inapte à toute résistance aux pouvoirs qui rêvent de régenter le monde. De ce capitalisme, paradoxalement, le Parti socialiste est devenu le meilleur des agents.
Dans son incompréhension, Valls exprime la folie du processus idéologique : système de pensée fermé incapable de se remettre en cause, refus de reconnaître toute légitimité aux oppositions, propension à n’opposer au mal d’autre remède que l’aggravation du mal. L’agriculture soviétique ne s’était jamais remise d’être passée sous la contrôle de l ’Etat ; face aux pénuries persistantes, que proposait–on ? De renforcer encore le contrôle de l’État !
La même démarche est à l’œuvre face à la montée du Front national : les Français viennent d’exprimer une immense souffrance dont une de raisons est la perte des repères. Que leur propose M. Valls ? La destruction de nouveaux repères.
R. H.
Sur ce sujet :
*Gérard-François Dumont : Régions françaises, petit dictionnaires des idées reçues
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[1] Cette note a été diffusée également sur le blog du Figaro sous le titre : « Face aux élections européennes, Vallas n’a rien compris » (Ndlr).
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