Thérèse, Jeanne et la France

Les écrits de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus sur la France sont minces : essentiellement deux divertissements pour ses sœurs carmélites ayant pour sujet Jeanne d'Arc. Pour comprendre sa perception de la France il est donc nécessaire de revenir à sa famille, dont l'influence fut déterminante.

 

Les quatre grands-parents de Thérèse, fervents chrétiens, grandirent sous la Révolution. Son grand-père maternel aime à conter les incursions sacrilèges des " bleus ", l'église verrouillée, les messes clandestines et les mille ruses qu'on déployait pour sauver les prêtres réfractaires. Il fut soldat de l'armée napoléonienne et par la suite gendarme. Officier de la Grande Armée, le grand-père Martin rejoignit l'armée royaliste lors des Cent-Jours. Ces récits marquent durablement les familles Martin-Guérin. Ils forgent en elles l'idée de persécutions toujours possibles contre la foi, pouvant aller jusqu'au martyre. Louis et Zélie Martin en gardent un grand idéal de sainteté, sans compromission avec " le monde " et un grand patriotisme. On ne peut dissocier leur foi de leur vie sociale et a fortiori politique.

Lors de la guerre de 1870-1871, Louis est atterré par la défaite de la France. " Il ressent dans sa chair les humiliations du pays et se prend parfois à regretter, malgré ses 47 ans, de ne point combattre dans l'armée régulière ". " Mon mari est triste, écrit Zélie, il ne peut ni manger ni dormir. Je crois qu'il va tomber malade ". Ils apprennent avec beaucoup de tristesse l'insurrection de la Commune. Les fédérés exécutent 78 otages parmi lesquels Mgr Darboy, archevêque de Paris et seize autres ecclésiastiques. Cet événement ravive le spectre de la persécution religieuse et y associe une fois de plus la République. À long terme, il a renforcé dans le clergé et chez les catholiques la tendance au conservatisme politique et social.

L'incertitude politique demeure jusqu'en 1875, date du vote de la constitution de la IIIe République. Durant cette période, les prédictions et autres prophéties s'étendent comme la gangrène, on n'est pas loin de la fin du monde... Les époux Martin gardent leur bon sens : ils se tournent vers la Providence. Louis participe au pèlerinage de Chartres dont le but est la conversion de la France. La vie quotidienne les ramène à la réalité : la maladie de Zélie, leur cinq enfants, la plaie encore vive de la mort des quatre autres, le travail. Ils gardent plus que jamais leur rythme de prière et de messe quotidienne. Malgré ces préoccupations, ils manifestent une charité débordante envers les pauvres et les délaissés de la société. Les employés de la maison se louent de l'esprit chrétien de leurs patrons.

Lorsque Zélie Martin meurt en 1877, la famille part s'installer à Lisieux. Elle se replie sur un cercle fermé d'amis et de connaissances. Louis s'intéresse au cercle Albert-de-Mun de la ville, dont il est l'un des fondateurs. Isidore Guérin, frère de Zélie, militera au journal monarchiste catholique le Normand.

 

La France de Mère Agnès

L'éducation de Thérèse est prise en charge par ses deux plus grandes sœurs et particulièrement Pauline. On ne peut faire l'économie de Pauline dans la vie de Thérèse, elle qui fut sa seconde mère. Leur intimité fut celle d'une pédagogue douée formant une disciple géniale. Il y eut des moments de distanciation, notamment quand jeune novice, elle se sentira trop maternée par Sœur Agnès. Mais la confiance mutuelle se maintiendra jusqu'au seuil de la mort, où Thérèse donnera à sa sœur aînée son blanc-seing pour la publication de ses écrits.

Après la mort de Thérèse, en 1897, Mère Agnès sera nommée prieure à vie du carmel de Lisieux. Elle meurt en 1951. Durant cette période, les sœurs assistent à l'" ouragan de gloire " qui dévoile la sainteté de Thérèse. Le carmel est propulsé au devant de la scène. Mère Agnès devient connue, correspond avec différents papes. Elle est appelée à jouer dans l'Église un rôle de conseillère, et pas seulement dans le domaine strictement ecclésial. Ses avis, d'ailleurs très prudents, révèlent la sensibilité idéologique de la prieure et nous donnent des indications sur l'éducation politique que reçurent les sœurs Martin. Trois attitudes de Mère Agnès sont particulièrement significatives : l'attention qu'elle porte à la dévotion spirituelle des soldats de la Grande Guerre ; ses interventions auprès du fondateur de l'Action française ; ses réactions à la défaite de 1940.

La cause de Thérèse s'ouvre officiellement en janvier 1909. Elle est béatifiée et canonisée respectivement en 1923 et 1925, mais elle est déjà la sainte des soldats durant la Première Guerre mondiale. Le carmel de Lisieux est envahi par les demandes de reliques. Du début à la fin de la guerre, le courrier du carmel passera de deux cent à mille cinq cent lettres par jour. Mère Agnès écrit : " J'ai reçu, hier, la lettre du colonel qui a consacré son régiment à Sœur Thérèse. " Il lui écrit : " Ici, tout est imprégné du sang français, nous avons l'intention d'élever une petite chapelle au Sacré-Cœur. Mon intention est de faire figurer sur un vitrail l'image de notre admirable petite sainte. " En 1915, la prieure constate : " Ici, les pèlerinages des soldats et des pauvres blessés ne discontinuent pas. Et beaucoup de jeunes gens, même les plus grossiers, désirent connaître sa vie. On nous demande, par la Suisse, des reliques pour les Allemands. Nous en envoyons volontiers car, devant Dieu, les âmes ne sont ni françaises ni allemandes. Les unes et les autres sont précieuses aux yeux de Dieu . " Première observation de Mère Agnès : après sa mort, Thérèse eut un rôle patriotique, sans rupture pour elle avec son rayonnement international. Chez la prieure du carmel de Lisieux, l'amour de la patrie, bien réel, est associé à une charité sans frontières.

Le second épisode nous renvoie à " l'affaire " de l'Action française. En 1926, Pie XI condamne le mouvement de Charles Maurras. Le pape demande alors à Mère Agnès de faire prier le carmel " afin que cesse la grande pitié de l'Église de France ", c'est-à-dire l'insoumission de Charles Maurras. En 1936, Mère Agnès propose à Maurras d'être son intermédiaire auprès du pape : cette ambassade acceptée tacitement marque le début de leur correspondance. La carmélite respecte profondément le jugement du pape et se soucie de la conversion du royaliste. À son égard, elle fait preuve d'une grande patience, attendant par exemple qu'il soit intérieurement prêt pour lui adresser Histoire d'une âme. En 1937, il entreprend un pèlerinage à Lisieux : il est bouleversé. Mère Agnès avertit Pie XI de cette visite. Deux années plus tard, Pie XI lève les sanctions contre l'Action française. En juin 1938, reçu à l'Académie, l'ancien rebelle fait graver le " T " de Thérèse sur le pommeau de son épée et évoque " la grâce la plus haute du surnaturel le plus pur ". Il écrit à la prieure en 1944 : " J'ose me redire votre fils gardé, préservé, sauvé par votre œuvre et par votre action . " La chapelle du carmel conserve son ex-voto: " Illuminare his qui in tenebris et in ombra mortis jacent " (" Illumine ceux qui sont couchés dans les ténèbres de la mort "). Dans ses relations avec Maurras, Mère Agnès se comporte en carmélite et n'entre pas dans des considérations publiques. Mais son œuvre de réconciliation spirituelle n'est pas sans portée politique.

En 1940, la prieure est bouleversée par la défaite de la France. Comme la plupart des Français, elle a confiance dans le maréchal Pétain, vainqueur de la Grande Guerre. Elle lui écrit personnellement, probablement pour lui transmettre Histoire d'une Âme. Dans sa réponse, il lui confie " quel réconfort il puisait dans la certitude d'être aidé par les prières de la communauté, dans sa tâche de relèvement national ". Un des correspondants de la carmélite lui écrit à ce propos : " Je vous félicite des suggestions que vous donnez au Maréchal et des réactions heureuses qu'elles provoquent. Ainsi comprises, ces suggestions dépassent toute politique . " Jusqu'à sa mort, Mère Agnès aura montré que " l'amour surnaturel de l'Église et l'amour naturel de la patrie sont deux amours issus du même principe, car Dieu est l'auteur de l'un et de l'autre ", comme disait Léon XIII .

 

Jeanne et le " rêve de sa jeunesse "

Examinons maintenant les propres écrits de la sainte sur son pays. Jamais Thérèse n'aborde directement le sujet de la France, mais sa prédilection pour Jeanne d'Arc révèle ce que fut son " amour naturel de la patrie ". Elle écrira deux pièces de théâtre à l'usage du carmel (les " récréations pieuses ") sur la Pucelle, à l'occasion de la sainte Agnès. Ce sont la Mission de Jeanne d'Arc (21 janvier 1894) et Jeanne d'Arc accomplissant sa mission (21 janvier 1895). Ainsi que trois poèmes, jusqu'en 1897, année de sa mort : Cantique pour demander la canonisation de Jeanne d'Arc (8 mai 1894), Seigneur, Dieu des Armées (1896), À Jeanne d'Arc (1897, année de sa mort). Les deux récréations constituent un panorama de la vie de Jeanne d'Arc, de son appel en mission à sa glorification en paradis, s'achevant par les supplications de la France en personne. La jeune Lorraine est proclamée " vénérable " par le pape Léon XIII le 27 janvier 1894, pratiquement au moment où la première pièce est jouée au carmel. " Tout le pays parle alors de Jeanne d'Arc et la fête, le 8 mai, en de grandes célébrations nationales. Républicains et royalistes, catholiques et anticléricaux, tous revendiquent l'héroïne nationale. À Lisieux, Céline, la sœur de Thérèse, sa cousine Marie Guérin et leurs amies confectionnent douze oriflammes blanches destinées à orner la cathédrale Saint-Pierre qui accueillera cinq mille personnes . "

Traversant les siècles, Thérèse s'intéresse d'abord à l'âme de Jeanne. Elle ne dispose pas d'une documentation fournie. Pourtant, elle nous en livre un portrait autrement plus vrai que ne l'aurait fait la seule érudition. Ceci peut s'expliquer par le génie spirituel de Thérèse, devinant d'instinct la jeune martyre. Sans occulter son exceptionnelle intelligence religieuse, la vraie raison se trouve dans la parenté d'âme des deux saintes. Elle écrit dans le Manuscrit A : " C'est ainsi qu'en lisant le récit des actions patriotiques des héroïnes françaises, en particulier celles de la vénérable Jeanne d'Arc, j'avais un grand désir de les imiter, il me semblait sentir en moi la même ardeur dont elles étaient animées, la même inspiration céleste. " Et plus tard : " Lorsque je commençais à apprendre l'histoire de France, le récit des exploits de Jeanne d'Arc me ravissait, je sentais en mon cœur le désir et le courage de l'imiter, il me semblait que le Seigneur me destinait aussi à de grandes choses . "

La figure de Jeanne est particulière. Thérèse l'appelle sa " sœur chérie ", elle se retrouve en elle. La carmélite avait une prédilection pour les jeunes saints, ayant le pressentiment de sa mort prématurée. Elle perçoit dans la figure de cette jeune guerrière et martyre un idéal de sainteté. Faible enfant, vierge consacrée, Jeanne est pourtant appelée à combattre pour Dieu et pour son roi. Après cinq années de vie religieuse, Thérèse se heurte à sa faiblesse, tout en conservant le désir d'être une grande sainte. Sa mission accomplie, Jeanne est emprisonnée, puis couronnée par le martyre. " Le martyre, voilà le rêve de ma jeunesse, ce rêve il a grandi avec moi sous les cloîtres du carmel " (Ms B ). Thérèse a prié pour la béatification des carmélites de Compiègne, martyres de la Révolution, à l'époque où ses grands-parents étaient des enfants. Les esprits sont encore marqués par les atrocités de la Terreur. La Commune a attisé ces peurs. Et la IIIe République montre son visage antireligieux : en 1880, le gouvernement oblige les jésuites et d'autres congrégations à se dissoudre en trois mois. La même année, on supprime l'obligation de chômage les dimanches et jours de fêtes religieuses ; la loi sur la presse de 1881 fait disparaître le délit d'outrage à la morale religieuse ; la loi militaire de 1889 astreint les séminaristes et les membres du clergé au service militaire, enfin la loi Naquet de 1884 réintroduisait le divorce, que la Restauration avait supprimé. Ces lois ne sont que le prélude d'une violente vague de persécutions religieuses qui trouvent leur couronnement dans la rupture du Concordat en 1905. Les sœurs parlent volontiers de la possibilité d'être martyres... Thérèse se garde d'alimenter ces conversations.

Elle révèle ses aspirations dans ses Récréations pieuses et autres poésies. Elle n'abandonne pas " le rêve de sa jeunesse " : " Comme Jeanne d'Arc, ma sœur chérie, je voudrais sur le bûcher murmurer ton nom, ô Jésus " (Ms B). Le Seigneur l'exaucera : elle étouffe, victime de la tuberculose, mais meurt martyre d'amour après une extase . Avec du recul, les vies de ces deux " sœurs " connaissent une trajectoire similaire, de leur appel en mission précoce à leur martyr, Jeanne sur le bûcher, Thérèse sur son lit de souffrances. Elles ont en commun le désir d'une France chrétienne : " J'aime la France, ma patrie, je veux lui conserver la Foi " fait dire Thérèse à Jeanne.

L'Église reconnaîtra cette singulière parenté entre les deux saintes. Au lendemain de la canonisation de Thérèse, Pie XI la présentait aux pèlerins comme " une nouvelle Jeanne d'Arc " (18 mai 1925). En juillet 1943, les cardinaux et évêques de France se réunissent en assemblée plénière à Paris. Ils demandent à Pie XII d'élever Thérèse au rang de patronne secondaire de la France, comme " sainte Jeanne d'Arc, qui, en une heure moins critique peut-être, [...] fut suscitée de Dieu pour sauver son pays ". Ils ont en effet " une immense confiance dans l'efficacité des interventions [de Thérèse] en faveur de la France ". Le 3 mai 1944, Pie XII déclarait Thérèse " patronne secondaire de toute la France " à l'égal de sainte Jeanne d'Arc (la patronne principale étant la Vierge Marie). Le pape écrit à Mère Agnès le 9 novembre 1944 dans une France libérée : " Sainte Thérèse a répondu, ces dernières semaines, comme seuls peuvent le faire les grands amis de Dieu, à la confiance que nous mettions en elle, en lui attribuant, de concert avec la sainte libératrice de Domrémy, le patronage de votre chère patrie, sous l'égide supérieure de Notre Dame, dans le mystère de son Assomption. Cette délivrance étonnante dont la France a été l'objet est, à n'en pas douter, un de ces coups du Ciel, comme l'Histoire en a enregistré plus d'une fois dans cette nation privilégiée [...] pour ses gloires religieuses et sa vocation providentielle . " Dans une autre lettre, datée de septembre 1945, il ajoute à propos de Thérèse : " Sa mission, en effet, non seulement en France, mais dans le monde, est loin d'être achevée. "

Les écrits de Thérèse sur Jeanne ont donc une importance capitale pour essayer de comprendre le message de notre nouveau docteur de l'Église sur la France, qui n'est guère en meilleur état qu'à son époque. En décomposant les étapes de la mission de Jeanne d'Arc, apparaît l'idée que se faisait Thérèse de sa propre mission. Trois idées principales se dégagent : 1/ pour sortir la France de la crise, Dieu appelle le petit et se glorifie en lui. Les deux saintes appréhenderont toutes deux l'immense disproportion entre leur petitesse et la grandeur de leurs missions ; 2/ cette mission s'accomplit dans l'obéissance totale à la volonté de Dieu et dans un ordre précis : Jeanne vient faire sacrer roi de France le prétendant légitime et s'efface lorsque le nouveau souverain est en mesure de reconquérir son royaume ; 3/ son martyre est le sceau de sa mission. Il lui donne un caractère christique et permet son accomplissement final. Il nous révèle l'efficacité de la prière et nous invite à prier pour la patrie et à nous intéresser à son salut...

 

" C'est quand je suis faible que je suis fort. "

Jeanne, humble jeune fille, sans expérience politique, diplomatique ou guerrière, est appelée à sauver son pays. Thérèse, petite carmélite, devient patronne de la France. Au début de la première Récréation pieuse, Jeanne est une simple bergère qui face à la grande misère du royaume de France prie en restant cachée. Ses compagnes lui parlent de la guerre à Orléans.

 

Jeanne. — Je ne désire pas savoir ce qui se passe à Orléans ni ailleurs.

Germaine, étonnée. — Tu n'aimes donc pas la France, Jeanne ?

Jeanne. — Si, je l'aime, mais je ne suis qu'une petite bergère et je sais qu'en restant humble et cachée, je puis être plus utile à notre pauvre Patrie qu'en cherchant à savoir des choses qui ne me regardent pas.

 

Jeanne (comme Thérèse) pense en contemplative avant que lui soit révélé sa mission. Dieu aurait pu donner directement la victoire à la France, sans passer par Jeanne d'Arc. Il a voulu se choisir un instrument faible mais docile. Il n'a pas voulu se manifester de manière visible au roi. Jeanne se sent faible devant la tâche à accomplir, Thérèse aussi face à ses aspirations. Elle sent en elle des " désirs, des espérances qui touchent à l'infini " (Ms B 2° v) ; mais elle n'est qu'un " faible oisillon ".

Lorsque Jeanne est appelée en mission par saint Michel " le gardien de la France ", elle est d'abord effrayée. " Est-il possible que Dieu me destine à d'aussi grandes choses ?...Mais je ne sens pas en moi le courage dont vous me parlez... Je ne suis qu'une enfant faible et timide... " Thérèse résout ce problème en se remettant entièrement à Dieu. Ces désirs immenses ont été placés dans son cœur pour être exaucés. Dans le cas de Jeanne :

 

Mais Dieu s'appelle Tout-Puissant

Il veut donner à la vierge timide

Un cœur de feu, une âme de guerrier .

 

Et Thérèse, dans le Manuscrit B :

 

Cependant, à cause même de ma faiblesse, tu t'es plu, Seigneur, à combler mes petits désirs enfantins, et tu veux aujourd'hui, combler d'autres désirs plus grands que l'univers...

 

Thérèse pressent la parenté de leurs missions, qui prennent leur sens dans ce paradoxe de l'efficacité divine s'appuyant sur leur faiblesse. Pour la réalisation de cette tâche, Thérèse comme Jeanne mettent leur confiance en Dieu, mais sans être passives. Petitesse ne signifie pas mollesse. " Il faut batailler, pour que Dieu donne la victoire " (RP 1). " Ne laisser échapper aucun petit sacrifice, aucun regard, aucune parole, profiter de toutes les plus petites choses et les faire par amour " (Ms B). Nous sommes au cœur de la petite voie de Thérèse. Carmélite, elle combat pour sauver les âmes. Mais dans son humilité, elle sait que Dieu seul fécondera son œuvre et la rendra parfaite.

Apparemment, leur rôle social n'est pas le même. Jeanne se sanctifie dans un combat à la fois religieux, militaire, politique et diplomatique. Elle guide le roi. Thérèse se cache dans son monastère, brûlée par le désir d'être oubliée (" être humilié, c'est encore trop glorieux "). Or leur mission est la même d'après Thérèse : c'est la conversion pour la France. Par la reconquête du royaume ébauchée par Jeanne, les forces en présence basculent du côté français. Le Dauphin reçoit les conditions matérielles et spirituelles pour être sacré à Reims ; la France est restaurée dans sa souveraineté. À l'inverse, une hégémonie anglaise signifierait la fin d'une France libre de donner le meilleur d'elle-même, elle qui sera consacrée " fille aînée de l'Église ". Un siècle après Jeanne, l'Angleterre deviendra schismatique et Thérèse croit aux desseins de la Providence :

 

Jeanne. — Oui je quitterai ces vallées

Afin de chasser l'étranger

J'aime la France, ma patrie,

Je veux lui conserver la Foi

Je lui sacrifierai ma vie

Et je combattrai pour mon roi .

 

Et plus loin :

 

Seigneur, [...] faites éclater votre puissance en la personne de votre servante Jeanne, la timide bergère, qui en votre nom chassera l'Anglais du royaume de France et détruira la puissance de Satan, autre Goliath qui voudrait anéantir la foi de la fille aînée de l'Église (RP 2).

 

Mais pour Thérèse, les frontières de la France sont d'abord spirituelles. Il ne s'agit pas de défendre en priorité une entité territoriale, il s'agit de sauver l'intégrité de sa foi : chasser l'hérétique. On a pu dire que cette interprétation anachronique a été favorisée par la thèse selon laquelle Dieu protégeait la France du protestantisme . Cette hypothèse est-elle si saugrenue ? La pluralité des nations est le signe du péché de l'homme et de sa finitude . Thérèse est nourrie de références bibliques ; elle compare les Anglais aux Philistins, représentant l'obstination dans l'impiété (Jeanne essaie sans succès de faire la paix avec les Anglais). Ainsi présentée, la mission de Jeanne a une signification temporelle et spirituelle. Si nous comparons les Français aux Hébreux, nous retrouvons les deux combats : la chute de l'impérialisme ennemi et la conversion personnelle d'Israël, toutes deux nécessaires à l'établissement d'une paix durable et surtout à la sanctification des âmes.

L'apparence de thématique " nationaliste " ne doit pas tromper : la primauté est donnée à la personne, donc à l'âme. c'est dans ce sens que l'on doit considérer la prière intitulée " Seigneur, Dieu des armées " (" inspirée, dit Thérèse, par une image représentant la Vénérable Jeanne d'Arc ", 1896) :

 

Mon glaive n'est autre que l'Amour, avec lui je chasserai l'étranger du royaume. Je vous ferai proclamer Roi dans les âmes qui refusent de se soumettre à votre Divine Puissance. Sans doute, Seigneur, un aussi faible instrument que moi ne vous est pas nécessaire, mais Jeanne votre virginale et valeureuse épouse l'a dit : "Il faut batailler pour que Dieu donne victoire". ô mon Jésus, je bataillerai donc pour votre Amour jusqu'au soir de ma vie.

 

L'année de sa mort, Thérèse écrit :

 

Lorsque je commençais à apprendre l'histoire de France, le récit des exploits de Jeanne d'Arc me ravissait, je sentais en mon cœur le désir et le courage de l'imiter, il me semblait que le Seigneur me destinait aussi à de grandes choses. Je ne me trompais pas, mais au lieu de voix du Ciel m'invitant au combat, j'entendis au fond de mon âme une voix plus douce, plus forte encore, celle de l'Époux des vierges qui m'appelait à d'autres exploits, à des conquêtes plus glorieuses et dans la solitude du carmel, j'ai compris que ma mission n'était pas de faire couronner un roi mortel mais de faire aimer le Roi du Ciel, de lui soumettre le royaume des cœurs .

 

Thérèse aborde la mission de Jeanne principalement dans sa dimension spirituelle. Mais loin de nier la nécessité de l'action politique, elle lui donne un soubassement spirituel plus profond que l'esprit de l'époque pouvait l'entendre (la séparation de l'Église et de l'État n'intervient qu'en 1905). Autrement dit, la lutte spirituelle n'est pas sans dimension politique ; un jour, Sœur Geneviève, novice de Thérèse, eut à faire un effort qui lui coûtait beaucoup dans le domaine de la charité fraternelle. Sa " maîtresse " commente : " Oh ! si vous saviez !... Vous retrouverez cela plus tard... C'est une action plus glorieuse que si vous aviez obtenu la bienveillance du gouvernement pour les communautés religieuses, que la nôtre ne soit pas inquiétée et que toute la France vous acclamât comme une nouvelle Judith ! " Voici la " méthode " thérésienne au service de la France : simple religieuse, Thérèse se bat avec ses armes, dans une oblation totale d'elle-même à Dieu, dans " la monotonie du sacrifice quotidien ". Il n'est pas nécessaire d'être aux premiers rangs de la nation pour exercer une influence. Selon l'enseignement du dernier docteur de l'Église de ce siècle, la plus petite œuvre politique faite avec amour et fidélité au Seigneur, est plus utile que la plus grande victoire électorale. Comprenne qui pourra.

 

Un ordre voulu de Dieu

Quant à la conversion personnelle de la France, elle se manifeste par celle de son roi et de son armée, portée par le martyre final de Jeanne. Le dauphin s'étonne que Dieu ait attendu pour intervenir. Jeanne répond : " Dieu a pitié de vous, de votre royaume, de votre peuple, car saint Louis et Charlemagne sont à genoux devant Lui, faisant prière pour vous " (RP 2). Charles est troublé, il doute de sa légitimité et prie. Jeanne lui rapporte cette prière et la réponse de Dieu :

 

Le dauphin. — Seigneur,[...] si je suis le véritable héritier de la noble maison de France et si ce royaume doit légitimement m'appartenir, veuillez, je vous en conjure, me le conserver et le défendre contre les attaques des Anglais...

Jeanne . — Et moi je vous dis de la part de Dieu que vous êtes le véritable héritier du royaume de France et fils de Roi. Je suis envoyée afin de vous conduire à Reims pour que vous y receviez le sacre et la couronne (RP 2).

 

" Vous serez le lieutenant du Roi du Ciel qui est Roi de France. " Jeanne replace Charles VII dans son rôle de prince très chrétien : le sacre à Reims le confirme dans sa vocation. Elle entraîne l'armée à sa suite. Dieu n'a pas besoin du secours des guerriers, comme le fait ironiquement remarquer le duc d'Alençon (RP 2). Mais la Lorraine explique : " En mon Dieu, les guerriers batailleront et Dieu donnera victoire ". Jeanne est le signe de la miséricorde divine ; elle incite l'armée et son entourage, c'est-à-dire le peuple de France, à se convertir :

 

Des fiers guerriers elle gagna les âmes

L'éclat divin de l'Envoyée des Cieux

Son pur regard, ses paroles de flammes

Surent courber les fronts audacieux (PN 4).

 

Sa mission comporte, comme nous l'avons déjà souligné, deux aspects. 1/ politique : il s'agit de restaurer l'autorité du roi, donc de lui donner les moyens de l'exercer par le renversement de la dynamique de la guerre et le sacre de Reims. 2/ spirituel : Jeanne mène son peuple à Dieu. Ces deux aspects sont indissociables. En effet, Dieu n'intervient pas d'une manière écrasante, par exemple en faisant périr par un fléau l'armée anglaise. Mais la reconquête de la France passe par les êtres humains selon un ordre leur permettant la conversion. La vocation de toute action politique étant de veiller sur notre prochain, toute action politique a une dimension spirituelle.

 

" Le temps des travaux et des conquêtes "

À ces deux aspects de sa mission, son martyre va donner du poids, comme Moïse soutenant le combat de son peuple par la prière, les bras en croix (cf. Exode). Jeanne abandonne son rôle de guerrière pour s'identifier au Christ souffrant, isolé et martyr.

 

En combattant, Jeanne sauva la France

Mais il fallait que ses grandes vertus

Fussent marquées du sceau de la souffrance

Du sceau divin de son époux Jésus ! (PN 4.)

 

Le martyre de Jeanne, l'assimilant à Jésus sur la croix, donne à sa mission son efficacité :

 

Les voix. — Fille de Dieu, ta mort sauve la France

À ses enfants tu dois ouvrir le Ciel.

Jeanne d'Arc. — J'entre dans l'éternelle vie

Je vois... les anges, les élus...

Je meurs pour sauver ma patrie

Venez!... Vierge Marie...

Jésus!... Jésus !!!... (RP 2.)

 

Thérèse vit ce qu'elle décrit chez Jeanne. Sur la captivité d'abord : " Les saints m'encouragent moi aussi dans ma prison. Ils me disent : tant que tu es dans les fers, tu ne peux remplir ta mission ; mais plus tard, après ta mort, ce sera le temps de tes travaux et de tes conquêtes " (DE 10.08.4). Et sur le sens de sa mort ensuite : " J'ai relu la pièce de Jeanne d'Arc que j'ai composée. Vous verrez là mes sentiments sur la mort ; ils sont tous exprimés. " (DE 5.06.2.)

Thérèse considère donc clairement son martyre, après celui de Jeanne, comme des puissances de conversion pour leur patrie. Toutes deux, elles ont le souci d'une France chrétienne :

 

Ô France !... Ô ma belle Patrie !...

Il te faut t'élever jusqu'aux Cieux

Si tu veux retrouver la vie

Et que ton nom soit glorieux (RP 2).

 

Elles donnent la pleine mesure de leur intercession pour leur pays après leur mort, quand tout ce qui était caché se révèle. Elles acceptent délibérément de ne pas voir le fruit de leur lutte sur terre. Peut-être Thérèse se projette-t-elle en filigrane derrière cette évocation de Jeanne en gloire après sa mort. Au Ciel, Jeanne est couronnée de la triple couronne de vierge, martyre et guerrière. Dans le lointain, on entend la voix de la France lui suppliant de la sauver encore. Jeanne lui répond :

 

Oh ! ma France chérie ! C'est avec bonheur que j'obéis à mes voix qui m'invitent à voler à ton secours !... Désormais tu ne seras plus chargée de chaînes puisque ton cœur s'est tourné vers le Ciel... Si tu m'avais invoquée plus tôt, je serais depuis longtemps venue vers toi.

 

Patronne secondaire de la France

Jeanne est proclamée patronne secondaire de la France en 1944. Thérèse est déjà sollicitée comme nous l'avons vu durant la Première Guerre mondiale, mais cette intercession devient officielle la même année. Pie XII écrit à cette occasion : " [...] notre prédécesseur de vénérée mémoire, le pape Pie XI, avait bien voulu instituer sainte Thérèse Patronne des missions ; et puisque aujourd'hui, la France elle-même, en raison des ruines immenses, tant spirituelles que matérielles, que la dure et terrible guerre présente lui a causées, peut être considérée comme un très vaste champ à cultiver par le labeur missionnaire, pour que le peuple soit ramené à la foi de ses aïeux et aux pratiques religieuses, il lui semble tout à fait indubitable que ce saint patronage, instamment sollicité, tournera au plus grand bien et au profit spirituel de la nation, car tout le monde connaît le culte affectueux et célèbre dont les Français dans leur ensemble, même les plus humbles, honorent sainte Thérèse. "

Peut-on tirer une leçon politique de l'enseignement de la petite carmélite proclamée patronne des missions, patronne de la France et docteur de l'Église ? Hasardeux, mais son message s'adresse à l'homme, " et à travers l'homme, il y a les nations " (Jean-Paul II). Le message de Thérèse dépasse les circonstances, il s'identifie au parcours de Jeanne comme pour l'expliquer à son temps, sans rupture : 1/ " C'est quand je suis faible que je suis fort. " Les catholiques sont minoritaires ? Toute action porteuse d'un message fort produit du fruit, même invisible. 2/ Dieu envoie Jeanne sauver la France, mais dans le respect des institutions politiques. Le Dauphin est sacré à Reims selon les procédures de l'époque. La restauration de l'ordre temporel est un chemin offert à la France pour se convertir et un cadre favorable à l'élévation de la vie spirituelle. 3/ Thérèse et Jeanne consument leurs missions dans le martyre. Leur lutte spirituelle se prolonge jusqu'aux derniers instants de leurs vies .

Thérèse " fut l'enfant "confiant" jusqu'à l'héroïsme, disait Jean-Paul II à Lisieux en 1980, et par conséquent "libre" jusqu'à l'héroïsme. Mais c'est justement parce que ce fut jusqu'à l'héroïsme qu'elle seule connut la saveur intérieure et aussi le prix intérieur de cette confiance qui empêche de "retomber dans la crainte". " La liberté intérieure, arme essentielle de toute charité politique.

 

m. g.

 

Encadré : (à mettre ici ou à la fin de l'article de Mgr Gaucher)

 

Thérèse : revue des livres

 

Thérèse de Lisieux reste à la mode. Le centenaire de sa mort et la proclamation de son doctorat en 1997 avait entraîné une avalanche de biographies, thèses, études, le bon côtoyant le médiocre. Deux ans après, l'engouement du public, des éditeurs et des auteurs, demeure. Souvenons-nous de Pie XI prophétisant un " ouragan de gloire ". Les éditions Fayard nous livre trois excellents ouvrages, ultimes témoins littéraires du siècle de Thérèse.

Dans un essai rapide et brillant, le Murmure et l'Ouragan, le père Bernard Bro tente d'analyser les raisons de la proclamation du doctorat. Si Thérèse en effet est docteur, c'est que l'Église a jugé sa doctrine sûre et éminente. À juste titre, le père Bro s'insurge contre ceux qui réduisent son message à une spiritualité, qui ne voient dans son doctorat qu'un " titre honorifique ". Car les écrits de cette " femme de génie ", sont à ranger à la suite des ouvrages des plus grands théologiens. Ils amorcent les grandes avancées doctrinales qu'a connues l'Église au XXe siècle (renouveau biblique, patristique, thomiste), et certains aspects du concile Vatican II. Délibérément pédagogique, le père Bro accumule les lieux parallèles. On regrette qu'il ne développe davantage ses intuitions.

Plus percutants sont les chapitres consacrés à l'influence décisive de Thérèse sur la vie spirituelle : sa petite voie a rendu aux catholiques le goût d'une vie mystique ordinaire, antidote au jansénisme. Enfin de très belles pages précisent l'apport doctrinal indubitable de Thérèse à la science de l'amour divin. Le dominicain place très justement Thérèse dans le sillage de Thomas d'Aquin, tous deux mettant au centre du mystère chrétien la miséricorde de Dieu. Par son intelligence de l'amour, Thérèse est réellement théologien.

Dans un tout autre style, Thérèse, l'enfant : apôtre et martyre du père Daniel-Ange, s'adresse d'abord aux jeunes. Sur un ton simple, direct, tonique, l'auteur retrace la vie de Thérèse à la lumière de ce qu'a connu l'Église ces dernières années, avec l'apparition des communautés nouvelles. Décrivant le parcours de guérison psychologique et spirituelle de Thérèse à travers les grandes étapes que furent sa maladie d'enfance, l'épisode du sourire de la Vierge, et la conversion de Noël 1886, l'auteur y décèle le " prototype de toutes les guérisons d'aujourd'hui ", notamment celles vécues dans le renouveau charismatique avec l'effusion de l'Esprit-Saint.

Pâques 1896 marque l'entrée de Thérèse dans l'épreuve de la nuit intérieure. Elle est tentée par les pires raisonnement matérialistes. Daniel-Ange voit dans l'imposture de Léo Taxil qui l'humilie, l'image des futures attaques des réseaux anticléricaux des années quatre-vingt-dix. Les tentations de désespoir qui l'assaillent, sont à relier à la crise spirituelle que traverse l'Occident. Le combat pour la foi qu'elle mène, annonce les persécutions à venir de l'Église. Parallèles hardis, mais après tout convaincants.

" On est souvent admiratif de Thérèse, mais on la suit rarement sur les chemins de la pauvreté. " Tel n'est pas le cas de Marcel Van. Se désignant lui-même comme " l'humble pétale de la Fleur Thérèse ", ce jeune Vietnamien vivra une intimité spirituelle toute particulière avec la sainte de Lisieux, dont il veut connaître au monde sa doctrine sur l'amour, devenant ainsi son " secrétaire particulier ". Le lecteur ne trouvera pas dans Van, l'enfant aux mains vides une biographie complète de cette victime du communisme, mort à 31 ans dans le Goulag vietnamien. Conçu plutôt comme un dialogue à trois voix, entre Van, Thérèse, et l'Évangile, cet ouvrage collectif est un admirable exposé de la voie d'enfance spirituelle. L'auteur principal, le père Marie-Michel, en a la certitude, la voie d'enfance est la réponse unique aux aspirations secrètes du monde d'aujourd'hui. Dans une synthèse très serrée, il dresse le constat implacable du drame de notre civilisation où l'hédonisme généralisé a engendré un vide spirituel atroce.

Van comme Thérèse, accepte d'éprouver la nuit de la foi pour sauver ce monde séparé de l'Amour. Van devient le " petit secrétaire " de Thérèse pour que les leçons d'amour que Dieu lui a enseignées en secret, se perpétuent dans le monde. Van reçoit la mission d'approfondir la voie d'enfance. Le père Marie-Michel a le mérite de ne pas se contenter de décrire chez Van et Thérèse leur manière d'être enfant, mais d'expliciter la voie d'enfance elle-même. Celle-ci est au cœur de l'Évangile, dans l'épisode du jeune homme riche notamment, dont Marie-Michel nous livre un commentaire remarquable de justesse spirituelle. Enfin, la voie d'enfance passe par Marie : ce que montre le judicieux rapprochement avec la dévotion mariale de Grignion de Monfort. Il serait dommage d'entrer dans le IIIe millénaire en ignorant Van.

Nicolas Barrault

 

 

 

Bernard Bro, op, le Murmure et l'Ouragan. Une femme de génie Fayard, septembre 1999, 196 pages, 95 F – Daniel-Ange, Thérèse, l'enfant : apôtre et martyre Fayard, septembre 1999, 396 pages, 140 F – Père Marie-Michel, o.c.d. (dir.) Van, l'enfant aux mains vides Le Sarment/Fayard, septembre 1999, 450 pages, 135 F.